testu.jpg, juil. 2021

Présenté par son éditeur comme un roman, Marie-Lou-le-Monde brouille cependant les pistes : en le feuilletant, on s’aperçoit bien vite que le livre est composé de vers. Le genre du roman-poème — ou du poème-roman, c’est selon — a connu récemment un succès grand public avec Charlotte, de David Foenkinos. Mais les phrases courtes avec retour à la ligne de ce dernier étaient bien loin de la poésie — le texte était à vrai dire un exercice de style un peu forcé sur un sujet passionnant. Marie Testu, dont la quatrième de couverture nous dit juste qu’elle est « une écrivaine de langue française » (merci pour la précision, vraiment) est, elle, furieusement poète. Au point qu’une bien meilleure comparaison de son ouvrage serait à faire avec l’excellent Vingt Minutes de silence d’Hélène Bessette. Mais là où celle-ci détourne poétiquement le roman policier, Testu se coltine au roman d’apprentissage et au roman d’amour. Et, en un peu plus d’une centaine de pages, le fait avec bonheur.

L’histoire est simple. Il s’agit de la brève rencontre entre la narratrice adolescente et Marie-Lou, qui débarque dans sa classe un beau jour, « sa chevelure / Trop vaste / Pour cette école ». C’est le coup de foudre : « j’ai compris / Que c’était elle et qu’elle était tout / Et que tout ça / Ce n’était rien ». Dès lors, pour celle qui écrit, le monde va tourner autour de Marie-Lou, qui séduit autant les filles que les garçons (« les désirs masculins qu’elle a pompés / Jusqu’à la moelle ») avec son magnétisme nonchalant, croquant la vie à pleines dents. Et comme « tout se rejoint toujours en / Marie-Lou », le livre sera donc une suite de poèmes narratifs mettant en scène les deux amies lors d’une sortie mouvementée en boîte de nuit ou à l’occasion d’un deuil qui coïncidera avec la fin de l’année scolaire. Jusqu’à un épilogue, dix ans après, où la narratrice revient sur cette rencontre qui l’a marquée à jamais.

Pas de pathos exagéré ni d’excès dans l’écriture pour ce livre, mais un fin travail de la langue qui se concentre sur le vocabulaire de la fascination ainsi que sur celui de l’aimée comme métaphore du monde. « Tout commence et / Tout finit par / Marie-Lou », pour revenir en ouroboros vers quasiment les mêmes mots. En évitant la sensiblerie ou la mièvrerie, Marie Testu fabrique une atmosphère où les métaphores servent et soutiennent la narration, tandis que celle-ci assure un fondement solide à la langue. Est-ce pour ne pas effrayer lecteurs et lectrices peu aventureuses que le livre est présenté comme un roman, ou bien une volonté explicite de l’autrice ? Peu importe, après tout : Marie-Lou-le-Monde, pour qui aime le genre, est un recueil de pure poésie narrative. Et des plus réussies, avec ça.

Marie Testu, Marie-Lou-le-Monde, Le Tripode, 120 p., 13 €, ISBN 9782370552563.
Cette chronique a paru dans le numéro 94 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.


Un extrait :

Marie-Lou a mis des paillettes sous ses pommettes
Plus hautes que les tours de Marseille
Et ses lèvres vanille qu’elle claque
Puisent dans les sources ocre
Des dunes de sable du Maroc
Elle a mis à ses oreilles
Des anneaux plus grands que ceux de Saturne
Plus vifs que des cerceaux de gym, qui tombent
Sur ses épaules d’athlète, sans effort

C’est le visage du monde c’est le monde en son
Visage