Dès le début, Tom Buron « percute et brésille le verbe ». C’est donc au sein du « territoire de la langue » qu’évolue ce recueil, territoire d’intense intérêt sur lequel le poète entend reprendre le contrôle, car il est devenu champ de bataille : « Une nuit qu’ils remaniaient la langue / en baroqueries industrielles et remplissaient / leurs missions dans les combustibles, / des centurions / prenaient d’assaut la périphérie ». Avec les « dogues du vendredi soir » comme antagonistes, La Chambre et le Barillet tient du récit de bataille épique contre le désenchantement provoqué par la standardisation du discours. La preuve ? Une abondance de mots rares et précieux — paraclet, hérésiarque… tiens, est-ce un hasard si ces vocables relèvent du champ religieux ? — qui font leurs emplettes dans « la grande épicerie / de la langue française ».
Histoire de bataille donc, symbolique plutôt que strictement narrative. Dans une première partie nommée « ad undas — déroutes et combats singuliers », on devine un enfant qui se dresse contre « le triomphe de l’immédiateté ». Et comme « le carnage est son épice », la violence des mots se déchaîne sa vie durant, rendue avec une fascination pour la sonorité par Tom Buron, qui joue d’homophonies (l’athanor croise l’éthanol) sur le chemin de ses vers. Viennent ensuite les « derniers rounds avant mue » ; là aussi, la bataille fait rage, une « morale au revolver » se dessine, laquelle commence à livrer des pistes d’interprétation pour le titre du livre, jusque-là énigmatique, il faut bien le dire. En bon amateur de musique, le poète évoque la fugue pour moquer les « monologues idiots / creusés dans la débâcle ». Serait-ce, enfin ! le triomphe de la langue vraie ?
La troisième partie, qui partage son titre avec celui du recueil, installe une ambiance de détective privé ou de bourlingueur à la Cendrars (« quel alcool pour me ramener à Dakar quel accord pour retrouver Pétersbourg »), jouant encore de sonorités (l’alacrité sur la caldeira) pour s’adonner au « tournoiement du barillet ». Le western spaghetti n’est pas loin non plus. Le choix de ne plus passer à la ligne, mais de séparer les fragments de phrases par des tirets cadratins, crée un rythme plus haché — mais en même temps une impression de prose qui renforce l’atmosphère de polar. Repensons aux centurions cités plus haut : on a donc voyagé dans l’histoire ainsi que dans les genres littéraires, livrant une bataille inlassable contre l’étiolement du langage. Pas mal, pour un opuscule de 32 pages qui tient dans la poche.
L’objet, en effet, a été soigné par l’éditeur : dimensions adéquates pour un transport aisé (le transport des sens étant assuré par l’auteur, cela va de soi), coin supérieur arrondi, belle impression en tirage limité (ne tardez pas…), tout concourt à donner à ce petit livre une prise en main qui met en condition pour la langue épique de Tom Buron. Et comme « jouer à s’écorcher le mot » restera longtemps un affrontement entre tenants de l’appauvrissement servile et chantres de l’ouverture des paroles au monde, celui-ci conclut avec les mêmes vocables que ceux qu’il a utilisés au départ : « ad undas », mais que surtout l’on ne jette pas La Chambre et le Barillet aux flots !
Tom Buron, La Chambre et le Barillet, Angle mort éditions, 32 p., 6 €, ISBN 978-2-9578277-5-6
Cette chronique a paru dans le numéro 106 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.
Un extrait de « derniers rounds avant mue » :
VII
Il y eut tant de domiciles et tant d’expéditions
nous avons tant entendu les hommes parler d’éclat
par épines et chardons
charbon sur les rétines
impeccablement séditieux à la poursuite
de l’Histoire et des mutilations
enregistrant la racine des lendemains
au parapet de monologues idiots
creusés dans la débâcle
Depuis les cellules de cet asile
profondément désolé de ne
pouvoir en fin de compte
n’avoir d’intérêt qu’en la brûlure