Discrétion ne signifie pas absence de talent. Parmi les écrits de poètes ou poétesses qui n’ont pas souvent les honneurs de la célébration se lisent des textes de qualité, avec une patte reconnaissable ou des images puissantes. Il en va ainsi d’Albert Gatez (1927-1999), poète virtonais — mais aussi peintre et sculpteur — à qui les éditions Traversées, sises dans sa ville, ont rendu hommage en 2022 en publiant un volume de ses poèmes. En voici deux glanés parmi le livre, duquel se dégage une sensibilité extrême doublée de la lucidité de qui sait manier la politesse rigolarde du désespoir temporaire.

Albert Gatez, Poèmes, éditions Traversées, ISBN 9782931077054


Je me suis perdu, un peu bleu
Désert — l’étrange porteur de saisons —
Étranger d’être
D’être temps qui n’existe pas
D’être centre en ton automne
D’être bouche à ta source
D’être chien
Dis-moi donc que je suis beau
Que je suis étrange, que je suis orphelin.
Captive — tu résorbes à petit feu
L’illusoire vertige de notre néant
Oui, tu peux me tricoter
Un pourpoint rigolo
Il faut une tunique écarlate
Pour ma tristesse d’âne

*

Use mes souliers à dompter chagrin
À déboursoufler bedaine
À vendre ma peau misère
Aux tronches de bouc écarlates
Aux chasseurs, mal empaillée
À l’épicier triple dose
Vend du pousse-au-crime
À crédit et du bœuf minute
Non, non, mes seigneurs
Ne m’aurez pas la bouche pleine
La dent creuse souillée
Même
Avec des caleçons longs, longs
Comme les gendarmes
À marée basse, bilboquet
Un doigt dans le cul
Et l’autre nulle part.