Dans ce recueil, « la langue / s’imprègne de tout ce qui l’entoure / goût de l’humus ». Mais si « feuilles et scories étincellent », la nature n’est pas le seul sujet auquel sont consacrés les longs poèmes narratifs de Laurent Margantin, dont on connaît l’admiration pour Kenneth White, chantre de la géopoétique. Ici, on pourrait parler d’un triptyque d’inspirations : la nature, certes, mais encore le temps et les relations entre les êtres. Ainsi, dans « Le chemin des invisibles », le poète commence « au milieu de ces champs / maïs coupé » pour se prendre dans les plis et replis du temps, se remémorer des figures familiales disparues, bouclant la boucle avec H. G. Wells — auteur, comme on le sait, aussi bien de L’Homme invisible que de La Machine à explorer le temps. Si l’écriture est fluide et court presque naturellement sur la page, on sent dans ces textes une attirance tout particulière pour la construction, pour le cheminement narratif. Une organisation qu’on pourrait croire bien loin du chaos du titre. Voire. En exergue, Laurent Margantin nous rappelle avec Novalis — qu’il a traduit — que « l’homme est le véritable chaos ». C’est pourquoi, autant qu’à la description précise de paysages, il s’attache à illustrer de ses vers des activités bien humaines : « il faut porter les fauteuils de 30 kilos / sur une plate-forme / où ils sont nettoyés / et leur système électrique contrôlé / puis chargés sur la chaîne / Sindelfingen, le plus grand site / industriel au monde / du groupe Daimler-Benz », écrit-il dans un poème où l’on rencontre « Salvatore gros Italien », « le Croate avec lui / dont j’ai oublié le nom » ou « Dimitri le Grec / visage sombre et énigmatique / parlant allemand / avec tous les verbes à l’infinitif ». Ces Sentiers du chaos relèvent au fond, avec leur style très direct, d’une démarche documentaire sur l’être humain dans son milieu naturel. S’y mêlent des accents humoristiques certains, tant psychédéliques (« grâce à ma naissance sous LSD / ma connaissance de l’univers n’a cessé de se développer / au fil des années / si bien que je recommanderais à tous les parents / désireux d’ouvrir l’esprit de leurs enfants / à la musique universelle / de recourir à cette technique ») que chamaniques, lorsqu’un aspirant chaman se voit démembré, puis reconstitué afin de commencer le « long chemin [d’apprentissage] qui s’ouvre devant lui ». Sur ces sentiers et chemins, toujours, le poète voyage avec beaucoup d’aisance. Son patronyme l’y prédispose, avoue-t-il : « marga en sanskrit / veut dire sentier / quand même plus de la moitié / de ton nom / serpente comme une racine / d’un monde à l’autre ». Suivez le guide !
Laurent Margantin, Les Sentiers du chaos, éditions Tarmac, ISBN 979-10-96556-80-9
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