« Je prends la suite des poètes qui écrivirent le flottement des cheveux des saules dans la douceur du matin. » Sommes-nous dans la seule et simple contemplation de la nature ? Pas du tout, bien sûr, et Orée Li, qui a « appris par cœur la douleur des fleurs », le révèle dès la partie introductive, où « le corps s’immobilise / et le regard s’ouvre / plus loin que prévu ». Plus loin, c’est, on l’apprendra, viser « la symbiose inespérée », l’harmonie totale avec un vivant autre, en l’occurrence celui des végétaux : « J’arrose mon système / nerveux de lavande », grand huit des espèces, « cavalcade dans le tunnel sans parois ». La musique des mots (« un piano de microbiotes s’en vient ») est un prélude au mélange des formes vivantes, végétaux d’abord certes, mais les animaux ne sont pas en reste (« kératine à éclore / en germination dinosaures »). Au fil du livre, malgré le « mugissement de l’écocide » — ce n’est pas un hasard si l’une des parties convoque Rachel Carson en exergue —, contre celui-ci même, puisque la poésie est également combat, Orée Li se fond dans les plantes, « dans l’oraison des fleurs » ; son corps ne fait plus qu’un avec Brassica nigra (la moutarde noire), expérimente « en silence ce que nous pourrions appeler la conscience fluide ». Pour ce faire, le recueil mélange prose poétique, vers libres classiques ou mots savamment disposés sur la page, pour une respiration au rythme de la chlorophylle. Hors d’un corps humain aussi, la poésie est traversée par le désir, tant la fascination des multiples accouplements entre fleurs et abeilles se fait prégnante, « une ruche sauvage / au point G ». Et l’on pense aux écrits de la philosophe des sciences Vinciane Despret, même si cette dernière concentre ses recherches sur nos rapports avec les animaux plutôt que sur notre relation aux végétaux. En tout cas, Orée Li plante un recueil absorbant, où l’amour finit d’ailleurs par triompher, cyprine et sève mêlées, après une montée en tension haletante. Gage de fluidité, des glyphes non binaires à l’élégance chatoyante viennent ponctuer ses vers ; une page du livre est reproduite ci-dessous pour en donner une idée. « La poésie, c’est fait pour faire des arcs-en-ciel avec les armatures de la mort. Des arcs-en-ciel de terre » : avec Orée Li et ce superbe premier livre publié, on retourne à la terre pour entrer en symbiose avec les plantes, pour explorer la conscience de l’altérité. Oui, nous sommes aussi des fleurs.
Orée Li, Primevères fantômes, éditions des Lisières, ISBN 979-10-96274-43-7