Les langues régionales, minoritaires ou les dialectes sont fascinants dans leur diversité, et leur littérature est souvent un plaisir musical de lecture. Dans le cas du recueil Antebrün/Crépuscule, de Paulette Cherici-Porello, il s’agit d’un double plaisir musical, puisque y est inclus un CD avec quelques chansons mises en musique et chantées par Jo Di Pasqua. Le poème qui suit est écrit en monégasque, dialecte d’origine ligure parlé à Monaco, que j’ai voulu explorer pendant ma résidence d’écriture à Berlin. Avec l’italien, l’espagnol et le portugais dans l’oreille, il n’est pas trop difficile de comprendre les grandes lignes, quelques observations grammaticales empiriques et des dictionnaires disponibles en ligne facilitant aussi la lecture.
Les textes de ce recueil font la part belle à la comptine et à la sagesse populaire, même si « tout peut s’exprimer ou se décrire en monégasque », écrit l’autrice. Cependant, la simplicité — relative — et la sincérité du poème ci-dessous font mouche, il me semble, dans la langue originelle. L’exercice de traduction est ici de trouver une langue lyrique, chantée, qui ne trahisse pas l’original tout en donnant les mêmes sentiments que sa lecture. On pourra comparer à la version traduite par l’autrice, disponible ici (avec une lecture audio). La traduction reste l’art du doute sur les termes, le rythme ou le flux des mots…
Antebrün
Aiga che nasce, rüscelu cantarëlu,
Tü che nun sí per min…
Lásciame regardá au fundu di to' œyi
Lásciame regardá au fundu di to' sen.
Lásciame respirá l'audu da to' pele,
L'audu di toi caviyi…
Ün autru cunuscerá i secreti da to' arima,
Ün autru tremurerá sciü'i secreti du to corpu.
Per min,
Achëstu mundu lasceró,
Sença mancu avé pusciüu
Vive ün sulu giurnu ünt'a to' carú.
Rassegnáu a 'chëla sufrança che benedisciu,
Finiró u me camin... da sulu,..ciancianin…
Ma nun stá a me rancá a caressa di to' œyi,
A sula ch'asperu, a sula che vœyu.
Aiga che nasce, rüscelu cantarëlu,
Tü che nun sí per min…
Lásciame regardá au fundu di to' œyi
Lásciame regardá au fundu di to' sen.
Crépuscule
Eau sémillante, ru babillant,
Toi qui jamais ne seras mienne…
Laisse-moi me plonger au fond de tes yeux
Laisse-moi espoir de reposer en ton sein.
Laisse-moi respirer l’odeur de ta peau,
L’odeur de tes cheveux…
Un autre connaîtra les secrets de ton âme,
Un autre vibrera aux secrets de ton corps.
Pour ma part,
Je quitterai ce monde,
Sans avoir pu jamais
M’embraser dans ta chaleur.
Résigné à ces mille souffrances bénies,
J’irai au bout du chemin seul… pas à pas…
Mais surtout ne m’ôte la caresse de tes yeux
Que seule j’espère, à laquelle seule j’aspire.
Eau sémillante, ru babillant,
Toi qui jamais ne seras mienne…
Laisse-moi me plonger au fond de tes yeux
Laisse-moi espoir de reposer en ton sein.