« Poète obscur » — à en croire sa bio un rien provocatrice —, Heptanes Fraxion traîne ses guêtres de trublion des mots dans les petites maisons d’édition depuis quelques années, après un passage remarqué par la publication de textes sur les réseaux sociaux, qu’il pratique d’ailleurs toujours. Son style ? Un mélange détonant des registres de langage, qui peuvent aller du vulgaire au précieux, au service de vers où perce une passion dévorante pour le vécu des autres, des sans-grade, des personnes qui ne sont pas chantées par les discours officiels et les manuels d’histoire rédigés par les vainqueurs. Et puis une fascination pour les freaks, aussi. Dans Ni chagrin d’amour ni combat de reptiles, n’écrit-il pas « quand je me laisse aller à la gentillesse des gens bien / jamais je n’oublie la franchise des monstres » ?

Si l’on y retrouve la poésie fortement oralisée, convoquant les alternances de rythmes, d’Heptanes Fraxion (« il n’y a pas de splendeur et les ronces effacent le / moindre détail autour des fossés qui jouxtent la petite gare ferroviaire / mon endroit préféré dans cette petite ville de merde »), le présent recueil pousse aussi dans ses retranchements une figure de style qui fait passer ses vers de la poésie à la chanson (ça tombe bien, il se produit souvent avec des musiciens à Toulouse et dans les environs) : la répétition. « mohawk / ma crête est dans mon crâne / mohawk / ma crête est dans mon crâne », scande-t-il tel un sorcier amérindien, avant de se demander en scrutant ses plaies : « l’amour qui ne fait pas mal en est-il / l’amour qui ne fait pas mal en est-il ». Il va même jusqu’à la répétition des titres, avec ces quatre poèmes intitulés « ministre » en forme de listes de fonctions ministérielles goguenardes et critiques d’une société bouffée par son politiquement correct.

Associé au mélange de tendresse et de je-m’en-foutisme belliqueux, cette figure de style récurrente donne à ce recueil un caractère hypnotique propre à provoquer la transe poétique. Dans ce « trampoline des émotions contradictoires », « nous sommes devenus aussi cons que des dieux ». Et le réveil a un petit goût de spleen qui fait qu’on y reviendra : « la seule réalité pour toi c’est l’humus aux aurores ».

Heptanes Fraxion, Ni chagrin d’amour ni combat de reptiles, Aux cailloux des chemins, 90 p., 12 €, ISBN 978-2-493404-00-8
Cette chronique a paru dans le numéro 100 (youhou !) du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.


Un extrait :

Landes

silence indicible au milieu des voitures mortes et des marais malades
parfums lourds des ombres et des souches pourrissantes

seules les banalités nous consolent et dans cette joie
pour une fois il n’y a absolument rien de morbide

nous n’avons pas assez de majeurs aux mains pour dire
tout ce que nous pensons des autorités locales

Landes
sur le chemin de la mer
j’aime beaucoup la façon déviante que tu as d’utiliser
certains légumes plus longs que larges

Landes
sur le chemin de la mer
un verger s’improvise
verger transpercé comme moi par une foudre transparente