dimanche 20 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #49

petits chemins à la ramasse
sur les bords de lacs vaseux
vous menez dans des ornières grasses
des tourbières désemparées

lorsqu’on vous emprunte
on rend un peu plus tard
avec les pénalités d’usage
la liberté de circuler

hors des frontières
sous les murailles
par-delà le temps
dans des tunnels à peine éclairés

samedi 19 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #48

chaque jour à Berlin
je m’évertue à ne
pas écrire ni po-
ésie trop descriptive
ni poésie narra-
tive & si excepti-
on je fais aujourd’hui
c’est que remonte de
loin dans l’enfance ce
petit livre illustré :
     Florent, le tireur de sonnettes
je l’imagine là
devant cette foison
comme un pianiste fou
jouant le concerto
de son espièglerie

vendredi 18 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #47

[le sonnet plus ou moins classique de la semaine, toujours sans diérèses]

je germe en des akènes blets
pousse bataille de mes mem-
bres serrés concassés dedans
l’exiguïté d’un œuf parfait

je tends vers le dehors avide
de soleil et de nourriture
aspire à la grande aventure
à l’inconnu à l’androïde

le vaste monde est mon idole
de cartes perdues je suis fol
et sème mes pas à tout vent

les étoiles sont la frontière
ultime de mes vœux d’éther
un jour m’en irai fulgurant

jeudi 17 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #46

vers l’horizon
fermé du lac
je me dissous

et ma chanson
gracieuse s'ac-
croche au grand tout

Antebrün/Crépuscule

Les langues régionales, minoritaires ou les dialectes sont fascinants dans leur diversité, et leur littérature est souvent un plaisir musical de lecture. Dans le cas du recueil Antebrün/Crépuscule, de Paulette Cherici-Porello, il s’agit d’un double plaisir musical, puisque y est inclus un CD avec quelques chansons mises en musique et chantées par Jo Di Pasqua. Le poème qui suit est écrit en monégasque, dialecte d’origine ligure parlé à Monaco, que j’ai voulu explorer pendant ma résidence d’écriture à Berlin. Avec l’italien, l’espagnol et le portugais dans l’oreille, il n’est pas trop difficile de comprendre les grandes lignes, quelques observations grammaticales empiriques et des dictionnaires disponibles en ligne facilitant aussi la lecture.

Les textes de ce recueil font la part belle à la comptine et à la sagesse populaire, même si « tout peut s’exprimer ou se décrire en monégasque », écrit l’autrice. Cependant, la simplicité  — relative — et la sincérité du poème ci-dessous font mouche, il me semble, dans la langue originelle. L’exercice de traduction est ici de trouver une langue lyrique, chantée, qui ne trahisse pas l’original tout en donnant les mêmes sentiments que sa lecture. On pourra comparer à la version traduite par l’autrice, disponible ici (avec une lecture audio). La traduction reste l’art du doute sur les termes, le rythme ou le flux des mots…

Antebrün

Aiga che nasce, rüscelu cantarëlu,
Tü che nun sí per min…
Lásciame regardá au fundu di to' œyi
Lásciame regardá au fundu di to' sen.

Lásciame respirá l'audu da to' pele,
L'audu di toi caviyi…
Ün autru cunuscerá i secreti da to' arima,
Ün autru tremurerá sciü'i secreti du to corpu.

Per min,
Achëstu mundu lasceró,
Sença mancu avé pusciüu
Vive ün sulu giurnu ünt'a to' carú.

Rassegnáu a 'chëla sufrança che benedisciu,
Finiró u me camin... da sulu,..ciancianin…
Ma nun stá a me rancá a caressa di to' œyi,
A sula ch'asperu, a sula che vœyu.

Aiga che nasce, rüscelu cantarëlu,
Tü che nun sí per min…
Lásciame regardá au fundu di to' œyi
Lásciame regardá au fundu di to' sen.

Crépuscule

Eau sémillante, ru babillant,
Toi qui jamais ne seras mienne…
Laisse-moi me plonger au fond de tes yeux
Laisse-moi espoir de reposer en ton sein.

Laisse-moi respirer l’odeur de ta peau,
L’odeur de tes cheveux…
Un autre connaîtra les secrets de ton âme,
Un autre vibrera aux secrets de ton corps.

Pour ma part,
Je quitterai ce monde,
Sans avoir pu jamais
M’embraser dans ta chaleur.

Résigné à ces mille souffrances bénies,
J’irai au bout du chemin seul… pas à pas…
Mais surtout ne m’ôte la caresse de tes yeux
Que seule j’espère, à laquelle seule j’aspire.

Eau sémillante, ru babillant,
Toi qui jamais ne seras mienne…
Laisse-moi me plonger au fond de tes yeux
Laisse-moi espoir de reposer en ton sein.

mercredi 16 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #45

tu uses tes doigts
tout contre le vide
abrutis tes sens
de supercherie
les particules t’échappent mais
tu batailles pour rester
plus que rien
un flocon brûlant parmi
la marée glacée
& tu renvoies au nihilisme
moult philosophes blasés

mardi 15 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #44

panne d’oreiller
ne sens plus mon corps
les rayons du soleil dressent
mes antennes vers
les cachots de la mémoire

lundi 14 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #43

les ouvrages d’art obturent les angles
dirigent le regard vers un but conspiré
les pieds passent — impassibles
le regard accommode le flou du labyrinthe

dimanche 13 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #42

quartier interstice
vivacité des rails
où mène la
fluidité de la ville ?
à combien de
pas commence l’étrange ?
dans les gares règne un parfum de dimensions inexplorées

samedi 12 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #41

elle envoie des baisers d’acrylique
des missives rédigées à la bombe
sur du vélin prénumérique
peau tendue préparée aux caresses

elle envoie des parfums de ville
des fragrances de pain & de poubelles
serti de ses mots le facteur chevale
les roues gonflées de transports amoureux

vendredi 11 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #40

lumière
changeante
d’un dôme
constant

nuit pleine
consciente
des jours
mouvants

jeudi 10 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #39

[le sonnet plus ou moins classique de la semaine, sans diérèses]

pour vivre en société je marche sur des œufs
piétine précautionneusement plates-bandes
soucieux toujours de ne pas oublier de rendre
pareille faveur à icelles et iceux

qui comptent dans le gratin dont on tire belles
récompenses couronnes médailles pensions
je ratiocine avant pendant mes ablutions
pour tirer profit de pour remplir mes gamelles

point de mots déplacés point de sautes d'humeur
vers la modération je pointe toute ardeur
les destins exaltés ne seront pas mon lot

et quand de mes manigances le fruit est mûr
point de célébration qui ne soit à la dure
c’est combinant l’assez qu’on décroche le trop

mercredi 9 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #38

banc public
lecture mouillée
je flâne au vent qui emporte les mots
tourne le papier pressé
de retourner au bois de sa naissance
les chapitres
oubliés là
aguichent s’offrent en pâture
aux regards voyeurs absents

mardi 8 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #37

[un tour à Potsdam]

sous les reflets des vanités les hauteurs
qui s’enfoncent une idée de ricochets
de troubles de la surface plane
l’écran du ciel se languit des
vagues fermes d’un clapotis alangui

lundi 7 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #36

j’en ai soupé des mythes
des paraboles des légendes
les légumes vont en paix dans la terre innocente
au marché des âmes
les vertus imposées ne font plus recette
les cultures biologiques chantent
que je suis épris de l’humus
ou du houmous
il faut bien manger
pour créer les mythes de demain

L’insuccès est-il stimulant ?

Oyez, oyez ! Christophe Esnault est de retour ! Cette fois-ci chez Tarmac, toujours avec son savant mélange d’autobiographie désabusée et de militantisme littéraire radical. Son dernier-né, c’est L’insuccès est-il stimulant ?, un recueil qui, dans une première partie en forme d’entretien à bâtons rompus « réalisé dans le sas d’entrée de la Maison de la radio, avant l’intervention des pompiers, retenus par une manifestation de sans-papiers et de sans-abri récemment éconduits de Paris en vue des J.O. », passe en revue quelques idées bien senties de l’auteur sur la marche du monde des lettres, et plus généralement de celui des humains. L’auteur a les réponses… il se pose donc lui-même, on l’aura compris, les questions qui construiront son petit traité de philosophie. Le titre est l’une de ces questions. Comme quoi on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Les sujets abordés sont si divers qu’il est vain de vouloir en donner un large aperçu, mais la liberté, l’aliénation, la littérature comme besoin, la résistance s’invitent dans un tac au tac tour à tour fataliste et combatif. On y met en garde contre le piège « d’écrire pour s’extirper de l’urgence, de la douleur ou de la très mauvaise posture. Alors que l’absurdité pourrait suffire ». Mais en même temps, lorsqu’on demande au poète — lorsque le poète se demande à lui-même — si la liberté est dommageable à la formation d’une pensée, la réponse fuse : « Écrire n’importe quoi sur la liberté, après Marx, Sartre, Nietzsche, après Éluard et la boulangère, après mille autres benêts ou cerveaux chromés qui trouveront de la liberté là où il n’y en a aucune trace, est-ce que ce sera héroïque ou est-ce qu’on a une petite chance, presque poète, presque écrivain et depuis son incandescence de semi-débile planétaire, de produire trois lignes de littérature avec cela ? Je beurre la question sur ma prochaine tartine. » Modestie et lucidité sont au programme de cette première partie à la fois drôle et profonde. Fort d’une expérience acquise au fil de dizaines de livres écrits, Christophe partage une expérience amère et excitante, fait sa lettre à un jeune poète toute personnelle, fût-elle adressée à lui seul. Suivent un très bref abécédaire aphoristique (« Impacter : décernons la Légion d’honneur à ceux qui utilisent ce mot quinze fois par jour ») et un répertoire presque potache de titres fictifs de livre (« Piétinez la littérature comme tout le monde, Classiques Garnier, 2024 »), comme si l’auteur voulait au moyen de quelques facéties s’excuser du sérieux, sous des dehors chahuteurs, de sa première partie philosophique. Le tout est concis, bien trouvé et… stimulant.

Christophe Esnault, L’insuccès est-il stimulant ?, éditions Tarmac, ISBN 979-10-96556-72-4

dimanche 6 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #35

les fruits surs
blessent mon cœur d’une langueur fracture
viendront-ils jamais
les fruits blets ?

Langage|machine

Un écrivain de science-fiction qui se fend d’un recueil de poésie, publié dans la nouvelle collection d’imaginaire du Seuil, Verso, ça ne pouvait que m’intéresser. D’autant qu’il se coltine à un thème particulièrement d’actualité, le devenir des émotions de chair face à l’omniprésence textuelle des machines et des intelligences artificielles (c’est l’objet du chapitre « Cyborgs » de mon recueil Flo[ts], paru en 2015, alors bon, je ne pouvais que succomber) : « À défaut d’une grande réforme de l’existence et de ses conditions matérielles, la poésie esquisse encore la possibilité d’un geste différent, et d’humble résistance. » L’excellent La Nuit du faune, publié par Albin Michel Imaginaire il y a quelques années, bénéficiait d’ailleurs d’une écriture très poétique. La poésie comme résistance, avec son « travail de la lyre », c’est donc ce que le recueil propose. Et force est de constater qu’il est éminemment lyrique : dans un rythme où l’alexandrin donne la mesure (même si tous les vers ne sont pas sur ce modèle), Lucazeau convoque toutes les technologies de pointe, tous leurs mots clefs, leurs tournures, et les mélange à un langage inspiré des classiques pour composer des odes parfois dotées de titres en latin, avec un programme bien particulier : « Chaque trouvaille dans le travail du langage et chaque harmonie structurée d’assonances, et chaque rythme qui refuse la banalité de la prose produite par des processus ou par des algorithmes, constituent une victoire contre la trivialité, c’est-à-dire, aujourd’hui, la liquidation du sens dans la production d’un langage automatisé. » Ainsi le « vrombissement de machines vivantes » pulse-t-il dans des lieux où « des prophètes brandissent de banales utopies / enlardées de logos et de technologie », le tout dans un « itératif dédale » connecté « en liaison hypertexte ». Pétri de culture classique, le poète convoque entre autres Dante (« Au mitan de ma vie je m’égarai dans une sombre forêt »), mélange les niveaux de langage (« Ma bite a pénétré de suintants polymères », oui, c’est un alexandrin), sert une poésie un peu surannée, un peu trop lyrique peut-être pour le caractère disruptif des innovations technologiques qu’il chante ou qu’il bafoue — mais il est honnête, nommant une des parties « Esquisses d’un lyrisme pour les jours obscurs ». Cela étant, voilà aussi une poésie sincère qui pourra toucher celles et ceux qui, lecteurs et lectrices de science-fiction, ne connaissent que peu la poésie contemporaine. Jeter des ponts entre les deux genres fait sens. Gageons que les éditions du Seuil ont vu là une opportunité commerciale, Romain Lucazeau ayant déjà un nom bien installé dans le milieu de l’imaginaire, mais après tout, c’est de bonne guerre. Un auteur de science-fiction peut parfaitement ressentir dans sa chair l’appel de la poésie : « L’urbanisation des astres / Travaille mon bas-ventre et raidit mes désirs ».

Romain Lucazeau, Langage|machine, éditions du Seuil, collection Verso, ISBN 978-2-38643-126-5


Extrait audio :

samedi 5 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #34

vertèbres bandées
tu fores
la source se dérobe
ta vie est prise dans un goulot irréversible
mieux vaut en sourire
puis forer
vertèbres bandées

Ossa di crita

Parfois, en relisant un livre dans le cadre d’un projet particulier, on tombe sur un poème déjà coché et dont l’effet est toujours là, toujours aussi fort. C’est ce qui m’est arrivé avec ce poème de Massimo Barilla, extrait d’Ossa di crita (Os d'argile), publié en 2020. Je n’en mets que la version en dialecte de Reggio de Calabre, mais le livre est bilingue, avec des traductions en italien — les deux textes ont permis les choix pour l’interprétation en français.

lu tempo da sarvizza

Dassa parrari la notti
pi vidiri si veni
lu tempu da sarvizza
a manu chi queta lu ventu
u sonnu chi accarizza

Dassa parrari la notti
lu scuru senza stiddi
e scuta cu li mani
a filu di luci nova
li vuci di dumani

Dassa parrari la notti
mantenici corda e spago
tenila,
supra lu pettu
tenila,
idda non pigghia sonnu
idda non perdi ciatu

Dassa parrari la notti
e serbaci palori scanusciuti
cunsacrati cu acqua
nira di cielu
e sucu di rangi amari

le temps du salut

Laisse parler la nuit
pour voir si advient
le temps du salut
une main qui calme le vent
un songe qui caresse

Laisse parler la nuit
l’obscurité sans étoiles
et écoute avec les mains
au fil de la lumière nouvelle
les voix de demain

Laisse parler la nuit
fournis-lui corde et ficelle
tiens-la,
sur ton sein
tiens-la,
jamais elle ne sombre dans le sommeil
jamais elle ne perd le souffle

Laisse parler la nuit
garde-lui des paroles inconnues
consacrées par l’eau
le noir du ciel
et le jus d’oranges amères

vendredi 4 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #33

aux parapets des eaux
l’amour rouillé —
formes courbes
membres allongés
étirements dans la matrice
de métal — enfermement naïf dans
la passion pétrie de
serrures fracturées

jeudi 3 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #32

[le sonnet plus ou moins classique de la semaine]

sourire d’aujourd'hui ce n’est pas sinécure
les envolées de bombes et de propos a-
mers battent le pavé à force de médias
costumes trois-pièces longues robes de bure

sourire d’aujourd’hui ce serait bien benêt
sous les mots lénifiants de chatte-gépété
comment faire la part comment interpréter
le flux des influences la portion des faits

pourtant les dents se découvrent entre les lèvres
pourtant des éclats blancs se glissent en orfèvres
sur les visages crus de nos façons crédules

car il en va ainsi de nos pauvres cervelles
croire en l’avenir c’est forger des étincelles
sabrer l’inconfort pour sourire dans sa bulle

mercredi 2 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #31

pluie de notes
rebonds de cordes sympathiques
le sitar se glisse dans les replis des parois
le bourdon butine les consciences
un instant la musique adoucit
l'âpreté du monde

mardi 1 octobre 2024

Berlin en photos et poèmes sans filtre, #30

[retour à Berlin — poème géographique]

en octobre
résurgence de résidence
pour cracher les mots
il faudra d’abord
avaler la Havel

lundi 23 septembre 2024

Une photo, un poème sporadique, #26

data.webp, septembre 2024
Leeds, 19 septembre 2024

croque les noms les adresses les numéros
de ta panse siliceuse
jaillira l’artifice d’aise
qu’un Léthé bienheureux
viendra éteindre
les époques se ressemblent
les ponts savent
eux

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