Poétesse et comédienne de talent, Rosemonde Gérard n’est pas aussi connue de nos jours que son mari Edmond Rostand, et c’est bien dommage. Elle a, outre à sa propre poésie, travaillé à une passionnante anthologie, Les Muses françaises. Pour celle-ci, elle a écrit le portrait en vers de chacune des femmes citées, sans leur épargner ses éventuelles critiques, ce qui fait de l’ouvrage une lecture à la fois passionnante et didactique.
Le poème ci-dessous est tiré du recueil Les Pipeaux, qui fait la part belle à la description de la nature. Je ne suis pas habituellement un enthousiaste de la poésie que j’appelle « des petites fleurs et des petits oiseaux », mais la facture est ici belle et classique, sent le travail que beaucoup de poèmes contemporains sur ce thème ne fournissent pas… et puis quelle trouvaille que ce dernier vers !
Le rossignol
Quand le Printemps, avec mystère,
Va, semant par toute la terre,
De ses jolis doigts cajoleurs,
Les chants, les parfums et les fleurs ;
Quand sonnent les clochettes roses
Leurs très égayants carillons,
Et qu’autour des premières roses
Volent les premiers papillons ;
Quand l’amour, comme un voleur, rôde,
Tendant ses plus perfides rets,
Le rossignol, dans la nuit chaude,
Chante au fond des sombres forêts.
Susurrant un appel très tendre,
Que l’écho redit dans les bois,
Son chant, le soir, se fait entendre :
Plus doux que le chant d’un hautbois,
Il se glisse sous la ramée,
Colporteur d’un trouble infini,
Et plus d’une oiselle, charmée,
Sans regret déserte son nid,
Pour mieux entendre les roulades,
Les sons perlés, les roucoulades,
Les trilles que tient si longtemps
Le ténorino du Printemps.







Né en 1928 à Kâshân, mort en 1976, Sohrab Sepehri a été peintre et poète. Puisqu’il écrivait en persan, la tentation est forte de comparer son œuvre littéraire à celle de Khayyam ou Rumi. Et il est vrai qu’elle s’en rapproche dans sa métrique (pour peu qu’on puisse en juger en traduction, évidemment) et ses thèmes, sa mystique empreinte de philosophie du monde — un monde cette fois moderne, à l’inverse de celui célébré par ses glorieux prédécesseurs.
En 1981,
À l’occasion de la sortie en édition bilingue
Au hasard de mes pérégrinations en librairie, je suis tombé sur Ciel de nuit blessé par balles d’Ocean Vuong, paru aux éditions québécoises Mémoire d'encrier. Vuong est un auteur américain d’origine vietnamienne, encore très jeune : il est né en 1988. Mais on dirait que la mémoire de ses ancêtres vietnamiens le traverse constamment, de façon atavique, lui qui se présente ainsi : « Un soldat américain a baisé une jeune fermière / vietnamienne. D’où le fait que ma mère existe. / D’où le fait que j’existe. d’où le fait que : / pas de bombes = pas de famille = pas de moi. » Il aurait fallu le lire an anglais, évidemment, puisque Vuong a été réfugié aux États-Unis dès l’âge de deux ans. Mais en feuilletant le livre, et devant la puissance de ces vers, je me suis décidé à acheter tout de suite la belle traduction de Mac Charron. La violence sourd à chaque mot — tant de balles sifflent aux oreilles du lecteur —, dans ces long poèmes aux vers savamment brisés, aux cassures ostentatoires, où l'auteur s’interroge sur ses origines et semble constamment tiraillé entre deux pôles d’attraction, l’un occidental, l'autre oriental. Mais l’empathie affleure aussi, conséquence logique — souvent commune aux poètes — d’un besoin de se voir dans les yeux de l’autre qui fait que l’on existe enfin vraiment. Découverte majeure d’une voix délicieusement tourmentée... et ne sont-ce pas celles-ci qui nourrissent le mieux la poésie ?
Léo Beeckman est né en 1948 et mort en 2017. Infatigable promoteur des lettres belges dans plusieurs associations, créateur d’un fonds de plusieurs milliers d’ouvrages destiné à présenter la littérature belge dans les foires et les salons, il a aussi été éditeur. Et puis il a écrit ce court recueil intitulé Poème quantiques, retrouvé après sa mort, dans lequel sont évoqués les « fractures du temps », le « vortex », l’ubiquité du poète qui, tel un électron qui peut se trouver dans plusieurs positions à la fois, contemple le monde de ses vers courts et percutants pour dire une vérité que les tracas quotidiens font ignorer à ceux qui ne s’abreuvent pas de poésie. Les époques se mêlent, les règnes animal, végétal ou minéral se fécondent. Douze poèmes, c’est tout. Simples, concis, qui vont à l’essentiel. Mais un choc du style et du discours qui perdure longtemps après la lecture.






