C’est par l’oralité que j’ai rencontré Aldo Qureshi : il recevait en octobre dernier, au Marché de la poésie, le prix CoPo des lycéens pour La Nuit de la graisse, premier épisode d’une série qui continue avec le récent Roi de la sueur. Par cœur, avec une intonation pince-sans-rire qui déclenchait les fous rires dans l’assistance. Je suis allé sur-le-champ me procurer ses ouvrages. Si vous en avez l’occasion, ne vous contentez pas de lire Aldo, savourez aussi ses performances. Mais revenons à nos glandes sudoripares.
Ce qui frappe d’entrée dans le style de l’auteur, c’est le savant mélange qu’il arrive à doser entre réalité, (auto)fiction et fantastique. Au fil des poèmes, tous écrits dans un style simple et direct, très majoritairement à la première personne, il se construit un personnage de sympathique paumé devant les mystères de l’existence : celui-ci vit dans un 58e arrondissement où les grandes chaînes commerciales de notre vie réelle sont nommées, alternant les périodes de petits boulots et d’inactivité. Ce qui lui vaut, bien sûr, de visiter régulièrement sa conseillère Pôle emploi… laquelle se révèle un soupçon sadomaso. La langue de sa mère, quant à elle, se transforme en limace, tandis que son père devient une bonbonne de gaz (entre autres !). Bref, les situations cocasses ou absurdes abondent, exacerbées par des titres décalés qui constituent des poèmes en eux-mêmes (« la petite sudette », « le velouté de mycose et son chancre meringué »).
Fil conducteur évoqué dans le titre, la sueur accompagne l’incursion des textes dans le fantastique — voire le gore, parfois, et en tout cas dans ce qu’on nomme les mauvais genres de la littérature. C’est ainsi que nous sommes transportés dans ce royaume de la sueur où des canalisations amènent les sécrétions corporelles de tous les sujets jusqu’au palais royal. Dans « l’installateur de stigmates », le narrateur annonce même à la Vierge et à Jésus qu’il souhaite fonder une nouvelle religion : « le roi de la sueur est mon dieu, et je suis / son prophète ». Convaincu, Jésus lève le pouce. Ce qu’on ne manquera pas de faire à la lecture de ce recueil iconoclaste et réjouissant.
Aldo Qureshi, Le Roi de la sueur, Atelier de l’agneau, 104 p., 17 €, ISBN 9782374280486
Cette chronique a paru dans le numéro 97 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.
Un extrait :
l’homme de l’Atlantide
je me suis encore fait virer du supermarché.
À cause de mes palmes et des bouteilles d’oxygène.
J’ai eu beau expliquer au vigile
que c’est une question de conscience professionnelle,
que je dois être prêt à plonger à tout moment,
il m’a quand même jeté sur le trottoir.
Quand on a la plongée dans la peau, on doit être prêt,
quoi qu’il arrive, à rejoindre les abîmes. Si je veux
pouvoir un jour m’ébattre en votre compagnie, poulpes,
évoluer parmi les murènes et chevaucher le calamar géant,
je dois rester sur la brèche. Même au lit je garde mes palmes.
Je dors avec mon masque et mes bouteilles, car les abysses
peuvent arriver n’importe quand. Même chez le dentiste
je m’allonge en gardant mon matériel.
Enlevez au moins votre masque,
dit le dentiste, et moi : je ne peux pas,
les abîmes peuvent arriver à n’importe quel moment.
Même si les gens se moquent de moi,
même si on ne peut pas vraiment parler
de récifs coralliens — ici, dans cette ville —
et que la seule murène du coin travaille chez Carrefour,
moi, en tout cas,
je suis prêt