Parmi l’immensité des catégories de poètes, il y a celle du poète ancré dans la vie de tous les jours, et tout particulièrement dans la vie au travail. Habile ou malhabile tâcheron des mots qui décrivent des gestes répétés, il rend simplement compte de son vécu, comme un exutoire peut-être ; il ne prétend pas à la transcendance de la publication ou à l’honneur des reconnaissances.

C’est d’autant plus vrai pour Xu Lizhi qu’il s’est suicidé le 30 septembre 2014 à Shenzhen. Il était employé chez Foxconn, le fameux sous-traitant d’Apple et consorts connu pour ses conditions de travail inhumaines, qui a déjà fait l’objet de nombreux articles dans la presse. Xu Lizhi était aussi un travailleur migrant : originaire de la ville de Jieyang, dans l’est de la province du Guangdong, il a été embauché par Foxconn à quelque 300 kilomètres de là. Foxconn People, le journal interne de cette mégaentreprise qui compte 350 000 personnes à Shenzhen, a d’ailleurs publié des articles de Xu. Son rêve ? Devenir libraire. Mais le sort en a décidé autrement. Acculé pour vivre à travailler à la chaîne pour assembler les gadgets électroniques d’un monde en mal de connectivité compulsive, il n’aura tenu que jusqu’à 24 ans.

Certains de ses poèmes ont été traduits en français par Célia Izoard et Alain Léger dans le livre La machine est ton seigneur et ton maître, éditions Agone, 2016, 128 p., 9,50 €.


Une vis tombe par terre (9 janvier 2014)

Une vis tombe par terre
Dans cette nuit noire des heures supplémentaires
Plongeon vertical, on l’entend à peine atterrir
Personne ne la remarquera
Tout comme la dernière fois
Une nuit comme celle-ci
Quand quelqu’un s’est jeté
Dans le vide

*

Une sorte de prophétie (18 juin 2013)

Les anciens du village disent tous
Que je ressemble trait pour trait à mon grand-père jeune
Je n’arrivais pas à les croire
Mais à force de les écouter
Ils m’ont convaincu.
Mon grand-père et moi avons les mêmes expressions du visage
Même caractère, mêmes passe-temps
Comme si nous étions sortis du même ventre
Mon grand-père était surnommé « Tigre de bambou »
Et moi « Porte-manteaux »
Mon grand-père ravalait souvent ses sentiments
Je suis souvent obséquieux
Mon grand-père aimait les devinettes
J’aime les prémonitions
1943, à l’automne 1943, les démons japonais sont entrés et
Mon grand-père a été brûlé vif
23 ans, à l’âge de 23 ans.
J’aurai 23 ans cette année.

*

Un autre poème en français dans un article de Télérama.