« Sous les doigts on sent battre le sang » : dans ce recueil se développe une véritable poésie de l’effort, qui scrute de ses vers, strophe après strophe, les membres, les organes, « les peaux les humeurs / les textures nos viandes », tout ce qui compose un être humain en mouvement. Les extrasystoles, ces contractions prématurées du cœur, sont ainsi provoquées par la course à pied, activité propice à l’écoute du corps. Des spasmes se déclenchent, les yeux se plissent parfois. Le vocabulaire anatomique est décliné de page en page, dans une foulée généreuse d’images mais aussi de pensées, souvent liées à la morphologie : « certains mots n’ont pas de voix / les dire – quelle importance / leur silence habite l’espace / crânien / c’est tout ».

Claire Gauzente palpe, va jusqu’à glisser le regard sous la peau, barrière bien ténue qui ne résiste évidemment pas à la puissance du poème. « Sous ma peau il y a une autre peau / petite / bien plus petite – personne ne la touche / personne ne la connaît » : cette « peau-petite », avec son trait d’union, fait écho plus tard aux « sans-peaux », les herbes croisées en chemin, « serrées les unes contre les autres faisant front ». L’animal n’est pas le végétal. Si en effet le corps en mouvement que la poétesse scrute se déplace dans la nature, il est bien distinct de celle-ci, loin de toute fusion béate qui dédouanerait l’être humain de ses responsabilités en ne lui prêtant qu’un instinct naturel. D’ailleurs, « que la perfection aille se faire foutre », tonne Claire Gauzente. Tout de même, ne vise-t-elle pas la « guérison guérison / sans termes ni conditions » ?

« Au détour d’un virage parfois je sens net / le son noir et mat de ma mort » : l’introspection est quelquefois douloureuse, mais au fond salutaire. Dans notre époque hyperactive, on a rarement l’occasion de se concentrer sur soi-même et de rester un moment à l’écoute de son corps ; l’exercice est ici réalisé pour nous par une autrice qui consigne ses impressions, nous les livre dans des poèmes éminemment sensoriels, voire sensuels. L’écriture est dense, sans concession, physique. Le rythme — « cadence cadence » — est souvent effréné. On ne parcourt pas ce recueil… on court, on court, on ne s’arrête plus, tout en prêtant attention aux battements de son cœur. Et on réfléchit sur soi-même, parce que de toute façon « le sol sans accident / se fout bien de l’ombre de mes cheveux ». Une proposition poétique forte, qui exige la concentration autant qu’elle la stimule.

Claire Gauzente, Extrasystoles, avec des encres de Benoît Pascaud, Le Citron Gare, 92 p., 10 €, ISBN 978-2-9589101-0-5
Cette chronique a paru dans le numéro 108 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.


Deux courts extraits :

Je chuchote à ta gorge noyée hésitante et pure
à l’oreille tendue vers l’indicible je chuchote aussi
au ventre souple et serré je chuchote les mots
à l’hôte de ces lieux je chuchote les autres mots
tous les mots essentiels les seuls je les chuchote
inlassablement je
compte sur leur magie
ils caressent paupières
joues paumes poumons diaphragme

*

Le vent se lève
je le sens au pincement de mes extrémités
parfois la morsure ouvre large sa bouche
elle avale la peau alentour
les mouvements deviennent plus alertes
l’esprit même aigu
les yeux
plissés dans le soleil