« Je me souviens de l’enfance / comme d’une porte qui claque », nous écrit François Audouy. Et de convoquer les feuilles Canson, « un walkman portant ses chansons » — car le poète ne craint pas la rime —, puis le « buste sous un chemisier » de Marine Renoir, en quatrième D. Va-t-on assister à une vague de poésie nostalgique et potentiellement monotone, aussi travaillée soit-elle ? « Nos enfants joueront au football / et réclameront des paires de Nike ; / leurs rêves seront des rêves fantômes / des fantasmes de cités dortoirs » : non, le poète plante en fait le décor de l’enfance pour mieux se projeter dans l’avenir, habillé de son « costume d’homme ». S’ensuit un intermède qui triture la « langue perdue langue triste langue morte », la faisant « langue magie langue lagune langue sel », où l’on sent l’influence des voyages de celui qui a enseigné notamment en Afrique ; la poésie s’y voit justifiée, « poème pluie tu fais le beau temps », voici que l’auteur affirme ses intentions, affine son message : « C’est la métaphore de l’acte d’achat / la politique du déjà-vu / qui détermine les atouts, / agglutine les troupeaux de zébus. » Et lorsque arrive la partie intitulée « Adulte ère », on comprend que la mémoire vive alimente la critique actuelle, la sidération devant la conduite humaine parfois : « blessures encore tressaillements / sous ces bambous birmans complices / de suaves et silencieux supplices ». Dans un rythme souvent confié à des octosyllabes modernes, où l’e muet saute et où l’oralité fait loi, le poète s’enfonce dans la boue de notre époque, jouant de sonorités pour en capturer l’absurdité : « Dolorosa, dolorosa, accorde-nous de la dignidad / dans nos doutes dodécaphoniques / nos détresses de petits détaillants. » Là où « dans les lendemains nostalgiques / une petite tonne de projets nihilistes / hurle en silence », il fait bon versifier pour exorciser ses angoisses ou ses craintes. L’enfance, avec laquelle on a commencé le voyage, est à l’origine de tout : « Il n’y a rien d’autre / rien d’autre / jamais / qu’un enfant seul dans sa chambre / que les cisaillements du désir ». Mémoire vive, mémoire à vif. La fatalité mènerait-elle à la poésie ?
François Audouy, Mémoire vive, éditions Le Citron gare, ISBN 978-2-9589101-1-2
Un poème en extrait audio :