Nous sommes au xviie siècle, en Chine. La jeune Chen, en voyage avec son père – un lettré qui a exercé de hautes fonctions –, s’égare dans une foire et se voit remettre par un mystérieux boutiquier un bracelet de jade. Celui-ci va bientôt la fasciner, au point qu’elle en fera des rêves déroutants. Ce sont les conversations avec son père qui lui permettront de percer le secret du bijou, lequel lui ouvrira des portes insoupçonnées sur la compréhension du monde dans lequel elle vit. Un monde marqué par les turbulences des luttes de pouvoir, et dont elle est miraculeusement protégée par le travail que son géniteur accomplit pour façonner son jardin.
Si j’ai voulu lire cette longue nouvelle ou novella, c’est d’abord à cause de l’intérêt que je porte au travail de passeur de Gwennaël Gaffric : nombreuses sont les traductions de livres relevant de l’imaginaire depuis l’anglais, beaucoup moins celles depuis le chinois (ou même de langues européennes, par exemple l’italien ou l’allemand, dans lesquelles s’écrivent pourtant de très bonnes choses si l’on peut les lire en VO) ; ce traducteur lyonnais déniche toujours des textes originaux et passionnants. C’est aussi un plaisir de s’éloigner un peu des recettes du creative writing à l’américaine, ce qui, dans Le Bracelet de jade, est pleinement le cas. L’autrice, qui vit à New York et exerce comme programmeuse, mélange la tradition chinoise des jardins et les théories de l’espace-temps, servant un récit où le style quasi bucolique se marie avec le fameux sens de l’émerveillement propre à la science-fiction. Sans compter, bien sûr, l’arrière-plan politique sur les frictions entre dynasties impériales.
Grâce à une introduction fort utile, on apprend à dénicher dans le texte les citations et concepts utilisés, pour se prendre dans un récit dont la concision n’a d’égale que la richesse intérieure en forme de ruban de Möbius : « L’espace peut se déployer et se courber à volonté, et les mondes peuvent se contenir les uns les autres. » Même sans connaître le chinois, on ne peut qu’apprécier le travail minutieux de Gwennaël, qui en français propose un style coulant, fluide, telle l’eau qui s’écoule dans le jardin, gardant pourtant en ligne de mire les imposantes montagnes qui l’entourent. On serait d’ailleurs tenté de dire, pour citer Mu Ming dans un contexte différent, que ce style, pilier de l’ouvrage, est « aussi doux et inébranlable que le jade ».
Mu Ming, Le Bracelet de jade, traduit par Gwennaël Gaffric, éditions Argyll, ISBN 978-2-494665-34-7