Animal paraît sur papier chaque hiver, avec une première livraison en ligne chaque printemps. On se concentrera ici pour des raisons de longueur sur les textes hivernaux (sachant que des illustrations sont aussi proposées), mais on ne peut qu’encourager lecteurs et lectrices à se rendre sur le site revue-animal.com pour un intéressant panorama de textes contemporains inédits (et un éventuel abonnement).

« livrer querelle ; à la menthe poivrée, au trèfle ; à pleines mains froisser l’amertume — vert pâle, le velours de la sauge, carrée, sa tige » : pas de doute, la première contribution de la revue, signée Mary-Laure Zoss, nous plonge tout de suite dans la verdure du jardin et dans le thème de ce numéro, le paysage. En travaillant le sol, la poétesse tombe « en arrêt devant la cloche laineuse d’un coprin », distille sa « pensée térébrante » ; elle rend avec rythme et précision ce sentiment d’union avec la terre qui émerge lors d’une séance de jardinage, fût-elle brève.

Étienne Faure, lui, scinde sa contribution en deux : le « côté bêtes » et le « côté planches » (de théâtre). C’est au paysage urbain, parisien qu’il s’attache. Dans son bestiaire, « on ne voit pas si animale ou humaine est la tête qui dégueule depuis Notre-Dame, penchée sur le vide ». Très descriptive, sa prose poétique use d’un beau style aux inflexions très classiques.

Avec Amandine Monin, direction les alpages. Le brouillard préside à ces vers libres narratifs, au plus près des plantes comme des animaux, aux accents parfois tendres, parfois ironiques (« Le serpolet, c’est l’herbe aux fous. / On la ramasse, elle nous ramasse on s’entend bien »). La poétesse cherche au fil des vers « le chemin de sa langue », nous offrant au passage une chronique aux mots pesés et diablement efficaces. Une très belle découverte citée plus longuement dans l’extrait ci-dessous.

Olivier Domerg continue son travail sur le paysage, commencé il y a plusieurs décennies, dans la première partie de sa contribution. On est là à l’apogée de la description, avec une prose où les considérations paysagères se mêlent à la réflexion. La deuxième partie s’interroge sur la forêt, pour conclure : « Et donc, qu’est-ce que la forêt ? / le royaume des brins et des brindilles, / le riche pourrissement des troncs couchés, / le sol jonché par les débris végétaux. » Amateurs et amatrices de descriptions précises s’y retrouveront.

Emmanuèle Jawad rompt avec la prose classique par l’absence de ponctuation et le rythme nerveux de ses textes, regroupés sous le titre « Voie rapide ». Nerveux, mais aussi parfois incantatoire, comme si l’extension de l’urbanité à travers sa mobilité rapide était un paysage désirable, en tout cas inéluctable : « d’entre terrasses et passerelles qu’une sauge non comestible infuse l’air une histoire de surfaces neuves et de côtés si l’on se déplace autour à distance égale le ciel couvre l’une et l’autre provisoirement ».

Michèle Métail conclut la partie hivernale par « La cité millénaire », un texte qui se déroule en suivant un rouleau peint au XIIe siècle en Chine. On s’aventure dans le paysage par les mots ; la lecture n’est cependant pas facilitée par une écriture entièrement en capitales, les courts fragments descriptifs étant séparés par des tirets.

Soutenue par la DRAC Grand Est et la région Grand Est, la revue est impeccablement réalisée et ne propose, comme déjà évoqué, que des textes inédits. Son contenu est résolument divers, ce qui permet de satisfaire les goûts différents en matière de poésie.

Animal. Poésies d’aujourd’hui, hiver 2022 + reproduction de l’édition en ligne du printemps 2022, 153 p., 25 €, ISSN 2803-4902, ISBN 978-2-9581026-0-9
Cette chronique a paru dans le numéro 103 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.


Un poème d’Amandine Monin :

C’est l’hiver. Le berger et ses ouailles sont partis.
Seule, une brebis égarée
écoute
le rocher.

Elle attend que le vent se calme.
Elle attend que le berger revienne
écouter avec elle
le rocher.

Elle veille l’autre,
l’autre brebis,
crevée
dans l’eau qu’on a failli boire.

Elle pourrait passer l’hiver,
mon ami dit qu’il en a vu des brebis,
seules,
passer l’hiver sous le tas de neige
et donner vie à l’agneau,
l’agneau qui bondit au bout de quelques jours

Et dans la vallée aussi l’agneau bondit, il bondit
à l’abattoir, le lait coule dans les seaux, il y a de l’argent
et des labels, des cheptels reconnus, des chiens, des
camions, des 4×4, des commissions et des experts.

Il y a des rêveurs dans les villages, sur les sentiers,
des animaux de brume qui le long des ravins remontent,
certains s’étirent, quittent le troupeau, flottent — nuages
sans berger, nuages nuages.