[un tour à Potsdam]
sous les reflets des vanités les hauteurs
qui s’enfoncent une idée de ricochets
de troubles de la surface plane
l’écran du ciel se languit des
vagues fermes d’un clapotis alangui
mardi 8 octobre 2024
mardi 8 octobre 2024. Jeux littéraires
[un tour à Potsdam]
sous les reflets des vanités les hauteurs
qui s’enfoncent une idée de ricochets
de troubles de la surface plane
l’écran du ciel se languit des
vagues fermes d’un clapotis alangui
lundi 7 octobre 2024
lundi 7 octobre 2024. Jeux littéraires
j’en ai soupé des mythes
des paraboles des légendes
les légumes vont en paix dans la terre innocente
au marché des âmes
les vertus imposées ne font plus recette
les cultures biologiques chantent
que je suis épris de l’humus
ou du houmous
il faut bien manger
pour créer les mythes de demain
lundi 7 octobre 2024. Chroniques-minute
Oyez, oyez ! Christophe Esnault est de retour ! Cette fois-ci chez Tarmac, toujours avec son savant mélange d’autobiographie désabusée et de militantisme littéraire radical. Son dernier-né, c’est L’insuccès est-il stimulant ?, un recueil qui, dans une première partie en forme d’entretien à bâtons rompus « réalisé dans le sas d’entrée de la Maison de la radio, avant l’intervention des pompiers, retenus par une manifestation de sans-papiers et de sans-abri récemment éconduits de Paris en vue des J.O. », passe en revue quelques idées bien senties de l’auteur sur la marche du monde des lettres, et plus généralement de celui des humains. L’auteur a les réponses… il se pose donc lui-même, on l’aura compris, les questions qui construiront son petit traité de philosophie. Le titre est l’une de ces questions. Comme quoi on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Les sujets abordés sont si divers qu’il est vain de vouloir en donner un large aperçu, mais la liberté, l’aliénation, la littérature comme besoin, la résistance s’invitent dans un tac au tac tour à tour fataliste et combatif. On y met en garde contre le piège « d’écrire pour s’extirper de l’urgence, de la douleur ou de la très mauvaise posture. Alors que l’absurdité pourrait suffire ». Mais en même temps, lorsqu’on demande au poète — lorsque le poète se demande à lui-même — si la liberté est dommageable à la formation d’une pensée, la réponse fuse : « Écrire n’importe quoi sur la liberté, après Marx, Sartre, Nietzsche, après Éluard et la boulangère, après mille autres benêts ou cerveaux chromés qui trouveront de la liberté là où il n’y en a aucune trace, est-ce que ce sera héroïque ou est-ce qu’on a une petite chance, presque poète, presque écrivain et depuis son incandescence de semi-débile planétaire, de produire trois lignes de littérature avec cela ? Je beurre la question sur ma prochaine tartine. » Modestie et lucidité sont au programme de cette première partie à la fois drôle et profonde. Fort d’une expérience acquise au fil de dizaines de livres écrits, Christophe partage une expérience amère et excitante, fait sa lettre à un jeune poète toute personnelle, fût-elle adressée à lui seul. Suivent un très bref abécédaire aphoristique (« Impacter : décernons la Légion d’honneur à ceux qui utilisent ce mot quinze fois par jour ») et un répertoire presque potache de titres fictifs de livre (« Piétinez la littérature comme tout le monde, Classiques Garnier, 2024 »), comme si l’auteur voulait au moyen de quelques facéties s’excuser du sérieux, sous des dehors chahuteurs, de sa première partie philosophique. Le tout est concis, bien trouvé et… stimulant.
Christophe Esnault, L’insuccès est-il stimulant ?, éditions Tarmac, ISBN 979-10-96556-72-4
dimanche 6 octobre 2024
dimanche 6 octobre 2024. Jeux littéraires
les fruits surs
blessent mon cœur d’une langueur fracture
viendront-ils jamais
les fruits blets ?
dimanche 6 octobre 2024. Chroniques-minute
Un écrivain de science-fiction qui se fend d’un recueil de poésie, publié dans la nouvelle collection d’imaginaire du Seuil, Verso, ça ne pouvait que m’intéresser. D’autant qu’il se coltine à un thème particulièrement d’actualité, le devenir des émotions de chair face à l’omniprésence textuelle des machines et des intelligences artificielles (c’est l’objet du chapitre « Cyborgs » de mon recueil Flo[ts], paru en 2015, alors bon, je ne pouvais que succomber) : « À défaut d’une grande réforme de l’existence et de ses conditions matérielles, la poésie esquisse encore la possibilité d’un geste différent, et d’humble résistance. » L’excellent La Nuit du faune, publié par Albin Michel Imaginaire il y a quelques années, bénéficiait d’ailleurs d’une écriture très poétique. La poésie comme résistance, avec son « travail de la lyre », c’est donc ce que le recueil propose. Et force est de constater qu’il est éminemment lyrique : dans un rythme où l’alexandrin donne la mesure (même si tous les vers ne sont pas sur ce modèle), Lucazeau convoque toutes les technologies de pointe, tous leurs mots clefs, leurs tournures, et les mélange à un langage inspiré des classiques pour composer des odes parfois dotées de titres en latin, avec un programme bien particulier : « Chaque trouvaille dans le travail du langage et chaque harmonie structurée d’assonances, et chaque rythme qui refuse la banalité de la prose produite par des processus ou par des algorithmes, constituent une victoire contre la trivialité, c’est-à-dire, aujourd’hui, la liquidation du sens dans la production d’un langage automatisé. » Ainsi le « vrombissement de machines vivantes » pulse-t-il dans des lieux où « des prophètes brandissent de banales utopies / enlardées de logos et de technologie », le tout dans un « itératif dédale » connecté « en liaison hypertexte ». Pétri de culture classique, le poète convoque entre autres Dante (« Au mitan de ma vie je m’égarai dans une sombre forêt »), mélange les niveaux de langage (« Ma bite a pénétré de suintants polymères », oui, c’est un alexandrin), sert une poésie un peu surannée, un peu trop lyrique peut-être pour le caractère disruptif des innovations technologiques qu’il chante ou qu’il bafoue — mais il est honnête, nommant une des parties « Esquisses d’un lyrisme pour les jours obscurs ». Cela étant, voilà aussi une poésie sincère qui pourra toucher celles et ceux qui, lecteurs et lectrices de science-fiction, ne connaissent que peu la poésie contemporaine. Jeter des ponts entre les deux genres fait sens. Gageons que les éditions du Seuil ont vu là une opportunité commerciale, Romain Lucazeau ayant déjà un nom bien installé dans le milieu de l’imaginaire, mais après tout, c’est de bonne guerre. Un auteur de science-fiction peut parfaitement ressentir dans sa chair l’appel de la poésie : « L’urbanisation des astres / Travaille mon bas-ventre et raidit mes désirs ».
Romain Lucazeau, Langage|machine, éditions du Seuil, collection Verso, ISBN 978-2-38643-126-5
Extrait audio :
samedi 5 octobre 2024
samedi 5 octobre 2024. Jeux littéraires
vertèbres bandées
tu fores
la source se dérobe
ta vie est prise dans un goulot irréversible
mieux vaut en sourire
puis forer
vertèbres bandées
samedi 5 octobre 2024. Traduction
Parfois, en relisant un livre dans le cadre d’un projet particulier, on tombe sur un poème déjà coché et dont l’effet est toujours là, toujours aussi fort. C’est ce qui m’est arrivé avec ce poème de Massimo Barilla, extrait d’Ossa di crita (Os d'argile), publié en 2020. Je n’en mets que la version en dialecte de Reggio de Calabre, mais le livre est bilingue, avec des traductions en italien — les deux textes ont permis les choix pour l’interprétation en français.
lu tempo da sarvizza
Dassa parrari la notti
pi vidiri si veni
lu tempu da sarvizza
a manu chi queta lu ventu
u sonnu chi accarizza
Dassa parrari la notti
lu scuru senza stiddi
e scuta cu li mani
a filu di luci nova
li vuci di dumani
Dassa parrari la notti
mantenici corda e spago
tenila,
supra lu pettu
tenila,
idda non pigghia sonnu
idda non perdi ciatu
Dassa parrari la notti
e serbaci palori scanusciuti
cunsacrati cu acqua
nira di cielu
e sucu di rangi amari
le temps du salut
Laisse parler la nuit
pour voir si advient
le temps du salut
une main qui calme le vent
un songe qui caresse
Laisse parler la nuit
l’obscurité sans étoiles
et écoute avec les mains
au fil de la lumière nouvelle
les voix de demain
Laisse parler la nuit
fournis-lui corde et ficelle
tiens-la,
sur ton sein
tiens-la,
jamais elle ne sombre dans le sommeil
jamais elle ne perd le souffle
Laisse parler la nuit
garde-lui des paroles inconnues
consacrées par l’eau
le noir du ciel
et le jus d’oranges amères
vendredi 4 octobre 2024
vendredi 4 octobre 2024. Jeux littéraires
aux parapets des eaux
l’amour rouillé —
formes courbes
membres allongés
étirements dans la matrice
de métal — enfermement naïf dans
la passion pétrie de
serrures fracturées
jeudi 3 octobre 2024
jeudi 3 octobre 2024. Jeux littéraires
[le sonnet plus ou moins classique de la semaine]
sourire d’aujourd'hui ce n’est pas sinécure
les envolées de bombes et de propos a-
mers battent le pavé à force de médias
costumes trois-pièces longues robes de bure
sourire d’aujourd’hui ce serait bien benêt
sous les mots lénifiants de chatte-gépété
comment faire la part comment interpréter
le flux des influences la portion des faits
pourtant les dents se découvrent entre les lèvres
pourtant des éclats blancs se glissent en orfèvres
sur les visages crus de nos façons crédules
car il en va ainsi de nos pauvres cervelles
croire en l’avenir c’est forger des étincelles
sabrer l’inconfort pour sourire dans sa bulle
mercredi 2 octobre 2024
mercredi 2 octobre 2024. Jeux littéraires
pluie de notes
rebonds de cordes sympathiques
le sitar se glisse dans les replis des parois
le bourdon butine les consciences
un instant la musique adoucit
l'âpreté du monde
mardi 1 octobre 2024
mardi 1 octobre 2024. Jeux littéraires
[retour à Berlin — poème géographique]
en octobre
résurgence de résidence
pour cracher les mots
il faudra d’abord
avaler la Havel
lundi 23 septembre 2024
lundi 23 septembre 2024. Jeux littéraires
croque les noms les adresses les numéros
de ta panse siliceuse
jaillira l’artifice d’aise
qu’un Léthé bienheureux
viendra éteindre
les époques se ressemblent
les ponts savent
eux
dimanche 22 septembre 2024
dimanche 22 septembre 2024. Jeux littéraires
[pour le regretté Daniel Birnbaum]
pas encore l’automne
le canal s’incarne en porcelaine
lentement glissent bouteilles en plastique
transparence relative
je ne regarde pas trop le fond
sous peine de sérieuse désaffection pour l’espèce humaine
je laverai mes mains
au robinet qui ne coule pas
pour chasser ces pensées rebelles
nous ne sommes après tout
que quatre-vingts pour cent d’eau
je frémis de solidarité aqueuse
lundi 9 septembre 2024
lundi 9 septembre 2024. Littératures de l’imaginaire
Nous sommes au xviie siècle, en Chine. La jeune Chen, en voyage avec son père – un lettré qui a exercé de hautes fonctions –, s’égare dans une foire et se voit remettre par un mystérieux boutiquier un bracelet de jade. Celui-ci va bientôt la fasciner, au point qu’elle en fera des rêves déroutants. Ce sont les conversations avec son père qui lui permettront de percer le secret du bijou, lequel lui ouvrira des portes insoupçonnées sur la compréhension du monde dans lequel elle vit. Un monde marqué par les turbulences des luttes de pouvoir, et dont elle est miraculeusement protégée par le travail que son géniteur accomplit pour façonner son jardin.
Si j’ai voulu lire cette longue nouvelle ou novella, c’est d’abord à cause de l’intérêt que je porte au travail de passeur de Gwennaël Gaffric : nombreuses sont les traductions de livres relevant de l’imaginaire depuis l’anglais, beaucoup moins celles depuis le chinois (ou même de langues européennes, par exemple l’italien ou l’allemand, dans lesquelles s’écrivent pourtant de très bonnes choses si l’on peut les lire en VO) ; ce traducteur lyonnais déniche toujours des textes originaux et passionnants. C’est aussi un plaisir de s’éloigner un peu des recettes du creative writing à l’américaine, ce qui, dans Le Bracelet de jade, est pleinement le cas. L’autrice, qui vit à New York et exerce comme programmeuse, mélange la tradition chinoise des jardins et les théories de l’espace-temps, servant un récit où le style quasi bucolique se marie avec le fameux sens de l’émerveillement propre à la science-fiction. Sans compter, bien sûr, l’arrière-plan politique sur les frictions entre dynasties impériales.
Grâce à une introduction fort utile, on apprend à dénicher dans le texte les citations et concepts utilisés, pour se prendre dans un récit dont la concision n’a d’égale que la richesse intérieure en forme de ruban de Möbius : « L’espace peut se déployer et se courber à volonté, et les mondes peuvent se contenir les uns les autres. » Même sans connaître le chinois, on ne peut qu’apprécier le travail minutieux de Gwennaël, qui en français propose un style coulant, fluide, telle l’eau qui s’écoule dans le jardin, gardant pourtant en ligne de mire les imposantes montagnes qui l’entourent. On serait d’ailleurs tenté de dire, pour citer Mu Ming dans un contexte différent, que ce style, pilier de l’ouvrage, est « aussi doux et inébranlable que le jade ».
Mu Ming, Le Bracelet de jade, traduit par Gwennaël Gaffric, éditions Argyll, ISBN 978-2-494665-34-7
mercredi 4 septembre 2024
mercredi 4 septembre 2024. Jeux littéraires
funiculì funiculà
sur un fil
glisse adrénaline
funiculà funiculì
bave élastique
joliment répartie
sinon
patatras
mercredi 28 août 2024
mercredi 28 août 2024. Chroniques-minute
« Pour les Indiens d’Amérique, l’hiver est / la saison des histoires. Car il suffit / d’écouter le vent. Il est la mémoire de / ce territoire. Il l’a balayé tant de fois. » Et voilà que Béatrice Machet, traductrice infatigable des poètes autochtones d’Amérique, se met en quête des quelque cinquante rafales qui composent ce recueil, un mélange de récit de voyage dans la région des Grands Lacs et de spiritualité, un véritable bouillon de culture et de langues indigènes : « S’engouffrant par le nord / les vents ont enseigné leurs langues / aux Algonquins. » Tout ici respire la rive, se met à l’affût « du rose dans les ondulations » des lacs, longe les berges pour en tirer les contes et légendes ancrés dans les lieux : « Bruissements légers en lisière de plage. / Caresses et murmures. Promesses / venues de temps immémoriaux. » Car dans Rafales, c’est le temps long que l’on contemple. La mémoire affleure de l’eau qui caresse encore et encore le rivage, par-delà la grande eau salée aussi, au point que des réminiscences bretonnes se font jour dans l’esprit de la poétesse. Son « identité tribale » à elle aussi se dévoile. Alors, les mots de la finis terrae européenne viennent se mêler aux mots de la nation Anishinaabe, qui parsèment le livre comme autant de petites pierres apportées à l’édifice de l’hommage — car il est question ici aussi de dépossession des terres ancestrales. « Provoquer le vent. Le défier à la course » : ces rafales aux intonations chamaniques, où « le cuivré du couchant / Qui titube d’une rive à l’autre » éclaire d’une lueur aiguisant le regard, nous caressent et nous emportent tour à tour. Clin d’œil à un précédent recueil (Tourner. Petit Précis de rotation), constance dans la construction, Béatrice lie également son exploration américaine à l’obsession du cercle : « Circularité : on ne voit pas le temps passer / mais sa façon de reculer au fur et / à mesure que je marche. » Sans cesse, elle parcourt le paysage à la recherche de ce qu’il peut lui dire, nous dire. Sa langue contient la simplicité des légendes et la poésie des grands espaces, accrochée qu’elle est à des peuples et des idiomes pour qui la poésie est essentielle. L’autrice est allée y chercher le souffle. « D’où la nécessité du vent. Tout est lié. »
Béatrice Machet, Rafales, éditions Lanskine, ISBN 9782359631265
Extrait audio :
dimanche 25 août 2024
dimanche 25 août 2024. Jeux littéraires
quand en vers
on roule droit
les travers
refluent parfois
espiègles esprits villageois
vendredi 23 août 2024
vendredi 23 août 2024. Chroniques-minute
Cela représente presque une gageure que de chroniquer un tel ouvrage, foisonnant, inclassable, boulimique de mots, éjaculatoire de poésie, alors que nombre de connaisseurs et connaisseuses en Lorraine et dans les environs l’attendaient depuis au bas mot… des décennies. C’est que Claude Billon écrit depuis un temps certain, a côtoyé des figures historiques de la poésie et y compte toujours des amitiés : Jean Vodaine bien sûr, le poète-imprimeur emblématique de la région dont la mémoire est perpétuée par une association locale, Jean-Paul Klée, le barde strasbourgeois, Jules Mougin, l’étonnant facteur-poète décédé en 2010, etc. En citer trop serait attenter à la modestie légendaire de Claude. Tiens, facteur, c’était aussi sa profession. Dire que ça le prédestinait aux lettres serait un bien facile jeu de mots, mais il y a de ça, en vérité. Et pourtant, ce recueil est le premier qu’il publie ! Un tour de « ce malheureux pangolin de destin mariole » ? Quoi qu’il en soit, on aura attendu longtemps avant de posséder un ouvrage avec le nom de Claude Billon sur la couverture, mais on n’aura pas attendu en vain : en majorité dans d’amples proses poétiques, souvent justifiées sur la page, il nous offre ses pensées qui circonvolutent activement, truffées de trouvailles sonores et syntaxiques, essayant en toute déférence « de ne pas rentrer à la Banque Rotschild, / s’ouvrir plutôt un coffre d’émotion chez Palestrina ». Déférence envers les figures qui ont marqué ses lectures ou son imaginaire, tels Jules Mougin ou le facteur Cheval (décidément, les facteurs…), dans une poésie où les mots grouillent, les points d’exclamation abondent et les hommages sont sincères (« la poésie d’Edmond Dune c’est des partitions de Bach imprimées avec des encres de Vodaine »). Ça fuse, ça parle en l’espace de quelques lignes autant de « réparer la gloire du myosotis » que de « l’abolition des bolides de la mort ». Pour apprécier ce coq-à-l’âne roboratif de « mots dépoitraillés », il convient de lâcher prise, de « déserter les rangs d’oignons ». Alors, on se trouve emporté par le verbe de Claude, par sa verve, par sa verdeur de poète d’expérience qui révère ses aînés, leur tient « la conversation profonde dans la fidélité » comme il peut se montrer sévère avec ses contemporains (écoutez l’extrait sonore !). Dans tous les textes, la gestion du souffle est essentielle, à tel point qu’on peut perdre haleine à les lire intérieurement. L’ambition est patente : proposer une véritable langue scandée qui fait poésie des cheminements de la pensée, avec ironie et dérision, voire autodérision. Le poète est aussi modeste et discret dans ses attitudes de tous les jours qu’il est expansif et disert sur la feuille. Parfois, d’ailleurs, il fait « juste assez poème / pour aimer » ; parfois se ménagent des pauses en vers courts, sensibles, pour mieux ressauter à pieds joints dans « les cheveux du texte comme un bouillon de vermicelles ». Il faut lire cet infatigable arpenteur des vocables, cette mémoire incollable des poètes, ce trouvère lorrain qui travaille et malaxe les lettres avec passion et constance, comme il les a distribuées.
Claude Billon, Epistola, éditions Baz'Art poétique, ISBN 9782956015857
Extrait audio :
jeudi 15 août 2024
jeudi 15 août 2024. Jeux littéraires
les discours s’empilent
derrière les croisillons du bon sens
les arguments fléchissent
se redressent pour tordre le fil de fer
bien tressé — joutes de papier
vieilli au parchemin d’une histoire des maîtres
les petites mains souquent ferme entre
les pages jaunies de leur sueur
samedi 3 août 2024
samedi 3 août 2024. Jeux littéraires
le ciel brille
quand je ne l’éclaire plus
couché dans l’herbe
je me rends aux chaudes
embrassades du vent
& à l’été
j’étire de tout mon long
la nuit chaude des passants alanguis
mercredi 31 juillet 2024
mercredi 31 juillet 2024. Jeux littéraires
il sera froid
le plat de la revanche
tout est question de taille
& tout vient à point
au végétal
vendredi 26 juillet 2024
vendredi 26 juillet 2024. Jeux littéraires
il court comme une alternative
illusion que la lecture met au jour
les solides pieux plantés dans la terre nourricière
s’effritent sous la surface et
le regard porte loin — dans le flou
des années à venir, puisqu'il faut
croire encore bétonner l’optimisme
de toute façon les années à venir seront
vendredi 12 juillet 2024
vendredi 12 juillet 2024. Notes de lecture
« Je ne suis pas une intellectuelle ma voie est celle du cœur ». Avec cette anthologie qui regroupe plusieurs recueils déjà parus et deux inédits, ainsi que divers entretiens à propos de sa pratique poétique (et picturale), Catherine Andrieu confirme en presque trois cents pages la place singulière qu’elle occupe dans le paysage littéraire : celle d’une poétesse à la voix profondément ésotérique, ancrée dans un lyrisme qui convoque transcendance et érotisme, baignée par l’amour et par la mer.
En « osmose ataraxique », elle convoque ses souvenirs, ses amants, ses amis — parfois disparus dans des circonstances tragiques — pour servir des vers libres biographiques où éclate entre autres sa passion fougueuse pour Paname, son chat disparu : « Tu as le secret de mes nuits étoilées / La rue illuminée le soir, le manège que tu regardes / Couché sur le balcon les bateaux / Je me mets au piano et nous glissons / Sur l’eau. » Le piano est en effet une autre composante des vers de l’écrivaine, qui le pratique inlassablement, au bord de la mer, d’abord la Méditerranée puis l’océan Atlantique (« L’écume des vagues porte les émotions des hommes », nous dit-elle encore). Catherine Andrieu semble, dans un élan inusité de métempsychose, s’incarner dans l’instrument. Celui-ci, aux côtés du chat, préside au déploiement de vers très charnels dans lesquels se dessine une métaphysique assumée : « La nature de ce que nous avons noué dans cette vie / Est de l’ordre du Mystère, amour trans-espèce / Folie, destin et tragédie. »
À cette dernière énumération, on pourrait ajouter obsession : lorsque la violence apparaît, elle est encore et toujours offrande à l’animal fétiche ; il s’agit d’« éclater ta boîte crânienne la cervelle ira au chat ». Ainsi la poétesse trace-t-elle avec ténacité son chemin de page en page, convoquant le souvenir de celles et ceux qui ont compté pour elle, humains ou animaux, s’appliquant à écrire et vivre un programme de jouissance malgré tous les coups portés à l’existence, comme on le lui conseille : « Tu dis écris ou jouis du piano, l’essentiel / Est de jouir. » Le piano encore, obsession mélodique, alter ego qui génère le rythme des poèmes aussi. L’antispécisme qui irrigue ce volume (« Dans une vie antérieure, j’ai été mouette ») constitue un autre leitmotiv offrant au titre sa pertinence : c’est dans le recueil consacré au peintre Anora Borra, autre de ses amis, qu’elle évoque Léda, laquelle « résiste à sa capture sur la toile ». Catherine Andrieu, elle, ne résiste pas à se livrer, nue sous ses vers, dans un élan ou souvent le cosmos est l’horizon du poème. « Je suis une vieille âme livrée au vent de l’Océan. »
Catherine Andrieu, Des nouvelles de Léda ?, Rafael de Surtis, 273 p., 25 €, ISBN 9782846725866
Cette chronique a paru dans le numéro 109 (et dernier) du poézine Traction-brabant, à retrouver ici. Merci à Patrice Maltaverne pour son accueil toutes ces années.
Un extrait :
Dans tes yeux de chat j’ai vu
L’horizon, l’étoile rouge qui brûlera
Encore longtemps après notre amour
J’ai jeté les partitions pour piano
Elles étaient trop gaies
Pour ma mégalo je suis celle qui joue
Du piano sur l’eau je suis virtuose
Si on m’écoute bercer mon petit chat
On m’admire car les réverbères sont des étoiles
Au sol
Reste dans mes bras pour t’endormir
Après la piqûre.
C’était quoi la probabilité de notre rencontre
Ici sur cette Terre d’Océan
Maintenant tout est noyé.
mercredi 10 juillet 2024
mercredi 10 juillet 2024. Jeux littéraires
les meubles se sont carapatés sur la pointe des orteils
à la revoyure petite industrie vaillante
la roue tourne dans le sens de ceux qui paient
pour écrire l'histoire tourne tourne
ça grince ça couine ça patine
mais ça tourne tourne
seule la poussière nous reste fidèle
ses moutons bêlent balayés par nos appétits
allez
à la revoyure quand même
lundi 1 juillet 2024
lundi 1 juillet 2024. Chroniques-minute
Le titre déjà contient une multitude : yuki, en japonais, c’est la neige, mais aussi un prénom féminin. Les neiges éternelles se fondent dans le mythe de la fille éternelle — The Eternal Daughter du récent film de Joanna Hogg — ainsi que dans l’éternel amour qu’éprouve la poétesse pour sa propre fille (« l’amour s’est greffé de toutes ses griffes en moi »). Elle est en effet séparée de celle-ci en raison des restrictions indignes qu’impose le Japon aux parents non japonais d’enfants nés dans l’archipel. « Cruauté, tu n’enlèves rien à la beauté des couloirs de portes vermillon dans les montagnes » : Coralie Akiyama reste cependant fascinée par un pays où elle a longtemps résidé et dont elle évoque les paysages, les traditions culinaires (le « miso mouvant », les « copeaux de bonite gondolés comme de l’herbe au vent »), voire les typhons. Même si ledit pays la prive de sa fille. Or, poignante, elle ne renonce pas : « Dans l’au-delà et même avant je viendrai te chercher ma silencieuse ma digne mon adorée fille aux désirs bridés par un soleil retenu ». Mêlant épisodes de la vie commune, désormais révolue, et amples métaphores qui convoquent l’imaginaire nippon, Coralie propose sa vision extérieure d’un pays où elle a aimé et souffert de l’intérieur : « Les hommes japonais se devinent / tels des cristaux marins sur du papier blanc / il faut s’approcher pour la brillance ». Un pays du soleil levant auquel elle finit par s’adresser, se confier, peut-être parce qu’elle a le sentiment qu’il a une vie propre, au-delà des lois que la société humaine lui impose. Le déchirement de l’au revoir au Japon ne fait ainsi plus qu’un avec le déchirement de la séparation : « Nue de toute étreinte je te désobéis mon île et de loin encore tu ralentis mon vol d’une gravité insulaire de loin encore les plumes saignent. » Et quand la poétesse avoue que lorsque « les caractères [l]’aimèrent », lorsque « le bain à 43 degrés cessa d’être brûlant », elle s’est enfin sentie « papier plié ne souhaitant plus reprendre forme », on se sent empli d’émotion devant cette confession douloureuse. Parfois, l’amour d’un pays semble s’exercer à sens unique. Mais celui pour Yuki est bien partagé ; la patience que confère la pratique de l’origami triomphera de l’adversité, on le sait.
Coralie Akiyama, Éternelle Yuki, éditions du Cygne, ISBN 978-2-84924-770-9
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