L’écriture de Marina Skalova, ici, se fait cri. Cri de protestation, de rage, de fureur devant la violence structurelle envers les femmes dans une société faite en majorité par et pour les hommes. Quel angle nouveau apporte la poétesse sur un thème qui, désormais et tant mieux, fait beaucoup littérature ? La poésie, justement. Une poésie narrative que nourrit son rythme : les vers sont autant de phrases scandées qui piquent, brûlent, blessent autant que peuvent blesser les hommes par manque de considération, ignorance, mais aussi par désir d’assurer leur domination. Une poésie de l’arroseur arrosé, donc, dans un océan où peu remettent en cause une société patriarcale toute-puissante. Poésie du souvenir aussi, avec l’amour d’enfance « souvent délicat et ridicule / il avait lieu sous des herbes hautes, l’été / dans la campagne autour des datchas ». C’est que l’autrice veut aussi mettre au jour, pour partir d’un cas concret et atteindre l’universel, la violence larvée qui surgit de la langue russe, dès le plus jeune âge ; elle cite par conséquent des phrases issues de ce que l’on pourrait nommer ironiquement la sagesse populaire et va même jusqu’à fournir, dans une mise en pages très réussie qui en entoure sa poésie, des extraits d’un manuel russe des années 1920 consacré à la vie sexuelle et conjugale. « Les hommes inspiraient la crainte / surtout ne pas les froisser / ne pas les offenser » : puis on remonte le fil du temps de l’enfance pour une première violence sexuelle dans un train : « Il a la main sur ta cuisse / il caresse son jean / au-dessous de sa braguette / il tient quelque chose / il fait des mouvements / au bord de sa cuisse ». Il y en aura d’autres… Viennent ensuite les consultations gynécologiques : « Les hommes envoient des sondes / dans le ventre des femmes / et dans l’espace. » L’accouchement, ses suites, l’indifférence complice du personnel, l’arrachement à la mère de l’enfant pour des vérifications médicales standardisées sans empathie, tout est crûment décrit, balancé sur la page sans ménagement. Et vous, « si on vous coupait un bout de bite, / vous seriez d’accord pour avoir des enfants » ? Intiment, dans le titre, c’est bien le verbe intimer conjugué à la troisième personne du pluriel, on l’apprend dès la première page. Le double sens qui convoque l’intimité est patent, et l’ardeur de cette écriture a pour elle sa concision et sa sidérante vitalité. Entre l’abattement et la colère, la poétesse choisit le cri.
Marina Skalova, Intiment, éditions des Lisières, ISBN 979-10-96274-39-0