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samedi 30 mars 2024

Rendre l’âme mais à qui ?

« Je veux bien chanter avec vous Monsieur qui chantez si fort. Mais avant j’aimerais quand même bien savoir : qu’entendez-vous par sang guimpur ? » Spécialisée dans la publication d’aphorismes, la maison Cactus inébranlable accueille pour ce nouvel opus — au sein de la collection « Microcactus » qui tient dans la poche — un Daniel Birnbaum en forme, lequel a pris soin de creuser le sillon de ces courts textes humoristiques. La poésie les prend bien volontiers sous son aile, elle qui ne dédaigne pas les sourires. Il me faut pourtant reconnaître que l’aphorisme, dans son immédiateté amusante, n’est pas forcément mon genre poétique préféré (même si, bien entendu, l’immédiateté n’empêche pas la profondeur). Pas grave : outre des aphorismes plus succincts et directs, Daniel propose dans ce recueil moult microhistoires où s’installe une narration, où la chute n’est pas automatiquement là où réside l’humour… en somme, et pour ma subjectivité s’entend, des textes plus fouillés et qui permettent de varier les styles. Certains thèmes récurrents relèvent aussi du comique de répétition. Ainsi Dieu en prend-il pour son grade, tout comme celles et ceux qui ont la faiblesse de croire en… iel :

CQFD (ce qui fait Dieu)
D’il et elle on fait iel, de celle et celui faisons ciel, de celles et ceux faisons cieux, d’elle et de lui faisons d’iel, et d’elles et d’eux faisons dieux.
Se faire dieu, c’est ce que nous voulons, non ?

On le voit, les bons mots sont ici également de beaux mots, dans une construction élaborée. Les extra-terrestres s’invitent aussi souvent dans les microrécits. Tiens, dans celui-là par exemple, qui pourrait bien être lié au précédent (construction, je vous dis) :

Une croix sur sa carte
L’extra-terrestre gare son vaisseau en orbite, passe dans la machine à morphing, en ressort en humain, et s’en va visiter le pays qu’il a choisi pour les vacances. Grâce à son charisme et quelques effets spéciaux dont il ne peut s’empêcher de faire la démo, il se fait de nombreux amis. Notamment un certain Judas.

Lucide, ironique, joueur, tendre aussi, le poète croque des scènes qui mettent en avant la beauté du monde dans tout ce que celui-ci a de parfois absurde et pourtant émouvant. Sans pour autant en cacher la rudesse. Allez, une dernière microhistoire pour la route, pour clôturer cette microchronique d’un recueil petit format qui ne la ramène pas, mais fait preuve de sérieux dans la gaieté :

Marché
On dit que les cordonniers sont les plus mal chaussés. Lui travaille carrément pieds nus. Il s’installe tous les jours sur le trottoir en face du marché Ben Thanh. Quoi de plus naturel, finalement, que de réparer les chaussures à l’endroit même où elles s’usent. Il répare les chaussures de son quartier. Pas celles qu’il n’aura jamais l’occasion de porter, celles qui servent à marcher sur les autres.

Daniel Birnbaum, Rendre l’âme mais à qui ?, Cactus inébranlable éditions, ISBN 978-2-39049-098-2

lundi 4 juillet 2022

Le Temps mauve

« Comme une suite » — à en croire la bibliographie — aux Années Creuse chez Jacques Flament et à Quand je serai jeune chez p.i. sage intérieur, ce recueil continue l’exploration des souvenirs, une voie que Daniel Birnbaum ne se lasse pas d’emprunter dans ses pérégrinations poétiques. Est-ce pour autant un « combat perdu d’enfance » ? Arguons que non, car les poèmes qui se succèdent — certains titrés, d’autres pas, tous en vers libres et narratifs — ont le pouvoir de faire naître dans l’esprit de qui les lit une nostalgie véritable, que les anecdotes racontées par Daniel puissent être reliées à des souvenirs personnels ou pas. Avec, toujours, cet art de la construction dans la brièveté que vient couronner, après des paroles simples, une chute en forme de morale pas moralisatrice, s’appuyant souvent sur la polysémie et le jeu de mots. « roulé ou être roulé / parfois la différence est très fine / aurait dit mon père // les pères aiment les formules » : le poète aussi, qui se repose sur ses ancêtres et ses amis ou amies d’une époque doucement révolue pour livrer des textes où la mélancolie côtoie l’humour. La modestie, le doute raisonnable s’y insèrent : « j’ai toujours eu l’impression / que les autres savaient tout / et moi pas grand-chose ». Mais, évidemment, Daniel est malin et sait trousser des poèmes. C’est pourquoi, en cheminant avec lui sur les venelles de la mémoire, on aura tout le long du recueil un sourire tendre aux lèvres, qui sied à la lecture du livre d’un ami. Et on fouillera aussi dans nos têtes, roulant derrière un tracteur « malgré les signes du conducteur / qui [nous] invitent à passer », puisque après tout « ce petit bouchon de campagne / a déjà libéré les bulles souvenirs / qui remontent si vite à la surface ».

Daniel Birnbaum, Le Temps mauve, éditions Ballade à la lune, ISBN 978-2-38295-011-1

samedi 10 octobre 2020

Quand je serai jeune

jeune.jpg, oct. 2020

L’écriture de Daniel Birnbaum est tout en équilibre. Pas exagérément lyrique, mais toujours dans l’émotion, souvent grâce à des chutes qui relient la tranche de vie évoquée à sa « morale » pour le poète — morale qui n’a pas la prétention d’être universelle, mais qui résonne comme la confidence d’un ami. Pas exagérément dépouillée, mais faite de mots simples, sans emphase, qui assurent une compréhension immédiate — pas étonnant que Daniel ait aussi écrit des poèmes pour la jeunesse, puisqu’il sait si bien se faire comprendre. Pas non plus de rentre-dedans ostentatoire ni d’humour m’as-tu-vu, mais un discours qui coule comme un ru discret, où les jeux de mots rencontrent l’humour subtil. Bref, tout en équilibre. C’est cette voix à la fois sage et facétieuse qu’on retrouve dans Quand je serai jeune, qui se penche avec un brin de nostalgie sur la jeunesse de l’auteur. Entre « les mugissements / des vaches à traire / qui crient la vie de tous côtés » et « la rivière / qui partait dans un grand éclat de rire / éclaboussant le ciel et les joncs », on part avec l’auteur dans une campagne quasi idéale, où lui et ses camarades étaient « comme de jeunes plantes » qui avaient « quelque chose d’immortel / sous le vert tendre ». Des années qui ont formé son regard (évoquées aussi dans Les Années Creuse chez Jacques Flament) et qui proposent, à l’ère du numérique envahissant, « un véritable / octet d’humanité ».

Daniel Birnbaum, Quand je serai jeune, éditions p.i. sage intérieur, ISBN 978-2-9560128-5-6


Caveau

Savez-vous comment c’est
l’intérieur d’un caveau
c’est assez simple en fait
trois couchettes superposées de chaque côté
comme dans les vieux trains de nuit
en seconde classe
où l’on choisissait sa place
si l’on arrivait les premiers
et que ce n’était pas réservé

avant de faire au revoir
à ceux qui restaient sur le quai
parfois avec une larme à l’œil.

vendredi 2 août 2019

Quatre échanges poétiques récents

Vanitas vanitatum et omnia vanitas ! Quel poète n’a pas déjà fait le plein de ses propres livres, dans l’espoir de les écouler comme des petits pains lors des forcément très nombreuses lectures ou des évidemment pléthoriques rencontres avec un public friand de la verve de ses vers ? Car la plupart des éditeurs proposent bien quelques exemplaires gratuits, en compensation des faibles droits d’auteur (pas toujours payés à temps, ou pas toujours payés tout court), mais on en prend toujours un peu plus à un prix d’ami, on ne sait jamais. Et le stock dort sur une étagère, parce que la poésie contemporaine, ben, vous savez quoi ? Ce sont d’abord les poètes qui la lisent — et il se murmure même qu’il y aurait des poètes indélicats qui écrivent sans lire les autres, et qu’ils seraient (ça, c’est un comble) les plus nombreux…

Non, en fait, attendez ! Parmi les poètes, nombreux sont ceux qui pratiquent aussi l’échange poétique. Comment ? Tout simplement en prenant contact (sur Facebook en général, lorsque ce n’est pas sur un salon ou un événement) avec un autre poète et en postant leurs recueils, histoire de faire fonctionner pour un moment encore le service postal. Et j’aime bien le principe : il permet de découvrir des écritures qu’on ne connaissait pas ; d’obtenir des livres qu’on ne pourrait pas acheter sinon (j’habite au Luxembourg, je n’ai pas de chèques à expédier pour commander !) ; de se faire plaisir avec le nouvel opus de quelqu’un qu’on connaît et qu’on suit un peu, parce que c’est impossible de se payer au prix fort de l’éditeur (je sais, il doit vivre aussi, c’est entendu) toutes les nouveautés qu’on voudrait lire. Enfin… si on fait partie de la catégorie des poètes qui écrivent et qui lisent les autres, évidemment.

Daniel Birnbaum, Kévin Broda, Morgan Riet et Salvatore Sanfilippo font partie de cette catégorie-là. À les lire sur le réseau social susmentionné, nul doute ne peut subsister. Et en plus, ils écrivent bien.

Daniel, par exemple, habitué de la poésie du quotidien (et des haïkus, mais c’est une autre histoire), évoque dans Le Cercueil à deux places le vieillissement, ce processus où justement le quotidien a le potentiel de devenir une quasi-aventure. Avec une tendresse et une certaine admiration : si « [sa] grand-mère / n’aurait pas inventé / la bombe atomique », c’est que, comme le conclut le poète, elle avait « plus qu’un seul atome de jugeote ». On le voit, la tendresse et l’admiration font bon ménage avec l’humour : « Il aurait fallu que nous fissions de même » est le titre du poème. Un recueil qui fleure bon l’empathie, sans s’apitoyer, qui caresse de mots les petites choses simples et où la mort arrive comme un épilogue toujours doux : « et parce que c’était comme ça / quand ils allaient sur leur canot / je me disais qu’elle aurait bien aimé / être avec lui / dans un cercueil à deux places. »

Daniel Birnbaum, Le Cercueil à deux places, éditions Gros Textes, ISBN 978-2-35082-412-3

La poésie de Kévin dans Amour silencieux/Lubire tăcută s’ancre aussi dans le quotidien (c’est d’ailleurs un trait commun à ces quatre auteurs), mais avec, il me semble une certaine pointe d’onirisme et surtout la volonté de contester un ordre établi qui ne convient guère à un poète qui se respecte : « Le vampire capitaliste / Suce mon sang. / Je blêmis, titube / Et tombe. / Qui sera / La prochaine / Victime ? » Réponse, toujours en vers concis et rentre-dedans, au poème suivant : « Mon sang était / Empoisonné / Par les / Pesticides. / Mon âme / S’envole / En rigolant. » Alternance de révolte et de résignation aussi, lorsqu’il écrit « J’aurais pu ne pas être / Mais je suis / Le poids lourd / Que je traîne ». Le livre, publié en Roumanie, bénéficie de traductions en roumain qui lui donnent une note d’exotisme et permettent de piquer la curiosité. Et c’est le premier d’un ensemble de sept recueils, apprend-on au début. De quoi nourrir de prochains échanges !

Kévin Broda, Amour silencieux/Lubire tăcută, editura grinta, ISBN 978-973-126-381-6

Quotidien toujours donc avec Morgan, qui avec Du soleil, sur la pente continue son petit bonhomme de chemin poétique entre souvenirs et rêveries diurnes. Même si quelquefois il rejoint Kévin dans la contestation de l’ordre social (le sourire obligé d’un « Centre d’appels », même avec « un loyer à payer / des enfants / à nourrir, à aimer, y faut simplement… / qu’elle / tienne »), sa poésie est plus contemplative, ses rythmes plus amples, ses débordements dans la vie intérieure plus fréquents. Un contraste intéressant donc — et ce n’est pas le moindre intérêt des échanges poétiques que de lire, comparer, trouver les points communs et les différences de diverses sensibilités d’écriture. Avec l’affirmation du rôle du poète en roseau pensant, ancré pourtant dans la réalité : « Bien plus qu’un wagon / qu’un train de retard / c’est tout un réseau / neuronal / qui me sépare / de vos jeux, joutes / et tchates / de toutes / vos virtuosités virtuelles. » Une réalité qui peut, instantanément, basculer dans l’imagination pure : « Bel après-midi clair d’hiver / travaillé au corps / par ma paresse / à la pelle – Et voilà / que je rêvasse ». On chemine sur la pente avec Morgan comme avec un ami qui nous confie ses pensées.

Morgan Riet, Du soleil, sur la pente, éditions Voix tissées, ISBN 978-2-916626-96-3

« Pour faire fonctionner les zygomatiques », m’écrit Salvatore dans son envoi. Car le plaisir de l’échange, c’est aussi celui du petit mot écrit sur le livre, qui lui donne une valeur supplémentaire que l’achat anonyme n’a évidemment pas. Mots simples, expressions volontiers familières, on est avec Et bien sûr j’ai pas de parapluie dans un registre revendiqué de poésie ludique, sans prétention autre que celle de dérider les visages commotionnés par l’ordre social que ses collègues ci-dessus dénoncent avec plus de virulence, moins d’ironie. Mais ça fonctionne tout aussi bien, parce qu’il faut bien reconnaître qu’il est impossible (en tout cas pour moi) de rester plongé trop longtemps dans le grand bain de la poésie sérieuse. Comme le dit Salvatore, « Faut vivre / Fauve / Faut vivre / Ivre / Faut vivre / Fauve ivre » ! Les zeugmes et les jeux de mots se succèdent, au point de décerner le prix Nobel de littérature « au perroquet Jaco / Pour sa performance magnifique / Son discours enflammé ». Tiens, voilà que soudain perce une ironie bien plus subtile que le simple amusement. C’est ça aussi, la poésie ludique.

Salvatore Sanfilippo, Et bien sûr j’ai pas de parapluie, éditions Gros Textes, ISBN 978-2-35082-418-5

Beaucoup de points communs donc dans ces quatre écritures intéressantes, et de belles découvertes ainsi que des moments émouvants de poésie. Le milieu est parfois un panier de crabes, mais il suffit de choisir ses fréquentations pour l'apprécier au mieux.