« Je veux bien chanter avec vous Monsieur qui chantez si fort. Mais avant j’aimerais quand même bien savoir : qu’entendez-vous par sang guimpur ? » Spécialisée dans la publication d’aphorismes, la maison Cactus inébranlable accueille pour ce nouvel opus — au sein de la collection « Microcactus » qui tient dans la poche — un Daniel Birnbaum en forme, lequel a pris soin de creuser le sillon de ces courts textes humoristiques. La poésie les prend bien volontiers sous son aile, elle qui ne dédaigne pas les sourires. Il me faut pourtant reconnaître que l’aphorisme, dans son immédiateté amusante, n’est pas forcément mon genre poétique préféré (même si, bien entendu, l’immédiateté n’empêche pas la profondeur). Pas grave : outre des aphorismes plus succincts et directs, Daniel propose dans ce recueil moult microhistoires où s’installe une narration, où la chute n’est pas automatiquement là où réside l’humour… en somme, et pour ma subjectivité s’entend, des textes plus fouillés et qui permettent de varier les styles. Certains thèmes récurrents relèvent aussi du comique de répétition. Ainsi Dieu en prend-il pour son grade, tout comme celles et ceux qui ont la faiblesse de croire en… iel :
CQFD (ce qui fait Dieu)
D’il et elle on fait iel, de celle et celui faisons ciel, de celles et ceux faisons cieux, d’elle et de lui faisons d’iel, et d’elles et d’eux faisons dieux.
Se faire dieu, c’est ce que nous voulons, non ?
On le voit, les bons mots sont ici également de beaux mots, dans une construction élaborée. Les extra-terrestres s’invitent aussi souvent dans les microrécits. Tiens, dans celui-là par exemple, qui pourrait bien être lié au précédent (construction, je vous dis) :
Une croix sur sa carte
L’extra-terrestre gare son vaisseau en orbite, passe dans la machine à morphing, en ressort en humain, et s’en va visiter le pays qu’il a choisi pour les vacances. Grâce à son charisme et quelques effets spéciaux dont il ne peut s’empêcher de faire la démo, il se fait de nombreux amis. Notamment un certain Judas.
Lucide, ironique, joueur, tendre aussi, le poète croque des scènes qui mettent en avant la beauté du monde dans tout ce que celui-ci a de parfois absurde et pourtant émouvant. Sans pour autant en cacher la rudesse. Allez, une dernière microhistoire pour la route, pour clôturer cette microchronique d’un recueil petit format qui ne la ramène pas, mais fait preuve de sérieux dans la gaieté :
Marché
On dit que les cordonniers sont les plus mal chaussés. Lui travaille carrément pieds nus. Il s’installe tous les jours sur le trottoir en face du marché Ben Thanh. Quoi de plus naturel, finalement, que de réparer les chaussures à l’endroit même où elles s’usent. Il répare les chaussures de son quartier. Pas celles qu’il n’aura jamais l’occasion de porter, celles qui servent à marcher sur les autres.
Daniel Birnbaum, Rendre l’âme mais à qui ?, Cactus inébranlable éditions, ISBN 978-2-39049-098-2