Que se cache-t-il derrière ce titre au réjouissant ton professoral et au charme désuet ? Dans le prologue, un « curieux soldat cowboy » se promène à travers champs et repart avec « un tournesol / dans sa main gauche / un estomac / dans sa main droite ». Si Thomas Pourchayre plante ainsi son décor, c’est que son recueil comporte un programme : évoquer ce processus essentiel – et méconnu – qu’est pour nous la digestion, lien fondamental à un environnement naturel dont nous ignorons souvent la fascinante diversité.
Le poète convoque ensuite avec beaucoup d’humour tout un bestiaire pour aller voir ce qui se passe sous les apparences, telle cette tortue qui nous apostrophe : « en dessous de ma carapace / j’ai une cape de super-héros ! » Mais on croise aussi la mort subite du moustique, un chevreuil qui pense au chasseur et « à son estomac trop plein / de ses cuissots baignés / dans la sauce au vin », une salamandre qui « tente son dernier feu », pas mal d’oiseaux… Comme englouti dans le champ sémantique de la digestion, le recueil sert une poésie narrative ironique, en symbiose avec la nature – laquelle peut parfois être cruelle aussi. Et puis ne nous épargne pas les images peu ragoûtantes : « Je n’arrive pas à m’y faire / qu’on défèque ainsi frénétiquement / comme habité de psaumes convaincus / obligés par la loi universelle de la gravité ». Ainsi vont les choses, après tout. Pourquoi la poésie le cacherait-elle ? Les « foies gras d’hommes » viennent également retourner les rôles et rappeler qu’être humain et nature ne sont pas opposés ; ils sont l’un dans l’autre, et vice-versa.
Et le chaos, dans tout ça ? Bien sûr, il s’invite grâce à la biodiversité foisonnante des textes (tiens, on aurait envie que le poète nous parle aussi des bactéries de l’estomac, tant il semble à l’aise dans l’exercice). Mais la théorie du même nom est évoquée en outre par cette interrogation d’un papillon : « comment battre de mes ailes / pour changer en bien / quelque chose / dans ce bordel ? » Et le lépidoptère philosophe de rejoindre le soldat cowboy du début pour boucler la boucle. Loin de ce qu’on pourrait appeler la poésie papillon – celle des petites fleurs et des petits oiseaux –, les vers de Thomas Pourchayre, avec leur exigence formelle, leur inventivité langagière et leur humour parfois grinçant mais toujours recherché, méritent d’être ingurgités jusqu’à satiété.
Thomas Pourchayre, Du chaos et de la bonne digestion des choses, éditions Abstractions, 118 p., 14,99 €, ISBN 9782492867101
Cette chronique a paru dans le numéro 102 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.
(reste de flamme)
Honore-moi ce soir d’une dernière ardeur
prie la mante religieuse à son amant rêveur
essore ton sexe d’un reste de flamme d’un zeste essentiel
honore-moi d’un jet vif et surtout… point de larme !
L’amant s’exécute
on ne peut mieux dire
joue jouit de tous ses sens sans pâlir
léger et généreux à l’approche de la potence
Et la mante, reconnaissante, lui concède
alors qu’il rend son dernier soupir
totalement accompli
soupirant empêtré dans sa semence
comme dans des fils fondants de raclette
de cela
mon amour
je te filerai un suaire pour l’hiver, promis