Oyez, oyez ! Christophe Esnault est de retour ! Cette fois-ci chez Tarmac, toujours avec son savant mélange d’autobiographie désabusée et de militantisme littéraire radical. Son dernier-né, c’est L’insuccès est-il stimulant ?, un recueil qui, dans une première partie en forme d’entretien à bâtons rompus « réalisé dans le sas d’entrée de la Maison de la radio, avant l’intervention des pompiers, retenus par une manifestation de sans-papiers et de sans-abri récemment éconduits de Paris en vue des J.O. », passe en revue quelques idées bien senties de l’auteur sur la marche du monde des lettres, et plus généralement de celui des humains. L’auteur a les réponses… il se pose donc lui-même, on l’aura compris, les questions qui construiront son petit traité de philosophie. Le titre est l’une de ces questions. Comme quoi on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Les sujets abordés sont si divers qu’il est vain de vouloir en donner un large aperçu, mais la liberté, l’aliénation, la littérature comme besoin, la résistance s’invitent dans un tac au tac tour à tour fataliste et combatif. On y met en garde contre le piège « d’écrire pour s’extirper de l’urgence, de la douleur ou de la très mauvaise posture. Alors que l’absurdité pourrait suffire ». Mais en même temps, lorsqu’on demande au poète — lorsque le poète se demande à lui-même — si la liberté est dommageable à la formation d’une pensée, la réponse fuse : « Écrire n’importe quoi sur la liberté, après Marx, Sartre, Nietzsche, après Éluard et la boulangère, après mille autres benêts ou cerveaux chromés qui trouveront de la liberté là où il n’y en a aucune trace, est-ce que ce sera héroïque ou est-ce qu’on a une petite chance, presque poète, presque écrivain et depuis son incandescence de semi-débile planétaire, de produire trois lignes de littérature avec cela ? Je beurre la question sur ma prochaine tartine. » Modestie et lucidité sont au programme de cette première partie à la fois drôle et profonde. Fort d’une expérience acquise au fil de dizaines de livres écrits, Christophe partage une expérience amère et excitante, fait sa lettre à un jeune poète toute personnelle, fût-elle adressée à lui seul. Suivent un très bref abécédaire aphoristique (« Impacter : décernons la Légion d’honneur à ceux qui utilisent ce mot quinze fois par jour ») et un répertoire presque potache de titres fictifs de livre (« Piétinez la littérature comme tout le monde, Classiques Garnier, 2024 »), comme si l’auteur voulait au moyen de quelques facéties s’excuser du sérieux, sous des dehors chahuteurs, de sa première partie philosophique. Le tout est concis, bien trouvé et… stimulant.
Christophe Esnault, L’insuccès est-il stimulant ?, éditions Tarmac, ISBN 979-10-96556-72-4