Après un premier recueil singulier, L’Oiseux, on avait envie de suivre Victor Rassov dans ses aventures poétiques. Voilà qui est désormais possible avec ce nouveau livre, où l’auteur se fixe une contrainte de six vers libres commençant par « On », utilisant souvent rejets et contre-rejets pour instaurer un rythme saccadé. Le choix d’un pronom neutre et indéfini est évidemment pensé en adéquation avec le thème que le titre dévoile. Dans une réalité aux contours flous, c’est en effet un petit traité de l’humeur morose qui nous est offert : « On n’entend plus / que la poussière. / L’espoir a dilapidé / le matin. / La joie / est jaune. » Avec des images cinglantes et « un fond de transe / un peu / atroce », Victor Rassov déroule en quelque 70 pages un flux de pensées « par apnées successives », qui tranche vif dans l’allégresse. Si l’on s’y console, c’est « entre chien et chien / à cette heure où paraît / la forme courroucée des choses » ; la volupté consiste à palper « la panse impossible / du poulpe ». La nature, la faune sont ici bien loin de la fonction apaisante qu’elles revêtent dans tant de poèmes classiques ou contemporains : « On prend peur à l’idée / d’une mésange. / À l’idée du pincement / continu qu’elle inflige / aux cœurs / creux » ; « On se fait / casser / quelque chose comme la gueule / au détour d’une ruelle / par un / papillon blanc. » Évidemment, lorsque les vers tirent en permanence « le golem par la queue », quand « on crache à la vieille gueule / de la lune cette / éternelle nuée de poncifs / tussifs » (notons que le poète ne manque pas d’humour noir charbon !), le danger est grand de sombrer dans une sinistrose assistée par recueil. Pourtant — est-ce là un effet de la concision du texte, qui sait s’arrêter quand il n’est pas trop tard ? —, si l’on se prend à lier les poèmes de Morosités à des pensées funestes, contextes social et international obligent, on referme le livre plutôt satisfait de notre condition… par contraste. Celui-ci est donc, empruntons une dernière fois les mots de Victor Rassov, « à / marquer / d’un vase canope ».
Victor Rassov, Morosités, Le Cadran ligné, ISBN 978-2-493603-07-4
Un extrait audio (six poèmes) :