Il est plutôt rare que je lise de la poésie éditée par les « grandes maisons » : je préfère la diversité des petits éditeurs, qui de surcroît ont bien plus besoin de soutien. Mais il y a toujours des exceptions à la règle. En l’occurrence, j’ai eu envie de lire Ressacs en raison de l’activité de passeur de poésie qu’exerce Alexis Bardini en ligne, notamment sur Instagram (faut-il rester sur ce réseau, c’est une autre question). Un poète publié chez Gallimard qui donne à lire la poésie des autres très régulièrement, ça ne pouvait que me plaire. Et bien m’en a pris. Ce recueil se présente comme un dialogue. De fait, les premières strophes interpellent rapidement en italique, à propos d’« Un homme sur les quais » : « Et toi marin qui vient de mer / Plus sombre qu’un plateau d’argile / Tu as bien vu ses muscles longs / S’agiter comme nos mémoires ». De son « pays de nage lente », le marin, qui affirme ne pas en être un (« Je ne suis que ton ombre »), répond en romain : « Et je porte ton souffle / À la lisière du réel / Cet endroit très précis où tous les mots s’abîment ». La connivence est palpable, on devine dès le début l’unité des personnages ; le poète l’amène par petites touches, mêlant les deux voix — séparées d’abord — après quelques pages, brouillant les thèmes, effaçant les différences. Dans le « sac de vivre » ici exploré, « Au plafond pend comme une goutte d’or / Un rêve agenouillé / Que tu voudrais saisir / Dans le matin de ton corps silencieux ». C’est qu’Alexis Bardini ne craint pas un certain lyrisme, une certaine envolée de mots vers des océans de poésie recherchée. Il l’équilibre cependant par un thème funèbre : « Dans l’immense miroir sans tain / De la mémoire et de l’oubli », « on ne pleure pas sa mère / Dans le trépas des autres ». Oui, Ressacs, dans son jeu de vagues où les interlocuteurs finiront, on le sent, par se rencontrer et ne faire qu’un, parle de la mort de la mère. Mer et mère se retrouvent donc unies. Une comparaison déjà lue ? Mais justement, c’est souvent la façon de traiter le déjà-lu qui révèle la qualité littéraire. Ici, on peut naviguer sur « Une mer neuve pleine et souple / Au muscle agile » ; le poète fait un chant à la fois triste et libérateur de la douleur, il transforme un dialogue sur le deuil en vers revigorants. Beaucoup mieux que du développement personnel… Et qui a perdu sa mère ou un être proche se reconnaîtra dans ces vers profonds que le rythme régulier rend encore plus lucides : « De quoi est fait le sol / Sur quoi tout est bâti / Si ce n’est de nos morts / Leurs amours et leurs peines ? »
Alexis Bardini, Ressacs, éditions Gallimard, ISBN 9782073048677