L’œuvre de Nâzim Hikmet (1902-1963) est fascinante. D’abord parce que le poète turc, communiste convaincu, a passé une bonne partie de sa vie en prison ou en exil et que ses vers s’emparent de ces thèmes avec, évidemment, l’authenticité profonde de l’expérience. Mais aussi parce que le mal qu’on lui a fait, il le retourne pour sortir de ses tripes des mots d’une empathie rare et des poèmes d’amour qui transcendent la banalité d’un genre pourtant ressassé depuis des siècles. Un des thèmes qui traversent ses écrits est la répulsion que provoque chez lui l’arme nucléaire, qu’il oppose à la beauté du monde et, ici, à l’innocence d’une enfant.

Nâzim Hikmet, Il neige dans la nuit, collection Poésie Gallimard.


LA PETITE FILLE

C’est moi qui frappe aux portes
aux portes, l’une après l’autre.
Je suis invisible à vos yeux.
Les morts sont invisibles.

Morte à Hiroshima
il y a plus de dix ans,
je suis une petite fille de     sept ans.
Les enfants morts ne grandissent pas.

Mes cheveux tout d’abord ont pris feu,
mes yeux ont brûlé, se sont calcinés.
Soudain je fus réduite en une poignée de cendres,
mes cendres     se sont éparpillées au vent.

Pour ce qui est     de moi,
je ne vous demande rien :
il ne saurait manger, même des bonbons,
l’enfant qui comme du papier a brûlé.

Je frappe à votre porte, oncle, tante :
une signature. Que l’on ne tue pas les enfants
et     qu’ils puissent     aussi manger des bonbons.