« Comme une suite » — à en croire la bibliographie — aux Années Creuse chez Jacques Flament et à Quand je serai jeune chez p.i. sage intérieur, ce recueil continue l’exploration des souvenirs, une voie que Daniel Birnbaum ne se lasse pas d’emprunter dans ses pérégrinations poétiques. Est-ce pour autant un « combat perdu d’enfance » ? Arguons que non, car les poèmes qui se succèdent — certains titrés, d’autres pas, tous en vers libres et narratifs — ont le pouvoir de faire naître dans l’esprit de qui les lit une nostalgie véritable, que les anecdotes racontées par Daniel puissent être reliées à des souvenirs personnels ou pas. Avec, toujours, cet art de la construction dans la brièveté que vient couronner, après des paroles simples, une chute en forme de morale pas moralisatrice, s’appuyant souvent sur la polysémie et le jeu de mots. « roulé ou être roulé / parfois la différence est très fine / aurait dit mon père // les pères aiment les formules » : le poète aussi, qui se repose sur ses ancêtres et ses amis ou amies d’une époque doucement révolue pour livrer des textes où la mélancolie côtoie l’humour. La modestie, le doute raisonnable s’y insèrent : « j’ai toujours eu l’impression / que les autres savaient tout / et moi pas grand-chose ». Mais, évidemment, Daniel est malin et sait trousser des poèmes. C’est pourquoi, en cheminant avec lui sur les venelles de la mémoire, on aura tout le long du recueil un sourire tendre aux lèvres, qui sied à la lecture du livre d’un ami. Et on fouillera aussi dans nos têtes, roulant derrière un tracteur « malgré les signes du conducteur / qui [nous] invitent à passer », puisque après tout « ce petit bouchon de campagne / a déjà libéré les bulles souvenirs / qui remontent si vite à la surface ».

Daniel Birnbaum, Le Temps mauve, éditions Ballade à la lune, ISBN 978-2-38295-011-1