Poèmes

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vendredi 11 juin 2021

Vidée vers la mer pleine

Pour le festival FAIM !, j’ai récemment lu trois extraits du tapuscrit Vidée vers la mer pleine. Comme ce site va bientôt atteindre deux mois sans publication (non pas que les activités manquent…), voici tout de même la vidéo :

mardi 19 janvier 2021

Nous avons renoncé aux moteurs, troisième extrait

Nous avons renoncé aux moteurs, c’est l’antépisode de Ganaha, et ce recueil se dévoile sur ce blog sporadiquement. On peut retrouver les épisodes précédents ici. Nous sommes toujours dans la première partie, intitulée « La geste de l’Oasis ».


III

pas tant une fuite qu’un élan
renoncer ? partie obsolète du périple
les nuages noirs apportent l’eau
douce & les démangeaisons
une petite crique une colline boisée
pour poser nos yeux guetteurs :
paupières bronzées nous en rêvons
une oasis comme dans les livres
en suivant un long nuage blanc
aotearoa chimère. peut-être
un quai de sable noir & sur la plage
ferons-nous un feu de joie pour ré-
chauffer nos membres salés fourbus
distillés par l’océan tiède

mardi 27 octobre 2020

La dame des hauts fourneaux

640px-Esch-Belval_Haut-Fourneau.jpg, oct. 2020
Bleeders et cheminées de décharge du haut fourneau B de Belval, Luxembourg,
CC BY-SA 3.0 Junmi

Une petite vieillerie retrouvée lors d'une restauration de disque dur, publiée nulle part, et c’est aussi bien comme ça.


Oui, je l’ai vue, moi
la dame des hauts fourneaux
la dame aux doigts gourds
de tant de fusion.
                            J’avais
chaussé d’épaisses bottes
pour pénétrer la nuit son domaine,
étendue du fleurissement des rouilles

Des martèlements la précédaient
réminiscences sonores d’amants
chauffés aux flammèches de sa chevelure ;
je sais que je n’ai pas été le premier

Le ciel s’est voilé à sa venue —
le froid m’a pénétré un instant
puis s’est changé en la fournaise
d’où elle est apparue :
                                    langueur
aux yeux charbonneux, suavité
de lèvres forgées, féminité
mâle de volonté doucereuse ;
le galbe de ses jambes nues
l’arrondi de ses hanches
disaient la volupté de la
conception des métaux ;
certaine souffrance pourtant
perçait au coin de ses yeux de braise
où se reflétait l’abandon cuisant
d’arcs électriques

Dame des hauts fourneaux, ai-je murmuré
(ou était-ce un hurlement ?)
j’ai parcouru le circuit de visite
de tes ateliers, j’ai chéri
tes gloires passées, j’ai soupiré
à ta déchéance, j’ai applaudi
à tes luttes.
                   Voudras-tu alors
m’embrasser de ta lave ?

Lorsque sa poitrine m’a touché
que j’ai senti ses aréoles
poindre contre mon corps, j’ai
fermé les yeux.
                         Interminables
minutes d’étreinte puissante
wagon empli de combustible
pelletées de passion tactile —
ce n’est que gorgé de laitier
que j’ai abandonné le plaisir

Yeux ouverts, j’ai contemplé
son absence devant les charognes de métal
mi-enterrées.
                      J’ai repris
mon chemin, frottant
sur mon avant-bras gauche
une cicatrice ténue
de pilosité grillée.

vendredi 4 septembre 2020

Nous avons renoncé aux moteurs, deuxième extrait

ganaha_couv.jpg, mar. 2020

Nous avons renoncé aux moteurs, c’est l’antépisode de Ganaha, et ce recueil se dévoile sur ce blog sporadiquement. La première partie s'intitule « La geste de l’Oasis », et son premier poème est disponible ici. Voici le deuxième.


II

Hada à la cicatrice lambeau Hada
à la poitrine gonflée les mains
qui traînent dans le sillage

Hada la fière Hada la verte déjà
tu portes les grains de vent
au fond des voiles déchirées

les notes que tu atteins sont
rampes de lancement des
fusées de mer qui nous propulsent

secousses de tes cheveux moirés
tremblements de tes avant-bras —
haut puis bas du corps de transe

Hada tu nous proclames vers demain
il en faudra des devineresses
pour borner nos habitudes se départir

des machines des circuits imprimés
des armes de destruction massive
les mines explosives cachées dans nos cerveaux

dans ta mélopée Hada survivent
le contrepoint médiéval le dodécaphonisme
un univers d’héritages à trier

les battements t’accompagnent Hada
les yeux mouillés à ton chant jusqu’à ce que
tu offres deux notes simultanées

lundi 15 juin 2020

Retourner dans la famille

Frans Hals, Malle Babbe

Sur cette aire d’autoroute
des cônes de chantier
comme des chapeaux de sorcières
enterrées là après les supplices
me disent Carol Dunlop Julio Cortázar
dans Les Autonautes de la cosmoroute
les jeux pour enfants sont des instruments
de torture : gibets presses potences

je reçois les flèches de
tes iris violets bordés de vert
le balai de ta frange
sur lequel tu ne t’envoles pas
mais que tu enfourches de tes doigts
pour repousser la mèche rebelle
taquinée par le vent
portière pas encore fermée

cette impression en entrant dans la cafétéria
qu’ici on sert de la viande d’enfants
sacrifiés lors du dernier sabbat
cet endroit de l’autoroute offre
un asile sûr
la nuit tombée
à toutes les âmes torturées
la Sainte Inquisition s’est tue à jamais

fourchette et couteau en main
devant le plateau où j’ai glissé
un flan aux mirabelles
je fais une boulette de mie
je tranche dans mes visions d’enfer
bon appétit mon enchanteresse.

lundi 18 mai 2020

La geste de l’Oasis

ganaha_couv.jpg, mar. 2020

I

vif-argent des lames de sels
rasoirs effilés d’écume
les radeaux fendent, sécateurs
de vagues, scies mouvements secs
étincelles — les mains en visière attachées

des nuits au compas
par-derrière par-devant nuées
trous noirs trop loin exoplanètes
inatteignables nous
chevauchée du continent liquide

nous cueillons les vents de tous bords
cherchons les pollens
bruits d’ailes, sont-elles réelles ?
ombrées dans les rayons
sans miel, sans cercles

dans les diamètres trigonométriques
les livres en attestent
les équations. pauvres livres imbibés
poissons ferrés — dessaler dans de grands
fûts ; qu’ont-ils contenu ?

il faut boire parcimonieusement
les gorgées douces les gorgées fraîches
peaux collées de suie marine
le choix était nôtre, certes
peaux frottées de caresses hâtives

des caisses et des caisses de livres
les circuits électroniques au rebut
corrosion inévitable de toute façon —
nous avançons au hasard provoqué
d’un sextant qui frôle les terres ravagées


Extrait de Nous avons renoncé aux moteurs, antépisode de Ganaha.

dimanche 29 mars 2020

Les effets du dopage

Le tic-tac bienveillant du coucou
ouvre les portes de mes oreilles
au silence cotonneux du soir

je couve avec reconnaissance
les microbes qui ont trouvé refuge
dans les profondeurs de ma gorge

scruter à la lumière rasante
un bouton de fièvre mal placé
nécessite des contorsions douloureuses

lesquels donnent le la :
anticorps gonflés à bloc
ou envahisseurs rêvant de butin ?

dans la proximité immédiate
de la galaxie foncent d’autres envahisseurs
pour soutirer les trésors de la Terre

envahir piller quel but étrange
de l’infiniment petit à l’infiniment grand
de nos univers imbriqués

je ne me satisfais pourtant pas
de mon statut de vulgaire butin
je joue du sabre laser des antibiotiques

mais encore quelques millénaires
avant qu’ils franchissent les parsecs
le temps des malades est relatif.

mardi 5 novembre 2019

10e anniversaire des Amis d’Edmond Dune, 28.9.2019

Un texte d’Edmond Dune et un écrit spécialement en écho à l’occasion du dixième anniversaire de l’Association des amis d’Edmond Dune, le 28 septembre 2019.


Texte d’Edmond Dune (Dans Brouillard, partie « La malle de cuir », éditions Caractères, 1956)

LA TOUX

Loin dans l’espace, du côté des Andes, quelqu’un tousse. Une petite toux sèche comme un fagot de brindilles qu’on écrase du pied. La toux voyage. Des milliers de kilomètres de voyage clandestin dans les cales des cargos. Et la voici qui entre par-dessous la porte dans la chambre du dormeur. Elle grimpe sur le lit et tire l’homme par les cheveux du rêve. Le dormeur s’assied, s’arc-boute sur ses deux bras rejetés en arrière, mange des yeux l’obscurité et écoute, écoute. Une toux. Une toux de rien du tout. C’est le voisin, se dit l’homme, et il se recouche.

Mais après la toux, c’est le pleurnichement d’un bébé esquimau, le juron d’un mineur asturien, le halètement d’une femme bantoue en gésine, le hurlement d’un soldat chinois qu’on égorge. Tout cela tourne autour de la maison, racle les tuiles, cogne aux volets. Ah, si cette toux pouvait s’arrêter ! Et l’homme se jette brutalement sur l’autre flanc, enfonce sa tête dans l’oreiller et se met à injurier tout bas les organisateurs de la misère.

Texte en écho

PRURIT

On ne sait jamais comment ça commence. Un simple picotement, en général, qu’il enfouit sous d’autres problèmes, ceux de la fin du mois ou de la note du dentiste ; que tu balaies d’un revers d’esprit, parce que l’esprit est plus fort que le corps, c’est bien connu. Un picotement qui pourrait bien devenir un fourmillement, mais tant qu’il ne se manifeste que de manière sporadique, je préfère ignorer ce qu’il susurre : les Cassandres disparaissent souvent aussi rapidement qu’elles sont survenues. On ne va tout de même pas se préoccuper des régions lointaines du mollet ou de la hanche, pas plus que du Haut-Karabakh, des Ouïgours ou du Jammu-et-Cachemire. Tous des hypocondriaques, ces faiseurs d’images en pointillé qui accusent l’essor économique.

Ça gratte un peu, quand même — mais quelques raclements d’ongles suffisent à calmer l’élancement. La chose gêne moins qu’une piqûre de moustique, au fond. Il y en a tant, des moustiques, à Pétion-Ville ou à Manokwari. Vous ne connaissez pas ? C’est que le fourmillement ne s’est pas encore transformé en démangeaison. Lorsque ce sera le cas, impossible de gratter pour nous soulager, comme qui fouille la terre dans les mines de Suárez ou de Kolwezi. Mais il semble que des plaques rouges apparaissent maintenant sur ton avant-bras. Une allergie peut-être ? Oh, trois fois rien… C’est qu’elle aura mangé un peu de ce maïs miracle, celui qu’elle a semé, celui qu’a vendu la société qui leur veut du bien. Un petit comprimé d’antihistaminique — de la même société —, un bon sommeil réparateur, et puis je ne sentirai plus rien.

Ça gratte toujours. Vraiment fort, maintenant. La femme interrompt son petit déjeuner, se contorsionne devant le miroir pour examiner ces satanés recoins de peau qui lancent. Elle scrute le tain à la recherche de lésions cutanées. Puis elle croise son regard, son propre regard, qu’attise le douloureux rappel de la condition des autres. Va-t-elle le soutenir, ce regard bleu outremer, à peine souillé de déchets nocturnes ? Non : elle monte le volume de la radio, maintenant que la musique en a pris possession ; elle applique consciencieusement la crème apaisante sans parabène du revers de la main à l’endroit caché des démangeaisons. Et d’un filet de voix faux au point d’en devenir émouvant, elle fredonne les paroles qui peupleront sa journée de labeur.

mardi 18 juin 2019

L’accord de proximité

Au sortir de l’autobus
passé minuit éclat
des yeux au fond des pupilles
résonances harmoniques
les bourdons des basses
encore dans les oreilles
cinglant appel vide
des téléphones batterie faible
un élan un tremplin
qui les fait bondir
de la rue jusqu’au septième étage
dans l’inverse d’une chute
vêtements éparpillés
par le vent qui hoquette
en rafales de souffles coupés
des doigts qui s’agrippent
à l’air brûlant aux regards
des voisins d’en face
pas encore couchés
nez dans les cheveux
poitrines survolées
par des langues râpeuses
entrelacement des images
d’un téléviseur délaissé
ambiance improvisation
dans un club de jazz
sur vinyle Blue Note
tache de rouge à lèvres
sur un verre mi-plein
anche du saxophone éteinte
ronronnement du saphir arrivé
au bout de la première face
ardeur des hanches

lui & elle seront belles
au réveil demain
si proches
accordées.

mardi 21 mai 2019

Mon requiem

Numérisation du Requiem de Gabriel Fauré (manuscrit de 1880, domaine public)

J’irai décharné dans un halo de photons
arrachant aux fantômes des lambeaux d’au-delà

mon suaire de neutrinos râpera des bribes de matière
nue sous les soleils vieillis du big-bang

de mon écharpe de quarks je nourrirai les vers
de la terre atrophiée de nutriments adéquats

je n’abuserai pas de mon escouade de muons pour me
réincarner dans les couloirs courbés du temps

en gluon de la tombe aux reflets électriques ;
en tau massif chargé de potentiel réincarnatoire



J’entamerai un ultime
désassemblage biologique
certifié conforme
           par
l’univers en expansion

Je ne crois en ce monde
qu’aux particules
élémentaires —
ma religion
c’est le boson.

vendredi 11 janvier 2019

L’oiseau chantera

Repoussoir mécanique des sans-entailles, tu presses la scie contre le bois :
des écailles de sciure s’en vont dans le matin calme, & puis les grincements
propagent des ondes de choc — il y avait hier tes pieds nus sur les aiguilles,
le pin vomissait l’ombre, l’oiseau donnait de la voix sans autre pensée que
le pignon à cueillir. L’oiseau chantera. Sans les béquilles d’un tronc qui menace
les murs ; les ailes conduisent au détachement, tes pieds nus hier sur les aiguilles
marquent ton territoire à défricher — la scie est ta maîtresse. Tu caresses son
tranchant, perle le sang, gouttes éparses sur sol balayé. Demain a déjà été hier,
dans les dents effilées de ton outil, dans les notes envoyées par l’oiseau revenu, car
l’oiseau chantera. Entaille profonde ; attention à la direction de la chute : la chaleur
du métal dissipe les gouttes de sueur, & puis les craquements, les bruits annon-
ciateurs, gare ! L’oiseau chantera. Pour l’instant il observe, tes pieds sanglés dans
des chaussures de sécurité, tes gants orange, l’absence d’ampoules de contusions
de bleus — il te sait gré de ne pas avoir sollicité la tronçonneuse. L’oiseau chantera.
Défrichera sa voix matinale pour pallier l’absence, guettera le piquant des aiguilles
sur tes pieds à nouveau nus. Les broyats feront la joie du compost, les murs s’épa-
nouiront sans l’ombre menaçante ; découpage au programme demain, & aussi
pépiements roucoulements piaillements gazouillis, l’oiseau chantera & tu seras
devant une tasse d’Earl Grey brûlant — la masse verte a raclé le sol, tu pourfends
de ta scie, croisé mirifique de la place nette & des oiseaux en cage de préférence.

mardi 11 décembre 2018

Enfin offline

Photo : Serge Papin (CC BY-NC-ND 2.0)

Au-dessus du pont — passage étroit gondolé de bitume
où les trous attirent le contrebas de l’eau sale. Dépasser ?
Une gageure, lents pas de la fillette ; sac à dos de marque
& baskets roses. Les couettes sentent le tressage laborieux —
infinité de filins sages, l’école n’est pas dans les buissons
qui bordent la rive encombrée de déjections de canards, sur
les ballons dégonflés. Ses lents pas au biberon d’un appareil
électronique je suppose, boursouflure de métaux coltinés dans
des mines sans couettes, sans baskets & sans canards : pression
des doigts, son amusement au détriment de qui, dans les mines,
là-bas ? Le serre-tête est propret, lents pas, fillette absorbée —
bientôt la quille, la fin du pont, ne plus trépigner pour
dépasser son concentré d’époque numérissime en devenir ; pour
respirer l’air fluide du parc sans coltan ensanglanté. Écran large
sur la piste cyclable, panoramique des balançoires & de la tyrolienne,
dépassement en souliers à peine traités contre la pluie : ses lents pas
s’attachent à un livre… Couverture cartonnée ; caractères noirs sans
illustrations, une attention de binge-watching en version total-
ement analogique — se retourner discrètement pour ne pas faire
l’exhibitionniste, repu des pages de papier & le compte rendu à écrire
dans la tête. Les souliers étonnés, eux, rentrent crottés de la boue
qui emplit le parc après la pluie ; il faudra vraiment les traiter.

mardi 18 septembre 2018

Maeva

Photo : privée

& dans ces longues pirogues nous avons entassé les trésors :
graines & peaux ; eau douce & précieux mono’i pour
assouplir les traversées étoilées ; fruits de l’arbre à pain et
délicieux poe. Les vents n’ont pas rechigné la veille de notre
périple — gagnés par le sommeil nous avons vu des étendues
turquoise se sertir de coraux & trancher à vif les fureurs des
vagues. Au matin la brise était fraîche & les feux semblaient
vides de derniers souvenirs — nous avons recueilli la rosée
& lavé nos visages enfumés. Départ à l’aube de la
caravane des eaux profondes, car l’ailleurs est notre nectar —
notre souffle de bulles qui lentement remontent à la
surface. Alors la terre s’est éloignée, laissant place au glis-
sement paisible ; nos cornées ont durci aux rayons du
soleil austral ; nos iris ont traqué les signes — nous savions
le prochain atoll avant de l’entrevoir, les voiles étaient gonflées et
l’exil confortable. Nous avons orné nos cheveux de fleurs de
tiare ; les battues des tambours portaient loin — les voix
résonnaient sans pourtant qu’il soit besoin de polyphonie.
Alors nous avons ramé, ramé, dans le triangle de notre Poly-
nésie nourricière — & les oiseaux se sont tus, remplacés par
les évents narquois et les clapotis prometteurs. Enfin s’est élevée
sous les longs nuages rudoyés par le couchant une cantilène à
l’aspect de présage : « Maeva, maeva : bienvenue aux voyageurs.
Mauruuru, mauruuru
: merci pour les semences, les chants &
les danses. Haere mai, haere mai : venez, et que la terre vous soit
féconde. » & la marée à peine s’est dérangée — puis nous avons
sombré dans un rouleau d’écume et d’optimisme éclairé

lundi 30 juillet 2018

Le tunnel sent le joint

Photo CC0.

Baisers échangés aux particules cannabinoïdes, les aréoles
se dressent — foin du passant qui feint d’ignorer, les oiseaux
aussi se sont regroupés sous le vent, commencent à chanter
plusieurs tons plus haut. Caresse des fumerolles à l’intérieur,
ça bout, ça halète, les sirènes au loin n’ouvrent pas l’attention —
consumer par le bout, lentement, cligner des yeux au cliquetis
du néon faiblard ; dehors tout est noir. Dedans tout brille de
la turgescence rouge vif. Encore un passant, avec un chien
baveux qui renifle — planter le mégot dans la fourrure de Médor,
comme pour mettre le feu à la moquette puis appeler les pompiers
des crachats glaireux. Âcre, bulbeuse fragrance qui lève le
voile des pudeurs insipides — dans la nuit les cris, les vociférations
intérieures sans un bruit pour tirer en douceur encore une fois
une avalée melliflue d’euros soutirés on ne sait comment.

mardi 26 juin 2018

Tant de titres

Photo : Thomas Hawk, CC BY-NC 2.0

Sur la devanture mouches écrasées, suie collante — le propriétaire est
mort il y a belle lurette ; les livres affrontent avec courage les tempé-
ratures d’aquarium tropical en cornant leurs pages au soleil. Les logiciels
marquent toujours des commandes en attente — le chien qui se soulage
sur le seuil ne s’embarrasse pas de la TVA, une affiche promet la lecture
d’une autrice déjantée l’année précédente. Des braises couvent à travers
la cloison du fournil attenant, cent pour cent biologique, des croissants
à faire se damner le pervers marquis — afflux du dimanche matin, pour
la crotte du chien il faudra attendre le lundi. Pas d’arrêté municipal contre
la prise en otages de milliers de signes : les correcteurs n’ont même pas
été payés au salaire minimum, quand encore il y en a eu — mais les vers,
les paragraphes, les feuillets vivent leur vie propre de stock, contournent
habilement les édiles. Ils sont dans les têtes, dispersés, attendant la vie
nouvelle des logiciels lorsqu’ils en auront fini avec les commandes : d’un
multivers à l’autre relier les bribes de par cœur pour reconstituer les
chefs-d’œuvre qu’auront tapés à la machine obsolète une armée de singes —
les feuilles du catalogue sont encore ouvertes sur le bureau, à l’intérieur ;
la clé a été fondue en usine de recyclage, métal léger mais inconnu.

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