mercredi 28 août 2024

Rafales

« Pour les Indiens d’Amérique, l’hiver est / la saison des histoires. Car il suffit / d’écouter le vent. Il est la mémoire de / ce territoire. Il l’a balayé tant de fois. » Et voilà que Béatrice Machet, traductrice infatigable des poètes autochtones d’Amérique, se met en quête des quelque cinquante rafales qui composent ce recueil, un mélange de récit de voyage dans la région des Grands Lacs et de spiritualité, un véritable bouillon de culture et de langues indigènes : « S’engouffrant par le nord / les vents ont enseigné leurs langues / aux Algonquins. » Tout ici respire la rive, se met à l’affût « du rose dans les ondulations » des lacs, longe les berges pour en tirer les contes et légendes ancrés dans les lieux : « Bruissements légers en lisière de plage. / Caresses et murmures. Promesses / venues de temps immémoriaux. » Car dans Rafales, c’est le temps long que l’on contemple. La mémoire affleure de l’eau qui caresse encore et encore le rivage, par-delà la grande eau salée aussi, au point que des réminiscences bretonnes se font jour dans l’esprit de la poétesse. Son « identité tribale » à elle aussi se dévoile. Alors, les mots de la finis terrae européenne viennent se mêler aux mots de la nation Anishinaabe, qui parsèment le livre comme autant de petites pierres apportées à l’édifice de l’hommage — car il est question ici aussi de dépossession des terres ancestrales. « Provoquer le vent. Le défier à la course » : ces rafales aux intonations chamaniques, où « le cuivré du couchant / Qui titube d’une rive à l’autre » éclaire d’une lueur aiguisant le regard, nous caressent et nous emportent tour à tour. Clin d’œil à un précédent recueil (Tourner. Petit Précis de rotation), constance dans la construction, Béatrice lie également son exploration américaine à l’obsession du cercle : « Circularité : on ne voit pas le temps passer / mais sa façon de reculer au fur et / à mesure que je marche. » Sans cesse, elle parcourt le paysage à la recherche de ce qu’il peut lui dire, nous dire. Sa langue contient la simplicité des légendes et la poésie des grands espaces, accrochée qu’elle est à des peuples et des idiomes pour qui la poésie est essentielle. L’autrice est allée y chercher le souffle. « D’où la nécessité du vent. Tout est lié. »

Béatrice Machet, Rafales, éditions Lanskine, ISBN 9782359631265


Extrait audio :

dimanche 25 août 2024

Une photo, un poème sporadique, #23

sain-bel.webp, août 2024
Sain-Bel, 17 août 2024

quand en vers
on roule droit
les travers
refluent parfois
espiègles esprits villageois

vendredi 23 août 2024

Epistola

Cela représente presque une gageure que de chroniquer un tel ouvrage, foisonnant, inclassable, boulimique de mots, éjaculatoire de poésie, alors que nombre de connaisseurs et connaisseuses en Lorraine et dans les environs l’attendaient depuis au bas mot… des décennies. C’est que Claude Billon écrit depuis un temps certain, a côtoyé des figures historiques de la poésie et y compte toujours des amitiés : Jean Vodaine bien sûr, le poète-imprimeur emblématique de la région dont la mémoire est perpétuée par une association locale, Jean-Paul Klée, le barde strasbourgeois, Jules Mougin, l’étonnant facteur-poète décédé en 2010, etc. En citer trop serait attenter à la modestie légendaire de Claude. Tiens, facteur, c’était aussi sa profession. Dire que ça le prédestinait aux lettres serait un bien facile jeu de mots, mais il y a de ça, en vérité. Et pourtant, ce recueil est le premier qu’il publie ! Un tour de « ce malheureux pangolin de destin mariole » ? Quoi qu’il en soit, on aura attendu longtemps avant de posséder un ouvrage avec le nom de Claude Billon sur la couverture, mais on n’aura pas attendu en vain : en majorité dans d’amples proses poétiques, souvent justifiées sur la page, il nous offre ses pensées qui circonvolutent activement, truffées de trouvailles sonores et syntaxiques, essayant en toute déférence « de ne pas rentrer à la Banque Rotschild, / s’ouvrir plutôt un coffre d’émotion chez Palestrina ». Déférence envers les figures qui ont marqué ses lectures ou son imaginaire, tels Jules Mougin ou le facteur Cheval (décidément, les facteurs…), dans une poésie où les mots grouillent, les points d’exclamation abondent et les hommages sont sincères (« la poésie d’Edmond Dune c’est des partitions de Bach imprimées avec des encres de Vodaine »). Ça fuse, ça parle en l’espace de quelques lignes autant de « réparer la gloire du myosotis » que de « l’abolition des bolides de la mort ». Pour apprécier ce coq-à-l’âne roboratif de « mots dépoitraillés », il convient de lâcher prise, de « déserter les rangs d’oignons ». Alors, on se trouve emporté par le verbe de Claude, par sa verve, par sa verdeur de poète d’expérience qui révère ses aînés, leur tient « la conversation profonde dans la fidélité » comme il peut se montrer sévère avec ses contemporains (écoutez l’extrait sonore !). Dans tous les textes, la gestion du souffle est essentielle, à tel point qu’on peut perdre haleine à les lire intérieurement. L’ambition est patente : proposer une véritable langue scandée qui fait poésie des cheminements de la pensée, avec ironie et dérision, voire autodérision. Le poète est aussi modeste et discret dans ses attitudes de tous les jours qu’il est expansif et disert sur la feuille. Parfois, d’ailleurs, il fait « juste assez poème / pour aimer » ; parfois se ménagent des pauses en vers courts, sensibles, pour mieux ressauter à pieds joints dans « les cheveux du texte comme un bouillon de vermicelles ». Il faut lire cet infatigable arpenteur des vocables, cette mémoire incollable des poètes, ce trouvère lorrain qui travaille et malaxe les lettres avec passion et constance, comme il les a distribuées.

Claude Billon, Epistola, éditions Baz'Art poétique, ISBN 9782956015857


Extrait audio :

jeudi 15 août 2024

Une photo, un poème sporadique, #22

biblio.webp, août 2024
Monaco, 11 août 2024

les discours s’empilent
derrière les croisillons du bon sens
les arguments fléchissent
se redressent pour tordre le fil de fer
bien tressé — joutes de papier
vieilli au parchemin d’une histoire des maîtres
les petites mains souquent ferme entre
les pages jaunies de leur sueur

samedi 3 août 2024

Une photo, un poème sporadique, #21

lampadaire.webp, juillet 2024
Luxembourg, 2 août 2024

le ciel brille
quand je ne l’éclaire plus
couché dans l’herbe
je me rends aux chaudes
embrassades du vent
& à l’été
j’étire de tout mon long
la nuit chaude des passants alanguis

mercredi 31 juillet 2024

Une photo, un poème sporadique, #20

camion.webp, juillet 2024
Luxembourg, 31 juillet 2024

   il sera froid
le plat de la revanche
tout est question de taille
& tout vient à point
   au végétal

vendredi 26 juillet 2024

Une photo, un poème sporadique, #19

revol.webp, juillet 2024
Luxembourg, 26 juillet 2024

il court comme une alternative
illusion que la lecture met au jour
les solides pieux plantés dans la terre nourricière
s’effritent sous la surface et
le regard porte loin — dans le flou
des années à venir, puisqu'il faut
croire encore bétonner l’optimisme
de toute façon les années à venir seront

vendredi 12 juillet 2024

Pour Traction-brabant 109 : Des nouvelles de Léda ?

« Je ne suis pas une intellectuelle ma voie est celle du cœur ». Avec cette anthologie qui regroupe plusieurs recueils déjà parus et deux inédits, ainsi que divers entretiens à propos de sa pratique poétique (et picturale), Catherine Andrieu confirme en presque trois cents pages la place singulière qu’elle occupe dans le paysage littéraire : celle d’une poétesse à la voix profondément ésotérique, ancrée dans un lyrisme qui convoque transcendance et érotisme, baignée par l’amour et par la mer.

En « osmose ataraxique », elle convoque ses souvenirs, ses amants, ses amis — parfois disparus dans des circonstances tragiques — pour servir des vers libres biographiques où éclate entre autres sa passion fougueuse pour Paname, son chat disparu : « Tu as le secret de mes nuits étoilées / La rue illuminée le soir, le manège que tu regardes / Couché sur le balcon les bateaux / Je me mets au piano et nous glissons / Sur l’eau. » Le piano est en effet une autre composante des vers de l’écrivaine, qui le pratique inlassablement, au bord de la mer, d’abord la Méditerranée puis l’océan Atlantique (« L’écume des vagues porte les émotions des hommes », nous dit-elle encore). Catherine Andrieu semble, dans un élan inusité de métempsychose, s’incarner dans l’instrument. Celui-ci, aux côtés du chat, préside au déploiement de vers très charnels dans lesquels se dessine une métaphysique assumée : « La nature de ce que nous avons noué dans cette vie / Est de l’ordre du Mystère, amour trans-espèce / Folie, destin et tragédie. »

À cette dernière énumération, on pourrait ajouter obsession : lorsque la violence apparaît, elle est encore et toujours offrande à l’animal fétiche ; il s’agit d’« éclater ta boîte crânienne la cervelle ira au chat ». Ainsi la poétesse trace-t-elle avec ténacité son chemin de page en page, convoquant le souvenir de celles et ceux qui ont compté pour elle, humains ou animaux, s’appliquant à écrire et vivre un programme de jouissance malgré tous les coups portés à l’existence, comme on le lui conseille : « Tu dis écris ou jouis du piano, l’essentiel / Est de jouir. » Le piano encore, obsession mélodique, alter ego qui génère le rythme des poèmes aussi. L’antispécisme qui irrigue ce volume (« Dans une vie antérieure, j’ai été mouette ») constitue un autre leitmotiv offrant au titre sa pertinence : c’est dans le recueil consacré au peintre Anora Borra, autre de ses amis, qu’elle évoque Léda, laquelle « résiste à sa capture sur la toile ». Catherine Andrieu, elle, ne résiste pas à se livrer, nue sous ses vers, dans un élan ou souvent le cosmos est l’horizon du poème. « Je suis une vieille âme livrée au vent de l’Océan. »

Catherine Andrieu, Des nouvelles de Léda ?, Rafael de Surtis, 273 p., 25 €, ISBN 9782846725866
Cette chronique a paru dans le numéro 109 (et dernier) du poézine Traction-brabant, à retrouver ici. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil toutes ces années.


Un extrait :

Dans tes yeux de chat j’ai vu
L’horizon, l’étoile rouge qui brûlera
Encore longtemps après notre amour
J’ai jeté les partitions pour piano
Elles étaient trop gaies
Pour ma mégalo je suis celle qui joue
Du piano sur l’eau je suis virtuose
Si on m’écoute bercer mon petit chat
On m’admire car les réverbères sont des étoiles
Au sol
Reste dans mes bras pour t’endormir
Après la piqûre.
C’était quoi la probabilité de notre rencontre
Ici sur cette Terre d’Océan
Maintenant tout est noyé.

mercredi 10 juillet 2024

Une photo, un poème sporadique, #18

totziens.webp, juillet 2024
Maastricht, 5 juillet 2024

les meubles se sont carapatés sur la pointe des orteils
à la revoyure petite industrie vaillante
la roue tourne dans le sens de ceux qui paient
pour écrire l'histoire tourne tourne
ça grince ça couine ça patine
mais ça tourne tourne
seule la poussière nous reste fidèle
ses moutons bêlent balayés par nos appétits
allez
à la revoyure quand même

lundi 1 juillet 2024

Éternelle Yuki

Le titre déjà contient une multitude : yuki, en japonais, c’est la neige, mais aussi un prénom féminin. Les neiges éternelles se fondent dans le mythe de la fille éternelle — The Eternal Daughter du récent film de Joanna Hogg — ainsi que dans l’éternel amour qu’éprouve la poétesse pour sa propre fille (« l’amour s’est greffé de toutes ses griffes en moi »). Elle est en effet séparée de celle-ci en raison des restrictions indignes qu’impose le Japon aux parents non japonais d’enfants nés dans l’archipel. « Cruauté, tu n’enlèves rien à la beauté des couloirs de portes vermillon dans les montagnes » : Coralie Akiyama reste cependant fascinée par un pays où elle a longtemps résidé et dont elle évoque les paysages, les traditions culinaires (le « miso mouvant », les « copeaux de bonite gondolés comme de l’herbe au vent »), voire les typhons. Même si ledit pays la prive de sa fille. Or, poignante, elle ne renonce pas : « Dans l’au-delà et même avant je viendrai te chercher ma silencieuse ma digne mon adorée fille aux désirs bridés par un soleil retenu ». Mêlant épisodes de la vie commune, désormais révolue, et amples métaphores qui convoquent l’imaginaire nippon, Coralie propose sa vision extérieure d’un pays où elle a aimé et souffert de l’intérieur : « Les hommes japonais se devinent / tels des cristaux marins sur du papier blanc / il faut s’approcher pour la brillance ». Un pays du soleil levant auquel elle finit par s’adresser, se confier, peut-être parce qu’elle a le sentiment qu’il a une vie propre, au-delà des lois que la société humaine lui impose. Le déchirement de l’au revoir au Japon ne fait ainsi plus qu’un avec le déchirement de la séparation : « Nue de toute étreinte je te désobéis mon île et de loin encore tu ralentis mon vol d’une gravité insulaire de loin encore les plumes saignent. » Et quand la poétesse avoue que lorsque « les caractères [l]’aimèrent », lorsque « le bain à 43 degrés cessa d’être brûlant », elle s’est enfin sentie « papier plié ne souhaitant plus reprendre forme », on se sent empli d’émotion devant cette confession douloureuse. Parfois, l’amour d’un pays semble s’exercer à sens unique. Mais celui pour Yuki est bien partagé ; la patience que confère la pratique de l’origami triomphera de l’adversité, on le sait.

Coralie Akiyama, Éternelle Yuki, éditions du Cygne, ISBN 978-2-84924-770-9

vendredi 28 juin 2024

Pour le supplément littéraire du « Tageblatt » : Aliène (mars 2024)

[Je reproduis ici, passé un certain délai, mes articles consacrés à des livres relevant des littératures de l’imaginaire pour le supplément Livres-Bücher du Tageblatt luxembourgeois. Limités en signes, ces articles sont formatés pour un journal imprimé, mais celui-ci ne les publie pas en ligne.]

Angoissante altérité
Phoebe Hadjimarkos Clarke décortique la peur

Beaucoup de craintes sociétales actuelles pointent dans ce roman, où une cabossée de la vie se lie d’amitié avec une chienne clonée. L’ambiance âpre et fantomatique percole page à page et demeure durablement en tête.

« C’est moi qui me le suis choisi, j’aimais pas l’autre », dit Fauvel de son prénom. Un prénom où sonne le mot « fauve », mais aussi le poème satirique du Moyen Âge Roman de Fauvel, écrit par Gervais du Bus et qui met en scène un âne régnant sur un monde où triomphe le vice. L’héroïne du livre de Phoebe Hadjimarkos Clarke se situe cependant du côté des victimes : elle a perdu un œil suite à un tir de lanceur de balles de défense lors d’une manifestation de Gilets jaunes. Depuis, en permanence, « elle a peur. Peur. P e u r. / Le mot s’allonge, se détache en fragments dans son cerveau, il n’y a que ça, les lambeaux de la terreur qui inondent sa conscience ». Dès le choix du nom de sa protagoniste, la romancière sème le doute, joue de polysémie pour installer une ambiance équivoque.

Fauvel accepte de se rendre à Cournac pour garder Hannah, une chienne qui appartient au père de son amie Mado. Dans la maison isolée trône, empaillée, une autre Hannah : celle dont les cellules ont donné par clonage l’animal actuel. Drôle d’atmosphère, d’autant que rapidement Fauvel va découvrir l’hostilité des gens du village, qui imputent à Hannah les massacres sauvages du bétail de la région. Là-bas, il n’y a guère d’animation ni d’emploi, hormis l’usine d’eau minérale qui a déjà beaucoup licencié (« Tous les marronniers de la France étaient morts l’été précédent à cause de la sécheresse »). La chasse représente un exutoire pour les jeunes hommes du coin, lesquels espèrent en outre liquider la bête qui décime les troupeaux. Un ours, peut-être ? Mais alors, quelle est cette étrange substance champignonneuse blanche qui couvre les victimes ?

Fauvel va se retrouver propulsée dans une sorte d’enquête mi-policière, mi-fantastique, où faux-semblants et chausse-trapes seront nombreux. Elle sera aidée par Michel, un sociologue qui enquête sur des récits de prétendus enlèvements par des extraterrestres. Des aliens donc, pour une protagoniste qui se sent Aliène, happée par sa peur permanente dans un milieu hostile. C’est qu’enveloppée par la brume qui recouvre la forêt, prise dans la fumée des pétards qu’elle consomme à l’envi, Fauvel navigue entre rationalité et fantasmes. Si la relation qu’elle noue petit à petit avec la chienne Hannah parvient à l’ancrer quelque peu dans la réalité, il n’en reste pas moins que sa perception reste trouble, que le sentiment de n’être jamais à sa place domine. « Comme les choses sont étranges, polysémiques, la lacrymo qui lui a brûlé la peau et les poumons tant de samedis, dorénavant nichée dans son sac comme talisman, l’extractivisme maudit qui aujourd’hui la protège, la violence qui de tant de manières a transformé sa vie », peut-on lire lorsqu’elle s’enfonce dans la forêt avec un Opinel, son téléphone et une bombe lacrymogène en poche.

Phoebe Hadjimarkos Clarke accompagne cette quête d’une place dans la société par un style qui mélange langage soutenu et oralité, longues phrases et énoncés rapides. Les dialogues utilisent l’italique et peu d’indications des locuteurs. Le tout a pour effet de brouiller encore un peu plus les pistes. Si le roman dépeint une réalité mouvante et des contours flous, il s’empare néanmoins avec vigueur de thèmes parfaitement clairs. En filigrane se développe une fine réflexion sur la part animale qui reste en tout être humain, alors même que la biodiversité décline ; mais surtout est explorée avec constance cette propension que nous avons à ressentir de la peur devant l’inconnu ou ce qui est mal défini. Devant un avenir incertain aussi. De fait, Aliène résonne pleinement à une époque où les menaces – pandémie, guerre, repli identitaire… – sont légion pour qui se montre sensible au pouls accéléré du monde.

Phoebe Hadjimarkos Clarke, Aliène, éditions du Sous-sol, 2024, 288 p., 19,50 €

vendredi 14 juin 2024

Une photo, un poème sporadique, #17

escargot.webp, mai 2024
Maastricht, 11 juin 2024

de la fleur la poésie
affleure
sans ironie
(bloum !)

vendredi 7 juin 2024

Une photo, un poème sporadique, #16

escargot.webp, mai 2024
Lorentzweiler, 7 juin 2024

au caniveau
la douceur pelucheuse du lit douillet
faites la guerre
pas la caresse
abandonnez tout espoir
sur le trottoir —
parmi tous les slogans
se serre contre moi le souvenir de l’innocence

 

mercredi 5 juin 2024

Pour Traction-brabant 108 : Extrasystoles

« Sous les doigts on sent battre le sang » : dans ce recueil se développe une véritable poésie de l’effort, qui scrute de ses vers, strophe après strophe, les membres, les organes, « les peaux les humeurs / les textures nos viandes », tout ce qui compose un être humain en mouvement. Les extrasystoles, ces contractions prématurées du cœur, sont ainsi provoquées par la course à pied, activité propice à l’écoute du corps. Des spasmes se déclenchent, les yeux se plissent parfois. Le vocabulaire anatomique est décliné de page en page, dans une foulée généreuse d’images mais aussi de pensées, souvent liées à la morphologie : « certains mots n’ont pas de voix / les dire – quelle importance / leur silence habite l’espace / crânien / c’est tout ».

Claire Gauzente palpe, va jusqu’à glisser le regard sous la peau, barrière bien ténue qui ne résiste évidemment pas à la puissance du poème. « Sous ma peau il y a une autre peau / petite / bien plus petite – personne ne la touche / personne ne la connaît » : cette « peau-petite », avec son trait d’union, fait écho plus tard aux « sans-peaux », les herbes croisées en chemin, « serrées les unes contre les autres faisant front ». L’animal n’est pas le végétal. Si en effet le corps en mouvement que la poétesse scrute se déplace dans la nature, il est bien distinct de celle-ci, loin de toute fusion béate qui dédouanerait l’être humain de ses responsabilités en ne lui prêtant qu’un instinct naturel. D’ailleurs, « que la perfection aille se faire foutre », tonne Claire Gauzente. Tout de même, ne vise-t-elle pas la « guérison guérison / sans termes ni conditions » ?

« Au détour d’un virage parfois je sens net / le son noir et mat de ma mort » : l’introspection est quelquefois douloureuse, mais au fond salutaire. Dans notre époque hyperactive, on a rarement l’occasion de se concentrer sur soi-même et de rester un moment à l’écoute de son corps ; l’exercice est ici réalisé pour nous par une autrice qui consigne ses impressions, nous les livre dans des poèmes éminemment sensoriels, voire sensuels. L’écriture est dense, sans concession, physique. Le rythme — « cadence cadence » — est souvent effréné. On ne parcourt pas ce recueil… on court, on court, on ne s’arrête plus, tout en prêtant attention aux battements de son cœur. Et on réfléchit sur soi-même, parce que de toute façon « le sol sans accident / se fout bien de l’ombre de mes cheveux ». Une proposition poétique forte, qui exige la concentration autant qu’elle la stimule.

Claire Gauzente, Extrasystoles, avec des encres de Benoît Pascaud, Le Citron Gare, 92 p., 10 €, ISBN 978-2-9589101-0-5
Cette chronique a paru dans le numéro 108 du poézine Traction-brabant, à découvrir ici si le cœur vous en dit. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil.


Deux courts extraits :

Je chuchote à ta gorge noyée hésitante et pure
à l’oreille tendue vers l’indicible je chuchote aussi
au ventre souple et serré je chuchote les mots
à l’hôte de ces lieux je chuchote les autres mots
tous les mots essentiels les seuls je les chuchote
inlassablement je
compte sur leur magie
ils caressent paupières
joues paumes poumons diaphragme

*

Le vent se lève
je le sens au pincement de mes extrémités
parfois la morsure ouvre large sa bouche
elle avale la peau alentour
les mouvements deviennent plus alertes
l’esprit même aigu
les yeux
plissés dans le soleil

dimanche 26 mai 2024

Pour le supplément littéraire du « Tageblatt » : Reus, 2066 (mai 2024)

[Je reproduis ici, passé un certain délai, mes articles consacrés à des livres relevant des littératures de l’imaginaire pour le supplément Livres-Bücher du Tageblatt luxembourgeois. Limités en signes, ces articles sont formatés pour un journal imprimé, mais celui-ci ne les publie pas en ligne.]

La mémoire de l’avenir
Pablo Martín Sánchez en cabochard autofictif

Avec ce roman qui se projette dans un avenir pas si lointain, Pablo Martín Sánchez utilise la forme du journal pour anticiper ce que nous réservent les présents hoquets de la société. Une fable postapocalyptique classique, mais qui déploie une belle virtuosité littéraire.

Comme l’auteur, dont il partage le nom, le narrateur a 89 ans en 2066. Laissons-le se présenter : « je ne suis qu’un vieux radoteur qui vomit ses frustrations sur les feuilles blanches des livres oubliés d’une bibliothèque disparue d’un ancien asile d’aliénés d’une ville déserte d’un ancien pays dévasté ». De fait, Reus est maintenant quasi abandonnée. Le pacte transatlantique de la Honte a prévu l’évacuation complète de la péninsule Ibérique, afin d’en faire une « base militaire pour protéger l’Occident des barbares du Sud et de l’Orient ». À quelques semaines de la fin du moratoire qui permet aux rares récalcitrants de vivre encore au pays, le Pablo Martín Sánchez de 2066 entame donc un journal, confiné avec une douzaine de personnes dans l’ex-établissement hospitalier Pere Mata. Aura-t-il des lecteurs ?

En tout cas, ces pages griffonnées sur les feuilles glanées dans des ouvrages caducs invitent à vivre par procuration la deuxième partie du XXIe siècle dans le sud de la Catalogne. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’atmosphère n’y est pas à la fête. À la militarisation démesurée de l’Occident fait écho la violence des rares habitants restés dans la ville. Sans électricité ni communications — la Grande Panne est passée par là —, avec un stock de vivres et de médicaments limité, chacun fait de son mieux pour assurer sa survie. La petite communauté retranchée dans le Pere Mata représente ainsi une exception solidaire, quoique les jalousies ou les crises de folie ne tardent pas à en ébrécher l’harmonie. Le monde décrit par le narrateur (ou l’auteur, ou les deux, allez savoir) se rapproche des classiques fictions postapocalyptiques survivalistes, avec une opposition marquée entre les puissants et les petites gens, entre les citoyens du monde et celles et ceux qui restent attachés à leur coin de terre.

L’oulipien Sánchez apporte au genre une écriture foisonnante, où s’invitent des contraintes, des listes, des rêves. Dans un journal, rédige-t-il, « il suffit de se laisser porter par le courant irréfrénable de la vie quotidienne, même si les circonstances sont exceptionnelles ». C’est ainsi que la capture d’un lapin lui permet d’insérer une recette de cuisine en bonne et due forme, ou que la fabrication d’un xylophone appelle à lire une partition bancale, bientôt corrigée par une pensionnaire du Pere Mata. On trouvera aussi la reproduction d’une nouvelle de l’auteur publiée à la fin des années 2020. La littérature tient évidemment une place, de Durkheim à Borges en passant par Montale… ou le Catalan Gabriel Ferrater, Sánchez convoquant en filigrane les figures nées à Reus, tout comme lui. Autofiction anticipée, références multiples, humour teinté d’autodérision, le livre oppose à une société sclérosée et ultraviolente la culture humaniste de son narrateur presque nonagénaire.

Oulipo oblige, Reus, 2066 flirte aussi avec les mathématiques : un autre fil rouge du journal est le poème mnémotechnique que Pablo Martín Sánchez compose pour évoquer les décimales du nombre pi. La longue énumération apaise les souvenirs des malheurs qui ont frappé sa famille, car même si la vie quotidienne au Pere Mata n’est pas dénuée de tendresse, le vieux cabochard est parfois rattrapé par le passé. Cabochard ? C’est qu’il est bien décidé à rester jusqu’au bout dans sa cité natale. Malgré les survols de plus en plus fréquents d’héliautos, qui lâchent des tracts incitant à se rendre sur les derniers navires d’évacuation. Cet entêtement permet aux générations futures — et surtout présentes — de lire sa chronique, celle de l’advenue d’une société militarisée de la méfiance. Pablo Martín Sánchez, grâce à un traitement littéraire à la fois érudit et accessible, nous met en garde avec maestria.

Pablo Martín Sánchez, Reus, 2066, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, éditions Zulma & La Contre Allée, 2024, 368 p., 23 €

vendredi 24 mai 2024

Garçon à l’envers

Dans la présentation de l’auteur en fin de livre, on apprend qu’« il aime ce qui est hybride ». Bien souvent, la délicate tâche de se présenter incombe à l’écrivain, lequel doit ainsi se soumettre à la convention de parler de lui-même à la troisième personne. L’exercice ajoute par conséquent ladite troisième personne à l’hybridation que chérit Felip Costaglioli : dans le corps du texte, le « je » poétique aura en effet déjà alterné le masculin et le féminin, se donnant « nu / sur un sofa » puis « liée et / nue » comme un « fou ruban ». La cohérence des images, le rythme qui parcourt tous les poèmes — avec des vers courts, espacés, néanmoins piqués de quelques strophes aux lignes plus longues et quasi en prose —, tout indique que nous sommes là devant un ensemble qui brosse le portrait hybride, donc, d’un narrateur ou d’une narratrice prêtant à voir sa bizarrerie ou sa singularité. L’un des titres, « Mes curiosités », le laisse d’ailleurs entendre. Grâce au poète, la réalité se fait magique : « un pèlerin intérieur / exige // que tout me taille », tandis qu’un « cabri // vient / en moi // lécher // la plus belle / de mes plaies ». « Comme nous », les vers « frémissent », dans des assemblages brefs de mots saillants. « À la fois // couronne / et grenouille », Felip et ses avatars explorent l’étrangeté des contes tout autant que « ces temps / improbables // où tout / évince ». Le pas de côté devient la règle, le décalage, une poétique qui sert la fluidité. Fluidité des vocables certes, mais aussi cette fluidité du genre dont on parle beaucoup en ce moment et qui, ici, sait elle-même parler, ce qui n’est pas rien. Il fallait bien la poésie pour ça. N’oublions pas non plus les clins d’œil (volontaires ?) : alors qu’on peut lire sur une page « Ça coud / dans les // lisières » (le recueil paraît aux éditions des Lisières), la page suivante affirme qu’« Il y a longtemps que / je ne tranche plus ». L’auteur a été, rappelons-le, publié également à La Boucherie littéraire… et quelque chose me dit que ces vers ne sont donc pas anodins. En tout cas, c’est à une hybridation subtile et joyeuse que le poète nous convie dans ce tout petit livre, qui est aussi un bien bel objet.

Felip Costaglioli, Garçon à l’envers, éditions des Lisières, ISBN 979-10-96274-38-3


Extrait audio :

mardi 7 mai 2024

Une photo, un poème sporadique, #15

escargot.webp, mai 2024
Luxembourg, 7 mai 2024

nanti pourtant d’un mobil-home complet
il sous-loue sur la toile
pour des vacances en couleurs
l’immeuble dont seront privés des locataires à l’année

sus à l’airbnbsation
: convoquons les fantômes des maisons hantées
les poltergeists de l’immobilier éthique
les sucs vicieux des plantes carnivores

dimanche 28 avril 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #29

[un brin de bucolisme lyrique qu’on me pardonnera pour la fin de la première série, reprise en octobre]

au bord du Wannsee
ne chanteraient que les mésanges
un ragondin nagerait en silence
le cours des choses ne bifurquerait pas
nous plisserions les yeux à la lumière qui décline
décréterions la fin de la représentation

comment jeter la pierre
aux bateaux à moteur aux jetées aux rails
aux voitures qui cherchent une place devenue rare
une petite glace au stand rafraîchit tellement
l’asphalte est là et bien là

profiter de la coupe citron-noix de coco
même soutenue par une chaîne du froid
trop essentielle pour être brisée
n’est pas vraiment une aberration
à condition de garder l’esprit lucide
d’écouter attentivement les mésanges
par exemple (mais je n’irai pas
jusqu’à nager avec le ragondin)

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #28

asseyez-vous je vous en prie
à défaut de mobilier urbain
profitez de l’urbanité bigarrée

samedi 27 avril 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #27

à l’avril gorgés de soleil
dégustons les pousses
que nous en privons

vendredi 26 avril 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #26

tu recycles le bois abandonné
tu masques le métal de ton ombre lente
tu ne fais plus qu’un avec les traverses
beau boulot
mon beau bouleau
l’homophonie scelle la fusion des êtres et des choses

jeudi 25 avril 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #25

hölderlin nous propose d'habiter le monde
en poètes. que faut-il donc par là comprendre ?
lire au bord du rivage et considérer l’onde
(comme la photo ci-contre pour jaloux rendre) ?

je n’ai ni opinion ni savante exégèse
j’admire les théoriciens qui vaticinent
qui argumentent avec aplomb sur leurs thèses
et n’écris que ce qui traverse ma trombine

mercredi 24 avril 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #24

toc toc toc tortue
dans la comptine tu sors ta tête
mais tu n'es pas toquée tortue
mieux vaut ces temps-ci se terrer
sous des écailles factices
toc toc toc tortue
tu trinques sous terre aux temps troublés
soleil revenu ou pas

La Croisière bleue

C’est sous la forme d’un recueil de nouvelles que Laurent Genefort retourne aux temps ultramodernes, après un premier roman très réussi. Et le plaisir rétro est toujours là.

D’abord une précision : pour les fans de la cavorite façon Genefort (rappelons que celle-ci est une invention de H. G. Wells), un bon tiers du volume est constitué de deux textes déjà publiés. Tout d’abord la nouvelle tout simplement intitulée « Cavorite », parue dans le numéro 105 de la revue Bifrost. Elle est composée de coupures de journaux « d’époque » (rédigées avec brio) rassemblant des faits divers et des informations liées à ce minerai formidable, dont on extrait le cavorium, lequel permet de s’affranchir de la gravité. Pour celles et ceux qui (comme moi) avaient acheté la revue afin entre autres de lire la nouvelle, un petit ajout figure à la fin, mais l’essentiel demeure inchangé. Ensuite, La Croisière bleue reprend quasi à l’identique (je n’ai repéré en parcourant le texte qu’un paragraphe additionnel) le savoureux Abrégé de cavorologie, paru lui comme teaser gratuit du premier roman, Les Temps ultramodernes. Ce très sérieux traité sur le matériau fictif qui donne naissance à l’industrie des temps ultramodernes est bluffant de précision scientifique factice, d’indications sociétales et artistiques criantes de réalisme inventé, avec des personnalités historiques qui ont un rapport avec la cavorite (les Curie, Jacques Vaché décédé ici d’une overdose de cavorite plutôt que d’opium…). Également illustré, l’opuscule donnait à l’époque très envie de lire le livre, et il aurait été en effet dommage de le manquer pour les lecteurs et lectrices pris dans les rets de l’uchronie de Laurent Genefort.

L’ouvrage s’ouvre sur un article de journal évoquant, dans le style de la nouvelle « Cavorite » précitée, la découverte d’une enfant sauvage dans la salle des machines d’un paquebot volant. D’autres coupures de presse feront office de transitions entre les nouvelles, lesquelles commencent par « Le facteur Pégase ». D’emblée, Laurent Genefort nous démontre sa capacité à s’emparer d’un matériau historique et à le transformer au moyen de sa petite machine uchronique. C’est bien évidemment le facteur Cheval qui se trouve ici cavorifié, dans un bref récit de folie douce et d’amour filial. Grâce à des descriptions précises d’envolées, celui-ci introduit avec souplesse le recueil.

Le plat principal est bien entendu la nouvelle éponyme (dont le titre rappelle la croisière jaune, un raid automobile bien terrestre), où se développe une histoire que l’on croit d’abord policière, mais qui vire rapidement à l’espionnage. L’agent français Gaspard, accompagné de sa coéquipière Fanny, doit enquêter à bord du paquebot volant Agénor sur la mort de Lord Cuninghame. Les deux vont en définitive mettre au jour un complot anarchiste (ou fasciste ? ou communiste ?) qui menace la sécurité du bâtiment. Sur fond de ressentiment de la Prusse, réduite à la pauvreté, face à l’hégémonie de la France, Laurent Genefort, non content de mener son intrigue tambour battant, propose en outre un petit précis de géopolitique qui résonne profondément à notre époque. Agent au service de l’Hexagone, Gaspard n’est pas non plus dupe de ce que le matériau magique apporte à la société : « Voilà le vrai pouvoir de la cavorite […] : nous faire croire que nous sommes davantage que nous ne sommes en réalité. » L’illusion de puissance est d’autant plus prégnante que la suite des nouvelles va s’employer à montrer la fin de ces temps ultramodernes fondés sur un seul matériau (parallèle évident avec le pétrole, on l’aura compris) : « La légèreté qu’il éprouvait alors lui rappelait celle offerte au monde civilisé par la cavorite : aussi séduisante qu’addictive, et comme elle de plus en plus fugace. »

Illusion toujours avec la nouvelle suivante, « Cinquante hectares sur Mars ». Heureux gagnant à une loterie de cette surface à cultiver, Germain s’envole pour la planète rouge avec l’espoir d’y trouver la prospérité. La déception sera grande, mais au moins va-t-il vivre l’aventure : il s’embarque dans des contrées inexplorées pour découvrir la raison pour laquelle les canaux martiens provoquent de plus en plus d’inondations. Et va comprendre que les erloors, ces habitants endémiques de la planète asservis par les humains, n’ont pas forcément toujours été les animaux simplets qu’ils semblent être à présent. La nouvelle reprend le thème du colon et du colonisé déjà développé dans Les Temps ultramodernes, tout en apportant une réflexion — soutenue par un style fluide et un sens de l’émerveillement constant — sur l’illusion, toujours, d’une colonisation productive des astres distants ou proches. « Mais est-il souhaitable de dompter la planète – Mars ou la Terre ? Je ne saurais le dire. Les Martiens y sont parvenus à une époque, mais il semble que rien ne dure toujours. »

« Le Sisyphe cosmique » nous emmène sur Mercure, où, devant la pénurie de cavorite qui s’annonce, Daniel entend bien exploiter, malgré les conditions extrêmes, le précieux cavorium qui abonde sous la surface. Bien entendu, tout ne va pas se passer comme prévu. Dans cette histoire, Laurent Genefort continue ses descriptions inventives et convoque une faune bien particulière faite d’insectes et de champignons : « Ils constituaient la seule espèce animale, dévorant la seule espèce végétale. Pour expliquer ce prodige de l’évolution, les astronomes avaient émis l’hypothèse que Mercure avait orbité plus loin du soleil avant qu’une migration concentrique ne force la vie en surface à se simplifier au maximum, jusqu’à n’autoriser que deux formes de vie macroscopiques. Peut-être que, dans quelques millions d’années, elles finiraient par fusionner en une créature inédite. » Difficile de ne pas voir ici une critique de l’exploitation minière des astéroïdes, industrie en devenir à la mode en ce moment. Même si, comme toujours, le propos politique sous-jacent ne s’invite jamais au premier plan, laissant la place au plaisir de la lecture et de la découverte d’un univers uchronique addictif.

« À la poursuite de l’anticavorium » conclut les nouvelles inédites du recueil. Liant celle-ci aux précédentes au moyen de personnages et de faits communs, l’auteur accélère le mouvement en lançant vers la Terre un astéroïde constitué d’anticavorium. Un matériau qui a la propriété inverse du cavorium : attirer à lui plutôt que repousser. Un vaisseau est dépêché pour étudier le phénomène et sauver la planète bleue. À l’aide d’un déroulement choral, Genefort précipite sa civilisation de la cavorite dans la tourmente, punit de sa plume l’hubris humaine qu’il a décrite auparavant. Dans ce récit rondement mené, même si une lueur d’espoir subsiste, on croit cependant déceler la fin de son incursion dans les temps ultramodernes. Si c’était vrai, ce serait dommage. Mais quoi qu’il en soit, sa SF nostalgique dopée à Wells et Le Rouge est toujours entraînante, maligne et attrayante.

Laurent Genefort, La Croisière bleue, Albin Michel Imaginaire, ISBN 9782226489739

mardi 23 avril 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #23

nous comprenons votre frustration
& même, croyez-nous, partageons votre colère
cependant, nous vous serions reconnaissants
de bien vouloir garder votre calme
& user d’un vocabulaire plus châtié
la violence ne vous mènera à rien
ni les insultes envers celles et ceux qui bénéficient
de la légitimité acquise par le vote

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