Épousées par l’écorce, voilà un nom en forme de programme pour cette jeune maison d’édition qui entend associer le phloème — tissu conducteur de la sève — au poème, les images aux mots : chaque ouvrage, à l’ample format soigné, est une rencontre entre artiste et poète. Pas forcément une collaboration, mais en tout cas une juxtaposition productive de deux œuvres à part entière, que la fusion de deux titres matérialise sur la sobre couverture. Aux Ptérodactyles d’Étienne Vaunac répondent donc les illustrations numériques Logistics : The Extend de Grégory Chatonsky. Celles-ci montrent des corps bizarres, qu’on croirait mutants ou mutilés, aux membres incomplets, inexistants, voire fantaisistes. Les teintes bleu et violet créent une lumière irréelle où la familiarité — on reconnaît des corps humains — le dispute à la perplexité. Des couleurs et une impression d’étrangeté qui, même si c’est là le hasard de la mise en commun de deux travaux distincts, caractérisent aussi les poèmes. De ptérodactyles, on ne verra pas le bout des griffes. Mais c’est tout un bestiaire qui s’invite page après page : « comme les chamois / nous nous déplaçons dans notre propre corps / cramés par l’été jusqu’à la transparence ». La langue d’Étienne Vaunac use volontiers de mots rares et précieux, les associant aux êtres vivants dans des images qu’on ressent comme des messages codés, telle cette « ptôse que forme le guéret avec la démonstration de mon doigt ». Oiseaux, fourmilions, chauves-souris, tardigrades, tamanoirs, sauterelles, jusqu’au « gisant mandrill » parcourent ainsi avec mystère les vers de cette « forêt déliée / de ses chênes ». Rien de bucolique cependant, puisque aussi « des traders font la queue devant des planches terreuses » ; on les imagine bien effectuant leurs « cotations tropicales », alors que « les torchères crépitent dans des réacteurs nucléaires / tirés à quatre épingles ». Transpalettes et tractopelles sont également de la partie. Que faut-il comprendre ? Qu’il s’agit d’une célébration, au moins. Que le poème sort de son écorce pour dessiner un monde de dinosaures oubliés, d’époques et de mots perdus qui reviennent à la lumière. Il y a certes une contrainte, mais elle échappera sans doute à qui n’est pas habile latiniste (aux dires de l’auteur !). Quand bien même, on déguste l’élégance érudite des images, les « amibes de l’impéritie » avec d’autant plus d’intérêt que les poèmes sont adressés à un « tu » qu’on découvre féminin, qu’on soupçonne, aux « châteaux de tes seins dénoués » d’être une amante. Ainsi progresse-t-on dans un recueil à clefs qui célèbre la nature et l’amour, la nature de l’amour : « c’est fête exclue de tes tempes / entre tes troncs le foin que détrempe le soir ». Parmi les « chiralités » des titres inventifs et réjouissants, « écartée dans les fentes » rejoint à la fois l’érotisme et le nom de la maison d’édition : ces « noces drainées avec la miséricorde » seraient-elles celles de la poésie, de l’art, de la nature et de l’amour ? Peut-être bien : « il est prudent de dire / qui l’on aime et de qui / l’on est aimé ». On ne peut qu’approuver ce programme, d’autant que l’objet livre est superbe.

Étienne Vaunac, Grégory Chatonsky, Ptérodactyles. Logistics : The Extend, Épousées par l’écorce, ISBN 978-2-9585528-5-5


Deux poèmes en extrait audio, « que la triste aphélie » et « la part de sporanges » :