accrocstich.es2024-03-15T06:48:49+01:00Florent Toniellourn:md5:81038122307d7e2161e228778e805d13DotclearUne photo, un poème sporadique, #14urn:md5:1bef87c1be0ae8787c3b279f11ed8c772024-03-14T12:34:00+00:002024-03-14T12:44:06+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="wc.webp, févr. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2024/.peace_m.webp" />
<figcaption>Hambourg, 29 février 2024</figcaption>
</figure>
<p>les couleurs<br />
protestent ensemencent contaminent<br />
l’épée — huit mètres ! — d’Otto<br />
; là comme ailleurs les<br />
pigeons & mouettes caquent sur<br />
la tête du passé<br />
radieux</p>Une photo, un poème sporadique, #13urn:md5:d9bf88168cf896de5433d8938b97e9fd2024-03-07T16:18:00+00:002024-03-07T16:54:54+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="wc.webp, févr. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2024/.rails_m.webp" />
<figcaption>Hambourg, 28 février 2024</figcaption>
</figure>
<p>la draisine de l’existence<br />
déraille souvent<br />
un remède ?<br />
métal contre métal<br />
hymne à la vitesse<br />
: étincelles !</p>Pour Traction-brabant 107 : Canadaurn:md5:d980263a5eccb06e5c60f8c5f84c173d2024-03-05T07:33:00+00:002024-03-05T07:46:59+00:00Florent TonielloNotes de lectureLecture audioTomasz BąkTraction-brabant <p><img alt="" class="media media-left" src="https://accrocstich.es/public/2024/.canada_m.webp" />« Montre-moi ton passe-partout / et je te dirai quel gauchiasse tu es. » Dès le poème qui ouvre le recueil, ça cogne. Et ça ne s’arrêtera pas : Tomasz Bąk observe, critique, ironise, n’épargne personne, pas plus « les promoteurs des valeurs progressistes » de gauche que « les attachés aux valeurs culturelles » de droite. Oui, ça cogne. « Tape, je te dis. Vise le système et frappe. » Dans ce monde désolant que sa génération a hérité, le jeune poète écrit entre autres sa colère sourde face à une société où « il n’y a pas de conte de fées qu’on ne puisse transformer en porno ». C’est à un flux d’images ininterrompu qu’il nous convie, faisant défiler devant nos yeux les scènes qu’on pourrait voir sur les chaînes d’information continue, les commentant avec un humour sec qui refuse le politiquement correct : « les Jaunes produisent, les Noirs vendent, / les Blancs en tirent profit. Et chacun est satisfait, le monde tourne ainsi. » Comment Tomasz Bąk en est-il arrivé à ce constat ? En partant d’un match de football entre les Pays-Bas et l’Angleterre, puisque sa soif d’interpréter ou de décortiquer la société prend sa source dans le quotidien qu’il scrute, et puis en laissant couler les mots.</p>
<p>En effet, ses poèmes cherchent (et citent d’abondance) le « flow », le « beat », le « funk » : « Monte l’overdrive, augmente les médiums / et écris quelques chansons sur l’amour ». La musique est forte comme les gueulantes, l’atmosphère est moderne, urbaine, faite de barres d’immeubles et de poubelles plutôt que de champs où poussent les jolis coquelicots. Laissons encore la parole au poète pour le plaisir : « Car si le monde est réellement un plateau en duralex / qui repose sur quatre crocodiles aiguisant leurs dents, / alors sur ce plateau je suis un cheveu. Sur ce plateau je suis / une cicatrice. Comme un fromage fondu à mort dans un micro-ondes. »</p>
<p>Dans cet univers littéraire où la contestation et l’observation sévère figurent parmi les moteurs des strophes, où politique, société et religion se télescopent pour se voir pourfendre, la traduction de Michał Grabowski (épaulé par Clément Llobet) restitue la franche et limpide oralité des poèmes tout en transposant leurs références culturelles avec habileté — tandis que l’intéressant glossaire en fin d’ouvrage apporte des précisions utiles. Engagé, social, distant pour mieux critiquer la réalité, proche pour mieux l’embrasser, Canada est un recueil bref mais vigoureux, dans une langue d’aujourd’hui qui fait mouche. Tiens, au fait, « si l’espoir meurt vraiment en dernier / qui donc éteint la lumière ? »</p>
<p>Tomasz Bąk, <em>Canada</em>, traduit par Michał Grabowski avec la collaboration de Clément Llobet, éditions LansKine, 80 p., 16 €, ISBN 978-2-9578277-5-6<br />
<em>Cette chronique a paru dans le numéro 107 du poézine </em>Traction-brabant<em>, <a href="http://traction-brabant.blogspot.com/">à découvrir ici</a> si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.</em></p>
<hr />
<p>Deux extraits, dont un premier en audio, le poème éponyme :</p>
<div style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;">
<audio controls="" preload="auto"><source src="https://accrocstich.es/public/2024/Canada.mp3" /></audio>
</div>
<p> </p>
<p> </p>
<p><strong>Apocryphe</strong></p>
<p>Horaires d’été, festivités en plein air jusqu’à l’aube blanche<br />
ou la première intervention de la police. Il n’y a pas de miracle.</p>
<p>Après plusieurs heures en plein soleil on aperçoit dans les rues<br />
des interprétations de scènes de l’Évangile, des saints en tongs.</p>
<p>Hier, par exemple, j’ai failli percuter à vélo le St-Esprit.<br />
Ça devait être lui, les colombes ordinaires n’ont pas cette blancheur céleste.</p>
<p>Aujourd’hui, c’est pire. J’ai rencontré un homme qui, en un quart d’heure,<br />
a joué seul une adaptation du mystère de la Passion du Christ.</p>
<p>Avant, cela me semblait impossible – d’incarner simplement<br />
et à la fois le messie, Judas et Madeleine : tomber, mourir et pleurer ;</p>
<p>ressusciter, s’épousseter et aller aux putes. Pure perfection.<br />
Sale perversion. Sans hésitations, ni présentations.</p>
<p>Il a juste marmonné le message : rester assis et boire du vin rouge<br />
rend divin et capable d’avaler la divinité de l’autre.</p>Une photo, un poème sporadique, #12urn:md5:d122a2c60376bd42d5ccb3ddc50248592024-02-24T07:01:00+00:002024-02-24T07:12:13+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="wc.webp, févr. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2024/.wc_m.webp" />
<figcaption>Genève, 23 février 2024</figcaption>
</figure>
<p>ça passe ça pousse ça presse<br />
coulent d’aisance les Eaux-Vives<br />
les pantalons se baissent</p>Une photo, un poème sporadique, #11urn:md5:8825b0c13a699806edcd04fcc880b6b52024-02-16T15:05:00+00:002024-02-16T15:24:36+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="enclos.webp, févr. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2024/.enclos_m.webp" />
<figcaption>Luxembourg, 8 février 2024</figcaption>
</figure>
<p>hors des chemins du parc<br />
l’invisible remue dans sa cage<br />
des feuilles tapissent un sol<br />
qu’il ne faut pas fouler<br />
— du ciel stoïque devant<br />
les chatouillis de la canopée<br />
ne coule rien : pas une goutte<br />
de lyrisme dans ce poème<br />
juste une vague impression d’enfermement<br />
; le véritable univers<br />
inaccessible entier dans<br />
une ironie rectangulaire</p>Une photo, un poème sporadique, #10urn:md5:8f6234554383435b241e0ba2c0ee74f02024-02-08T12:22:00+00:002024-02-08T12:33:45+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="andalou.webp, févr. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2024/.andalou_m.webp" />
<figcaption>Séville, 4 novembre 2018</figcaption>
</figure>
<p>écris bien exprime-toi bien<br />
cultive l’aphorisme<br />
l’image heureuse<br />
l’ironie mordante —<br />
arrache tes pensées pour<br />
les coucher sur les murs ;<br />
disperse-les dans les champs —<br />
donne du burin à tes mots<br />
comme s’ils devaient graver<br />
ton épitaphe :<br />
sentence imparable pour<br />
des siècles et des siècles</p>Une photo, un poème sporadique, #9urn:md5:202861c628367829e45236f2cf00f01f2024-01-30T08:24:00+00:002024-01-30T09:43:28+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="saxo.webp, janv. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2024/.saxo_m.webp" />
<figcaption>Luxembourg, 10 janvier 2024</figcaption>
</figure>
<p>bruissante la vallée<br />
crissement de roues<br />
caténaires aux étincelles<br />
charbon aigu des mésanges — tu<br />
tords ton embouchure<br />
gigotes depuis le toit<br />
poussée sans bruit des mousses<br />
or jamais ma bouche<br />
cou tendu<br />
n’atteindra ton anche<br />
je salive de bave silencieuse</p>Un monde très sportifurn:md5:7412ca3e5236f690fd4c35659f28c1672024-01-24T13:56:00+00:002024-01-24T14:47:50+00:00Florent TonielloChroniques-minuteLecture audioPatrice Maltaverne <p><img alt="" class="media media-left" src="https://accrocstich.es/public/2024/.sportif_m.webp" />La poésie de Patrice Maltaverne est exigeante. Pas difficile d’accès, non : exigeante dans le bon sens du terme. On voit çà et là tant de vers éthérés, usant de mots simples, décrivant des situations faciles à reconnaître ou à analyser que lorsqu’un recueil résiste — au départ du moins — à l’identification aisée d’un fil conducteur ou d’une thématique globale, on doit parfois mobiliser son énergie pour en continuer la lecture. Et tant mieux : si le poète a dépensé de l’énergie pour écrire, celui ou celle qui le lit peut bien aussi faire un petit effort. Il faut dire qu’ici, ça commence bien : « Un corps d’adolescent / a été poussé au fond d’un cercueil ciré ». Mais, on l’a vu, il ne nous sera pas servi de poésie narrative strictement documentaire. Qui est l’adolescent, que s’est-il passé ? Tout au plus aurons-nous des indices. En tout cas, « avant le plongeon final / sa vie devait dépasser / la vitesse de la lumière ». Le décor que plante Patrice est, comme souvent chez lui, celui d’une ville moderne et banale, pas celui d’un quartier historique classé ni celui d’une campagne fantasmée. On ne sait comment y jouir « de ces champs d’orties / acclimatées / où paît une bande de pneus ». Sans doute les cubes de béton y sont-ils majoritaires. Le « paradis artificiel » présente en outre des dangers : on y rencontre un « corps stigmatisé par les ronces »… tandis que « l’humain n’est plus qu’une chose / bêtement soudée par la peur ». On rencontre aussi pas mal d’autos, car l’auteur, expérimenté, sait s’emparer de tout pour créer la poésie. Les produits de l’industrie permettent en outre des élans surréalistes : « Il y a tellement de parkings / dans ces voitures / que les mammifères supérieurs / se vitrifient ». Combative, la nature résiste tant bien que mal : « pour ne pas devenir loques / les branchages tassent la tête / contemplatif mausolée du hasard ». C’est donc à des poèmes d’ambiance en forme de feu d’artifice d’images que nous invite l’auteur, confiant dans notre capacité à nous imprégner de vers qui ne se livrent jamais sans déclencher auparavant un stimulus mental. S’il n’y a rien d’obscur dans la syntaxe, si les phrases sont limpides prises une à une, une certaine volonté de brouiller les pistes est patente. Allusions et bribes d’histoires tissent ainsi majoritairement leur toile en filigrane. « Quelquefois le sport vient de l’enfer / où nous sommes plongés » : le <em>Monde très sportif</em> du titre se rapporte au fond autant à l’écriture cadencée, à l’ambiance sophistiquée qu’au halètement de la lectrice ou du lecteur. Essoufflé après avoir reposé le livre, on sait gré à Patrice Maltaverne ne nous avoir emmenés dans une poésie moderne, vivante… et exigeante.</p>
<p>Patrice Maltaverne, <em>Un monde très sportif</em>, Les Lieux-Dits éditions, ISBN 978-2-493715-40-1</p>
<hr />
<p>Extrait audio :</p>
<div style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;">
<audio controls="" preload="auto"><source src="https://accrocstich.es/public/2024/sportif.mp3" /></audio>
</div>Une photo, un poème sporadique, #8urn:md5:2f32db8e33deddbab360a3551ba5c9e22024-01-20T10:46:00+00:002024-01-20T10:59:10+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="soleil.webp, janv. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2024/.soleil_m.webp" />
<figcaption>Luxembourg, 20 janvier 2024</figcaption>
</figure>
<p>hé ! carillon<br />
aux passantes gelées<br />
aux passants frappés<br />
: aujourd’hui joue donc<br />
place du marché<br />
l’<em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=eHazRrfydSo">Hymne au soleil</a></em><br />
de Lili Boulanger</p>Une photo, un poème sporadique, #7urn:md5:efc36fb242497be002bc9a949ae135852024-01-09T10:35:00+00:002024-01-09T10:38:59+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="moorea.webp, janv. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2024/.moorea_m.webp" />
<figcaption>Moorea, 13 août 2011</figcaption>
</figure>
<p>sans trembler<br />
au mercure qui dégringole<br />
(enfin !)<br />
tu opposes<br />
le froid intellect<br />
d’un souvenir<br />
de lagon — le brut<br />
édifice du corail<br />
contre l’océan :<br />
le froid est un état d’esprit</p>Une photo, un poème sporadique, #6urn:md5:8969e53cf5cae83d27a09100c95de7c92024-01-05T10:51:00+00:002024-01-05T11:14:45+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="chateauneuf.webp, janv. 2024" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2023/.chateauneuf_m.webp" />
<figcaption>Châteauneuf, 20 novembre 2023</figcaption>
</figure>
<p>ourse ou laie je</p>
<p> vaque<br />
membres déconstruits<br />
nuages invoqués au<br />
plafond des sons<br />
rauques — feuilles cambrées<br />
d’une lutte automnale</p>
<p> tourne<br />
autour de mon<br />
axe du bien-pensé chaud<br />
d’un breuvage âcre — visions<br />
diurnes & vœux tièdes<br />
; champs à investir<br />
de vocables</p>
<p> grogne<br />
griffue — fumigation<br />
des sens écartés du corps<br />
terre au goût<br />
de mousse torréfiée<br />
mousse au goût de<br />
terre brûlée</p>
<p>des ailes :<br />
chouette je serai</p>Une photo, un poème sporadique, #5urn:md5:66423a812e101adb96f7a62d99f815cd2023-12-27T08:15:00+00:002023-12-27T08:15:00+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="chaise.webp, déc. 2023" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2023/.chaise_m.webp" />
<figcaption>Kraainem, 16 décembre 2023</figcaption>
</figure>
<p>je rêve d’un bureau au cœur<br />
des réseaux qui tissent sous le bitume<br />
des ruisseaux puants<br />
des cloaques coulants</p>
<p>— un bureau où tourner<br />
sur un fauteuil de président<br />
& piocher dans les déchets qui flottent<br />
les plans d’un chantier immense<br />
d’une surface nouvelle<br />
sans ruisseaux puants<br />
sans cloaques coulants</p>
<p>rien de dissimulé, non :<br />
la franche table rase d’un nouveau commencement</p>Les Sentiers de recouvranceurn:md5:633c119d0ee20ecfb74854a180f2bc112023-12-23T11:45:00+00:002023-12-23T11:56:07+00:00Florent TonielloLittératures de l’imaginaireÉmilie Querbalec <p><img alt="" class="media media-left" src="https://accrocstich.es/public/2023/.recouvrance_m.webp" /></p>
<p>C’est dans le cadre de la préparation d’un entretien croisé à paraître à l’automne 2024 que j’ai pu lire <em>Les Sentiers de recouvrance</em> avant sa publication officielle en janvier prochain. Je n’avais pas initialement prévu d’article sur l’ouvrage, en tout cas pas, pour diverses raisons, dans les journaux papier qui accueillent certaines de mes recensions. Mais, à la lecture, il m’a paru impossible de ne pas rendre compte de ce roman.</p>
<p>« Ayden se sentit aussitôt moins angoissé. Dans sa tête, les lombrics reprirent leur travail silencieux d’aération et de fertilisation. Les embryons de charmes, de chênes et de châtaigniers se remirent à absorber les éléments nutritifs contenus dans leurs graines, et leurs radicelles à s’enfoncer dans les profondeurs tièdes du monde. La toile invisible des réseaux micellaires renouait sa conversation secrète. » Après plusieurs livres qui faisaient ressentir avec gourmandise le vertige de l’exploration spatiale, Émilie Querbalec fiche ses mots dans l’humus de notre bonne vieille planète. Comme Kim Stanley Robinson, qui après sa trilogie martienne nous a gratifiés d’un <em>Ministère du futur</em> en forme de plaidoyer pour les générations futures ici-bas et pas dans l’espace, l’autrice se coltine à la fiction climatique avec en tête l’envie de « réparer nos liens à la Terre ». Et elle célèbre celle-ci avec beaucoup de soin, détaillant espèces végétales ou animales avec une plume agile, dans ces années 2030 où la montée des eaux a rendu le bord de mer périlleux, où l’« érosion se [mesure] maintenant à l’échelle d’une vie humaine, modifiant les mentalités et les comportements de manière progressive ou brutale, selon les cas ».</p>
<p>Difficile, dans ce futur proche, de ne pas céder à l’écoanxiété, en particulier pour les jeunes dont l’avenir pourrait être sévèrement compromis. C’est dans ce contexte qu’Ayden, qu’on a rencontré plus haut, va croiser le chemin d’Anastasia dans une Bretagne propice à la recouvrance — ce beau substantif un peu désuet, mais qui dégage une harmonie potentielle dont le livre entend se faire l’écho. C’est qu’au-delà du réchauffement climatique sévère, les deux adolescents ont dû aussi affronter d’autres épreuves personnelles. La recouvrance qu’ils entament, en harmonie avec la nature, devient ainsi l’image de celle que le genre humain se doit de mettre en œuvre pour retrouver l’harmonie avec sa planète. S’ajoute à cela que la jeune femme écrit de la poésie… et puis qu’au fil du livre on croise des anges ou des dragons, fantasmés ou pas (n’en révélons pas trop) : nous voilà bien loin d’un monde technocentré à l’extrême. On plonge au cœur des espèces qui peuplent la Terre, fussent-elles imaginaires. Difficile de ne pas ressentir d’émotion à la première scène d’intimité d’Anastasia avec une jument ; impossible de ne pas avoir envie de plonger ses mains dans le sol avec Ayden. Sans candeur excessive, avec une conviction étayée par un style qui chante la diversité, l’intrigue nous amène à croire vraiment que chacun possède « au fond de soi la force d’aider quelqu’un à guérir ». À l’heure où les discours clivants et les actes guerriers prennent une place prépondérante dans le flux d’informations qui nous baigne, <em>Les Sentiers de recouvrance</em> fait le choix, que partagent de plus en plus d’auteurs et autrices, de la science-fiction positive, sans mièvrerie cependant.</p>
<p>Émilie Querbalec revient souvent sur l’importance pour elle du concept de « <a href="https://emiliequerbalec.com/a-propos-de-fiction-panier/">fiction panier</a> » d’Ursula K. Le Guin. Dans ce livre, elle marche sur les traces de son illustre prédécesseure, clairement. Elle n’en oublie pas son Japon natal pour autant, puisque la fable écologique <em>La Forêt amante de la mer</em>, de Shigeatsu Hatakeyama, se trouve évoquée au fil d’un dialogue. Sources d’inspiration aussi, les rapports très précieux de l’association négaWatt, qui propose des scénarios de transition énergétique vers un partage équitable des ressources. La documentation soigneuse s’insère avec légèreté dans l’intrigue, menée avec l’empathie qu’on connaît déjà à l’autrice. Ce retour au bercail après le vide intersidéral, cet enracinement dans la terre et sur la Terre offrent ainsi son livre le plus attachant à ce jour.</p>
<p>Émilie Querbalec, <em>Les Sentiers de recouvrance</em>, <a href="https://www.albin-michel-imaginaire.fr/livre/les-sentiers-de-recouvrance/">Albin Michel Imaginaire</a>, ISBN 9782226488688 (parution le 17 janvier 2024)</p>Une photo, un poème sporadique, #4urn:md5:9e8a1d40de0c0a81510f880911b6a40c2023-12-22T05:51:00+00:002023-12-23T15:48:00+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="dino.webp, déc. 2023" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2023/.dino_m.webp" />
<figcaption>Luxembourg, 20 décembre 2023</figcaption>
</figure>
<p>crocs affûtés<br />
griffes taillées<br />
bave au taquet<br />
les tours économiques<br />
plastifient à<br />
tour de bras<br />
pour distraire<br />
colorent<br />
pour régner :<br />
« Avertissement : cette machine à remonter le temps ne convient pas aux sauriens de moins de trente-six mois. »</p>Pour Traction-brabant 106 : La Chambre et le Barilleturn:md5:f0950eb51070f3da077ab65c533665662023-12-20T11:42:00+00:002023-12-20T11:42:00+00:00Florent TonielloNotes de lectureTom BuronTraction-brabant <p><img alt="" class="media media-left" src="https://accrocstich.es/public/2023/.barillet_m.jpg" />Dès le début, Tom Buron « percute et brésille le verbe ». C’est donc au sein du « territoire de la langue » qu’évolue ce recueil, territoire d’intense intérêt sur lequel le poète entend reprendre le contrôle, car il est devenu champ de bataille : « Une nuit qu’ils remaniaient la langue / en baroqueries industrielles et remplissaient / leurs missions dans les combustibles, / des centurions / prenaient d’assaut la périphérie ». Avec les « dogues du vendredi soir » comme antagonistes, <em>La Chambre et le Barillet</em> tient du récit de bataille épique contre le désenchantement provoqué par la standardisation du discours. La preuve ? Une abondance de mots rares et précieux — paraclet, hérésiarque… tiens, est-ce un hasard si ces vocables relèvent du champ religieux ? — qui font leurs emplettes dans « la grande épicerie / de la langue française ».</p>
<p>Histoire de bataille donc, symbolique plutôt que strictement narrative. Dans une première partie nommée « ad undas — déroutes et combats singuliers », on devine un enfant qui se dresse contre « le triomphe de l’immédiateté ». Et comme « le carnage est son épice », la violence des mots se déchaîne sa vie durant, rendue avec une fascination pour la sonorité par Tom Buron, qui joue d’homophonies (l’athanor croise l’éthanol) sur le chemin de ses vers. Viennent ensuite les « derniers rounds avant mue » ; là aussi, la bataille fait rage, une « morale au revolver » se dessine, laquelle commence à livrer des pistes d’interprétation pour le titre du livre, jusque-là énigmatique, il faut bien le dire. En bon amateur de musique, le poète évoque la fugue pour moquer les « monologues idiots / creusés dans la débâcle ». Serait-ce, enfin ! le triomphe de la langue vraie ?</p>
<p>La troisième partie, qui partage son titre avec celui du recueil, installe une ambiance de détective privé ou de bourlingueur à la Cendrars (« quel alcool pour me ramener à Dakar quel accord pour retrouver Pétersbourg »), jouant encore de sonorités (l’alacrité sur la caldeira) pour s’adonner au « tournoiement du barillet ». Le western spaghetti n’est pas loin non plus. Le choix de ne plus passer à la ligne, mais de séparer les fragments de phrases par des tirets cadratins, crée un rythme plus haché — mais en même temps une impression de prose qui renforce l’atmosphère de polar. Repensons aux centurions cités plus haut : on a donc voyagé dans l’histoire ainsi que dans les genres littéraires, livrant une bataille inlassable contre l’étiolement du langage. Pas mal, pour un opuscule de 32 pages qui tient dans la poche.</p>
<p>L’objet, en effet, a été soigné par l’éditeur : dimensions adéquates pour un transport aisé (le transport des sens étant assuré par l’auteur, cela va de soi), coin supérieur arrondi, belle impression en tirage limité (ne tardez pas…), tout concourt à donner à ce petit livre une prise en main qui met en condition pour la langue épique de Tom Buron. Et comme « jouer à s’écorcher le mot » restera longtemps un affrontement entre tenants de l’appauvrissement servile et chantres de l’ouverture des paroles au monde, celui-ci conclut avec les mêmes vocables que ceux qu’il a utilisés au départ : « ad undas », mais que surtout l’on ne jette pas <em>La Chambre et le Barillet</em> aux flots !</p>
<p>Tom Buron, <em>La Chambre et le Barillet</em>, <a href="https://anglemorteditions.com/publication/11-h-18/la-chambre-et-le-barillet/">Angle mort éditions</a>, 32 p., 6 €, ISBN 978-2-9578277-5-6<br />
<em>Cette chronique a paru dans le numéro 106 du poézine </em>Traction-brabant<em>, <a href="http://traction-brabant.blogspot.com/">à découvrir ici</a> si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.</em></p>
<hr />
<p>Un extrait de « derniers rounds avant mue » :</p>
<p><strong>VII</strong></p>
<p>Il y eut tant de domiciles et tant d’expéditions<br />
nous avons tant entendu les hommes parler d’éclat<br />
par épines et chardons<br />
charbon sur les rétines<br />
impeccablement séditieux à la poursuite<br />
de l’Histoire et des mutilations<br />
enregistrant la racine des lendemains<br />
au parapet de monologues idiots<br />
creusés dans la débâcle</p>
<p>Depuis les cellules de cet asile<br />
profondément désolé de ne<br />
pouvoir en fin de compte<br />
n’avoir d’intérêt qu’en la brûlure</p>Une photo, un poème sporadique, #3urn:md5:d6b97a7eb46e60b0ecad40ad9e7b18472023-12-16T07:36:00+00:002023-12-23T15:48:52+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="pouilly.webp, déc. 2023" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2023/.pouilly_m.webp" />
<figcaption>Pouilly-en-Auxois, 20 novembre 2023</figcaption>
</figure>
<p>on avale on déglutit<br />
l’écho cavale on glapit<br />
dans le noir enfoncé<br />
humide voguant<br />
— la main cherche<br />
dans l’eau glaciale<br />
une carpe providentielle<br />
ou<br />
une grenouille<br />
princière !<br />
gluante & salutaire</p>Une photo, un poème sporadique, #2urn:md5:8c1d3efaf66addb35897ed478e34b1cd2023-12-07T20:35:00+00:002023-12-07T20:44:26+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"> </figure>
<figure class="media-right"><img alt="coprin.JPG, déc. 2023" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2023/.coprin_m.jpg" />
<figcaption>Romont, 19 novembre 2023</figcaption>
</figure>
<p>fuis le coprin aux<br />
cheveux ras<br />
:<br />
sous terre<br />
conspire<br />
son mycélium</p>
<p>— bientôt<br />
fuseront alentour<br />
les spores agiles<br />
de l’ultime envahisseur</p>
<p>— un jour viendra<br />
où tu feras<br />
aussi<br />
office de substrat</p>Le long des fissuresurn:md5:b0347868aa9d0934b5eca718ac88234b2023-12-05T16:56:00+00:002023-12-05T16:58:03+00:00Florent TonielloChroniques-minutePatricia CartereauÉric Pessan <p><img alt="" class="media media-left" src="https://accrocstich.es/public/2023/.fissures_m.webp" />« Marcher pour écrire, c’est avant tout marcher. L’écriture viendra peut-être plus tard. Le premier effet de la marche, c’est le vide : la disponibilité aux chemins et la mise à distance des pensées trop présentes. » Pendant une résidence à Marseille, Patricia Cartereau et Éric Pessan décident d’explorer le sentier de grande randonnée 2013, par la chaleur caniculaire de l’été 2018, pour ensuite fixer leurs expériences croisées de peinture, dessin et écriture. L’un des intérêts de ce livre est que ce n’est pas celui d’un écrivain et d’une plasticienne dans des rôles définis et séparés ; dans les textes, il faut guetter les accords féminins pour savoir quand la narratrice s’exprime, même si au fil des pages on apprend à distinguer les styles… qui pourtant se fondent l’un dans l’autre comme seuls peuvent le faire ceux d’un couple depuis quasi trente ans à la ville. Si les écrivains marcheurs sont convoqués, si les souvenirs d’enfance ou d’adolescence reviennent à la faveur des déambulations, il n’en reste pas moins que « l’époque est à la méfiance ». On croise des hommes en armes, des clochards pas toujours célestes, des malotrus, des détritus et des crottes de chien disposées pour piéger les randonneurs. Mais le couple sait qu’« il y a de la joie à simplement sentir ses muscles lourds, à ne pas avoir passé la journée devant un écran, à s’être égoïstement coupé des soubresauts du monde ». Quand on met un pied devant l’autre, on gamberge quand même un peu, et l’on sent poindre à la lecture une écoanxiété liée à l’« ère du libéralocène », tandis que Cartereau et Pessan mesurent le privilège qui leur est accordé : « Plus je marche, plus je sais ma chance de marcher pour travailler ma langue. Ce luxe. » Loin de la glorification bobo et ampoulée d’une marche comme retour à la nature, érigée en artifice d’un développement personnel réservé aux plus riches, le couple marche « parce qu’il est inutile de le faire ». Pas pour tout le monde, et nombre de réflexions du livre traduisent en images des différences sociales – des fissures – difficilement justifiables, dans une ville, Marseille, qui les étale en plein soleil d’été. Le statut d’artiste n’est pas une sinécure non plus, mais au moins leurs vies sont-elles « bricolées de joie et de nécessité ». Et puis « la vie est migrante » et le volume gorgé d’empathie. Les mots et les images se répondent, soudain surgissent des séries de doubles pages colorées qui montrent des cailloux fascinants par la variété de leurs surfaces. Il y a à la fois du banal et de la grâce, du café du commerce et de la littérature dans cette prose et ces illustrations qui ont la sagesse de ne pas se laisser aller à l’emphase. Elles croquent un quotidien mis à distance par quelques enjambées, le temps d’une saison que le réchauffement climatique attise. « Peut-être que la littérature a aussi été inventée pour garder mémoire de ce qui n’a pas vraiment d’importance. Sans cela, qui pourrait se souvenir ? » : on se promène avec ce livre sur les ailes du papillon de l’effet du même nom.</p>
<p>Patricia Cartereau & Éric Pessan, Le long des fissures, <a href="http://www.editionslateliercontemporain.net/collections/litteratures/article/le-long-des-fissures">L’Atelier contemporain</a>, ISBN 978-2-85035-103-7</p>Poèmes pour les p’tits (qui savent lyre)urn:md5:278083a7a117f747a6c108bb2e5a37d92023-12-01T13:02:00+00:002023-12-01T13:05:09+00:00Florent TonielloChroniques-minuteYves Boudier <p><img alt="" class="media media-left" src="https://accrocstich.es/public/2023/.ptits_m.webp" />« Quand un grand-père poète écrit pour sa petite-fille, celle-ci dessine ce que les textes lui inspirent et cela donne un livre plein de poésie et de tendresse », nous annonce la quatrième de couverture. Tendresse au programme, poésie pour la jeunesse : et si on n’en parlait pas assez ? Car il y a bien, loin des expérimentations et des formalismes, une poésie vivante, bruissante, multiple, simple mais surtout pas simpliste pour la jeunesse, en témoigne aussi la parution régulière du magazine numérique <a href="https://www.gustavejunior.com/">Gustave junior</a>. Ici, Yves Boudier, qui s’avoue « sensible à la poésie lyrique », se pose pour ses lectrices et lecteurs « qui savent lyre » — parce que s’ils et elles ne savent pas lire, en vérité, il y aura bien quelqu’un qui le fera à haute voix pour leur plus grand bonheur… — en observateur de la vie dans ses composantes naturelles. L’eau, le feu, l’air, puis la graine ou l’œuf se voient consacrer de courts poèmes d’une page à la structure similaire : « L’eau // n’est pas / une goutte / n’est pas / une averse / n’est pas / un grêlon / n’est pas / une flaque », et ainsi de suite, alternant noir et bleu dans les vers, concluant toujours par « c’est la vie ». Leçon de vie scandée qui ne pourra que plaire à un public tout acquis à la répétition ; poésie descriptive de l’environnement immédiat des plus jeunes, où le corps, le jouet, et autres objets ou concepts à hauteur d’enfant s’invitent en 24 petites pages. Mais qu’est-ce que la vie, demanderont les plus sagaces ? Le grand-père lyrique, bon prince, leur offre un dernier poème qui la célèbre, où les « n’est pas » se transforment en une litanie de « c’est ». De quoi terminer en beauté avant de recommencer, comme c’est la tradition pour les livres qui charment à cet âge. Les illustrations enfantines de Blanche Pisani complètent habilement cet opus qu’on souhaite que les parents lorgnent à l’approche des fêtes. Il n’est jamais trop tôt pour se mettre à la poésie.</p>
<p>Yves Boudier, <em>Poèmes pour les p’tits (qui savent lyre)</em>, <a href="http://www.editions-lanskine.fr/livre/poemes-pour-les-ptits-qui-savent-lyre">éditions Lanskine</a>, ISBN 978-2-35963-120-3</p>Une photo, un poème sporadique, #1urn:md5:910b4a7d1a3c08b19217786e1bc397fe2023-11-30T17:23:00+00:002023-11-30T17:42:15+00:00Florent TonielloJeux littérairesSporadique <figure class="media-right"><img alt="hebdo1.JPG, nov. 2023" class="media" src="https://accrocstich.es/public/2023/.hebdo1_m.jpg" />
<figcaption>Louvain-la-Neuve, 29 octobre 2023</figcaption>
</figure>
<p>« il est évident que »</p>
<p>serrée au sein<br />
du ciment briqué</p>
<p>« vous conviendrez que »</p>
<p>la connaissance<br />
caracole — enfonce<br />
ses phalanges</p>
<p>« l’ordre naturel veut que »</p>
<p>la raison parle<br />
la péroraison perle<br />
docteure ès<br />
causes essentielles</p>
<p>« il n’y a pas d’alternative »</p>
<p>passent la muraille<br />
six faces régulières<br />
orthodoxes<br />
brandons de vifs<br />
pragmatismes</p>
<p>« cela ne souffre aucune contestation »</p>