« Je ne suis pas une intellectuelle ma voie est celle du cœur ». Avec cette anthologie qui regroupe plusieurs recueils déjà parus et deux inédits, ainsi que divers entretiens à propos de sa pratique poétique (et picturale), Catherine Andrieu confirme en presque trois cents pages la place singulière qu’elle occupe dans le paysage littéraire : celle d’une poétesse à la voix profondément ésotérique, ancrée dans un lyrisme qui convoque transcendance et érotisme, baignée par l’amour et par la mer.
En « osmose ataraxique », elle convoque ses souvenirs, ses amants, ses amis — parfois disparus dans des circonstances tragiques — pour servir des vers libres biographiques où éclate entre autres sa passion fougueuse pour Paname, son chat disparu : « Tu as le secret de mes nuits étoilées / La rue illuminée le soir, le manège que tu regardes / Couché sur le balcon les bateaux / Je me mets au piano et nous glissons / Sur l’eau. » Le piano est en effet une autre composante des vers de l’écrivaine, qui le pratique inlassablement, au bord de la mer, d’abord la Méditerranée puis l’océan Atlantique (« L’écume des vagues porte les émotions des hommes », nous dit-elle encore). Catherine Andrieu semble, dans un élan inusité de métempsychose, s’incarner dans l’instrument. Celui-ci, aux côtés du chat, préside au déploiement de vers très charnels dans lesquels se dessine une métaphysique assumée : « La nature de ce que nous avons noué dans cette vie / Est de l’ordre du Mystère, amour trans-espèce / Folie, destin et tragédie. »
À cette dernière énumération, on pourrait ajouter obsession : lorsque la violence apparaît, elle est encore et toujours offrande à l’animal fétiche ; il s’agit d’« éclater ta boîte crânienne la cervelle ira au chat ». Ainsi la poétesse trace-t-elle avec ténacité son chemin de page en page, convoquant le souvenir de celles et ceux qui ont compté pour elle, humains ou animaux, s’appliquant à écrire et vivre un programme de jouissance malgré tous les coups portés à l’existence, comme on le lui conseille : « Tu dis écris ou jouis du piano, l’essentiel / Est de jouir. » Le piano encore, obsession mélodique, alter ego qui génère le rythme des poèmes aussi. L’antispécisme qui irrigue ce volume (« Dans une vie antérieure, j’ai été mouette ») constitue un autre leitmotiv offrant au titre sa pertinence : c’est dans le recueil consacré au peintre Anora Borra, autre de ses amis, qu’elle évoque Léda, laquelle « résiste à sa capture sur la toile ». Catherine Andrieu, elle, ne résiste pas à se livrer, nue sous ses vers, dans un élan ou souvent le cosmos est l’horizon du poème. « Je suis une vieille âme livrée au vent de l’Océan. »
Catherine Andrieu, Des nouvelles de Léda ?, Rafael de Surtis, 273 p., 25 €, ISBN 9782846725866
Cette chronique a paru dans le numéro 109 (et dernier) du poézine Traction-brabant, à retrouver ici. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil toutes ces années.
Un extrait :
Dans tes yeux de chat j’ai vu
L’horizon, l’étoile rouge qui brûlera
Encore longtemps après notre amour
J’ai jeté les partitions pour piano
Elles étaient trop gaies
Pour ma mégalo je suis celle qui joue
Du piano sur l’eau je suis virtuose
Si on m’écoute bercer mon petit chat
On m’admire car les réverbères sont des étoiles
Au sol
Reste dans mes bras pour t’endormir
Après la piqûre.
C’était quoi la probabilité de notre rencontre
Ici sur cette Terre d’Océan
Maintenant tout est noyé.