À quoi tient la visibilité d’un recueil de poésie (je n’ose parler de succès pour notre niche littéraire bien-aimée) ? Souvent aux efforts déployés par son auteur ou autrice pour le présenter à son cercle de connaissances, à grands coups de réseaux sociaux. De ce livre qui n’a pas été montré sur ceux-ci, Antoine Gallardo, son éditeur, dit avoir vendu en tout et pour tout… onze exemplaires après sa sortie, en 2021 [erratum pour la version en ligne : il s’agit de onze exemplaires entre début 2022 (et pas la sortie en 2021) et l’annonce des prix CoPo], avant qu’Il saignera des cordes reçoive le prix CoPo et le prix CoPo des lycéens en 2023. Beau doublé. Réparons donc une injustice en lui consacrant cette note dans Traction-brabant, gage s’il en est de notoriété !

Car Il saignera des cordes, pour rester sérieux, est un excellent recueil. Une page liminaire nous apprend qu’on y rencontrera Ulysse, un homme écroué loin de chez lui, qui tient pendant sa captivité grâce au souvenir de la voix de sa femme. Piochant chez Homère une inspiration qu’il repeint aux couleurs de l’incarcération moderne, Nicolas Gonzales sert un compte à rebours jusqu’à la libération, en quatre époques : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Le poème d’amour se présente ici comme émouvant, mais aussi angoissant ; la promesse du titre, « il saignera des cordes », est faite dès le premier texte. On ne saura jamais la véritable raison de la condamnation d’Ulysse, mais ce qui est sûr, c’est que sa sortie ne sera pas de tout repos pour ses adversaires : plutôt que des roses, il évoque « le bouquet de sang frais que je vais t’offrir ». Alors qu’il s’« engage dans le sous-sol avec pour seul réconfort // des cris / des cris // et [son] auréole de mécréant », le protagoniste se figure le « regard poussiéreux d’épouse abandonnée » de celle qu’il a laissée se débrouiller sans lui (trahie ?), oscillant entre des épisodes fleur bleue et des accès d’hyperviolence. C’est ce contraste ainsi que les tropes très imaginatifs qui donnent de l’allant à ce recueil court mais musclé. Sanguin, plus exactement, tant le fil rouge du texte est le liquide qui coule dans les veines.

Tout à son entreprise de revisite de l’Odyssée dans un monde carcéral impitoyable, le poète distille des blocs de mythologie, des clins d’œil avisés : « personne / est le nom que je me suis offert // pour échapper aux mailles de l’exécution », qui plus est « en grec ancien retrouvant ma langue primitive ». Les époques sont mélangées en toute poésie ; le but n’est-il pas ici de « raccommoder le passé / avec une rustine de prosodie », homérienne de surcroît ? Avec ce texte bref et percutant, Nicolas Gonzales brasse l’amour et la violence, nous laissant parfois pantois, « la rétine perforée avec un pieu d’occasion ».

Nicolas Gonzales, Il saignera des cordes, La Boucherie littéraire, 90 p., 14 €, ISBN 979-10-96861-42-2
Cette chronique a paru dans le numéro 104 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.


0016

Te savoir là
dévêtue sur une chaise

par une salve de langues
harcelée, bousculée sans relâche

raccommodant les blessures
les braises fanées de notre amour


par une érection de porcs
encerclée, désarmée sur le ring

guettant mon retour
à travers les coutures de ta robe

déjouant les cornes, les avances
et l’ultimatum d’un viol organisé


drapée de colère et d’un réquisitoire contre moi
recyclant tes larmes en pleine offensive

interdite au chant des couilles
qui s’enracinent impunément chez moi

salopards assoiffés
de ma femme

charognards apprêtés
sans la moindre idée du massacre qui vous attend

un bain de sang déjà prêt
un long film d’horreur dont vous ne sortirez pas

vivants