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mercredi 11 juin 2025

Morosités

Après un premier recueil singulier, L’Oiseux, on avait envie de suivre Victor Rassov dans ses aventures poétiques. Voilà qui est désormais possible avec ce nouveau livre, où l’auteur se fixe une contrainte de six vers libres commençant par « On », utilisant souvent rejets et contre-rejets pour instaurer un rythme saccadé. Le choix d’un pronom neutre et indéfini est évidemment pensé en adéquation avec le thème que le titre dévoile. Dans une réalité aux contours flous, c’est en effet un petit traité de l’humeur morose qui nous est offert : « On n’entend plus / que la poussière. / L’espoir a dilapidé / le matin. / La joie / est jaune. » Avec des images cinglantes et « un fond de transe / un peu / atroce », Victor Rassov déroule en quelque 70 pages un flux de pensées « par apnées successives », qui tranche vif dans l’allégresse. Si l’on s’y console, c’est « entre chien et chien / à cette heure où paraît / la forme courroucée des choses » ; la volupté consiste à palper « la panse impossible / du poulpe ». La nature, la faune sont ici bien loin de la fonction apaisante qu’elles revêtent dans tant de poèmes classiques ou contemporains : « On prend peur à l’idée / d’une mésange. / À l’idée du pincement / continu qu’elle inflige / aux cœurs / creux » ; « On se fait / casser / quelque chose comme la gueule / au détour d’une ruelle / par un / papillon blanc. » Évidemment, lorsque les vers tirent en permanence « le golem par la queue », quand « on crache à la vieille gueule / de la lune cette / éternelle nuée de poncifs / tussifs » (notons que le poète ne manque pas d’humour noir charbon !), le danger est grand de sombrer dans une sinistrose assistée par recueil. Pourtant — est-ce là un effet de la concision du texte, qui sait s’arrêter quand il n’est pas trop tard ? —, si l’on se prend à lier les poèmes de Morosités à des pensées funestes, contextes social et international obligent, on referme le livre plutôt satisfait de notre condition… par contraste. Celui-ci est donc, empruntons une dernière fois les mots de Victor Rassov, « à / marquer / d’un vase canope ».

Victor Rassov, Morosités, Le Cadran ligné, ISBN 978-2-493603-07-4


Un extrait audio (six poèmes) :

vendredi 5 novembre 2021

L’Oiseux

oiseux.jpg, nov. 2021

Quel texte étrange et fascinant que cet Oiseux, de Victor Rassov, au Cadran ligné ! Oiseau mutant au point de devenir adjectif, le curieux animal décrit dans cette suite de sizains en vers libres n’a d’oiseux, pour tout dire, que le nom : le dépeindre, voire l’apprivoiser, n’a rien de futile, puisqu’il nous emporte dans une traque – le mot figure en quatrième de couverture – au goût de subtile mosaïque littéraire. Une attention particulière est portée au langage, avec des vocables précieux ou rares, des trouvailles, un rythme haché par une syntaxe à l’os, légère comme un squelette de volatile : « Point d’énigme / en cette ornithique salaison. / Pur caprice du mauvais sens. / Aurait tendance à / s’annoncer / comme carcasse claire. » Victor Rassov se fait naturaliste pour saupoudrer des séquences explicatives, lesquelles ne jettent cependant qu’une lumière ténue sur l’objet de son étude. « On a pourtant dit de lui : / suppuration », « Certains l’auraient connu / grand comme ça » : les on-dit alimentent autant l’envol des mots que les descriptions techniques ou psychologiques. Que penser de cet animal qui « ne chie / qu’au pied des icebergs / et c’est / peut-être / sa seule / coquetterie » ? Quelle fonction incarne-t-il dans les poèmes, quelle pourrait être le sens profond de l’allégorie qu’il constitue peut-être, puisque l’Oiseux « expose à qui / veut bien l’entendre / la condition de sa litote » ? Au fond, peu importe ; il convient de se laisser emporter par la langue de Rassov, de le lire avec Buffon en tête. Pas commode, cet animal qui « libère un sale minerai / sur le pinson », mais fascinant, pour sûr. « L’Oiseux ne s’efface. Gourd / des rémiges alors / il tombe, / de corbe en serin / creuse une ascension dans la ramure / et toc. » Excrément précieux, deuxième texte du livre, poursuit dans l’étrange en traitant la défécation comme une extraction minière, dans des neuvains cette fois. Victor Rassov est sans nul doute une voix poétique singulière à découvrir et à suivre.

Victor Rassov, L’Oiseux, suivi d’Excrément précieux, Le Cadran ligné, 978-2-9565626-4-1