Ce qu’il y a de bien chez Christophe Esnault, c’est qu’il ne ressert pas la même poésie dans tous ses livres, nombreux maintenant. Jugez-en plutôt à ses deux dernières publications : il a conté son enfance de pêcheur dans le nostalgique recueil L’Enfant poisson-chat chez publie.net, puis son expérience de la dysphorie dans la vindicative et logorrhéique Lettre au recours chimique aux éditions Æthalidès. Et le voilà qui revient avec ce tout petit manuel de suicide à l’humour noir, très noir, chez Conspiration éditions, comprenant trente-deux courts poèmes − huit vers tout au plus, un seul parfois.
Certains titres pourraient déjà passer pour un inventaire mortellement ironique : « Électrocution festive », « Regarder la télé six heures par jour », « Ouvrir le gaz pour mieux respirer » ou « Différer en allant voir un psychanalyste ». Mais l’imagination tordue de Christophe Esnault ne s’arrête bien sûr pas aux titres. Il compose de savants petits bijoux de concision qui frappent en pleine face ou en plein cœur afin de nous interroger, en somme, sur le sens de la vie. Parce qu’on se doute que ce minuscule bréviaire à l’intention des futurs suicidés n’est pas à prendre au pied de la lettre, mais à interpréter comme une incitation à faire quelque chose de son existence ; sinon, effectivement, pourquoi la prolonger ? Les indices qui amènent à former cette opinion se trouvent dans certains poèmes qui amorcent un pas de côté par rapport au thème rentre-dedans. Dans « Se crever les yeux ou s’entailler le bras », ne peut-on pas lire par exemple qu’« Il faut saluer les alternatives au suicide / Sans entrer dans une apologie de l’automutilation » ? Et « Les réseaux sociaux » est tout aussi clair : « Tous les suicides ne sont pas recensés / Il existe des lieux très fréquentés / Où s’opère le suicide des heures ». Ne le divulgâchons pas, mais le dernier texte, qui donne son nom au recueil, vient également confirmer cette impression.
Difficile d’en dévoiler plus au moyen de citations pour un livre de cette brièveté, mais une chose est sûre : l’écriture du poète coule de source, murmure à notre oreille sa petite musique avec un sarcasme merveilleusement dosé, convoque les références les plus atroces (« Méthode Virginia Woolf » est terrible de concision létale), le tout dans une tentative réussie de nous dérider avec un sujet pour le moins difficile. Un exercice de style en noir souriant, en somme, et des plus efficaces ; un recueil laconiquement joyeux, malgré son thème.
Christophe Esnault, Aorte adorée. Se pendre et autres idées géniales quand on s’ennuie le dimanche, Conspiration éditions, 42 p., 7 €, ISBN 979-10-95550-30-3
Cette chronique a paru dans le numéro 99 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.
Un court extrait :
24/ Nucléaire, mon amour
Prépare ton sac à dos et fonce sans tarder
Vers la prochaine catastrophe inévitable
Tu as raté Tchernobyl et Fukushima
Sois plus réactif la prochaine fois