[Je reproduis ici, passé un certain délai, mes articles consacrés à des livres relevant des littératures de l’imaginaire pour le supplément Livres-Bücher du Tageblatt luxembourgeois. Limités en signes, ces articles sont formatés pour un journal imprimé, mais celui-ci ne les publie pas en ligne.]
Chacun cherche son chant
Émilie Querbalec : Un roman de premier contact
Après Quitter les monts d’Automne, prix Rosny aîné en 2021, Émilie Querbalec s’offre un retour gagnant pour son deuxième opus chez Albin Michel Imaginaire.
Les Chants de Nüying, ce sont les sons étranges repérés par une sonde sur cette exoplanète qui tourne autour de l’étoile Shun, à vingt-quatre années-lumière de la Terre. Au XXVIe siècle, le Yùtù Mèng s’apprête donc à partir vers Nüying avec à son bord des scientifiques, mais aussi un entrepreneur spatial sino-américain conseillé par un gourou tibétain. Car si le roman se situe dans un univers uchronique où la Chine — on l’aura deviné aux divers noms employés — est la puissance spatiale qui a la première envoyé un homme sur la Lune, l’invasion du Tibet a bien eu lieu, elle, favorisant la constitution d’une diaspora à la spiritualité en vogue, mêlée aux innovations technologiques.
Émilie Querbalec opte pour une narration qui alterne les personnages. Brume, biologiste plus à l’aise avec les mammifères marins qu’avec les humains, espère découvrir les êtres à l’origine des chants extraterrestres. William, cybernéticien féru de poésie chinoise, participe à bord au projet de réincarnation numériquement assistée du milliardaire Jonathan Wei, président de Space’O (oui, le modèle est plutôt transparent). S’invitent aussi Meriem, astrophysicienne, Dana, cybernéticienne en chef, leur fille Anouk ou le gourou de la secte Terre d’Éveil, Sonam Tsering. Tous ont leurs propres objectifs dans ce voyage, et le tissage de ces aspirations qui parfois s’entrechoquent donne de l’épaisseur à l’intrigue. Le style de Querbalec montre une réelle volonté inclusive et une empathie profonde pour ses personnages, mais cela ne l’empêche pas de faire passer tout ce petit monde par une série d’épreuves sévères : ne s’aventure pas qui veut vers les étoiles !
Si l’incommunicabilité avec les espèces extraterrestres (avec un air de Fiasco de Stanislas Lem) est ici le thème principal, l’autrice brasse avec maîtrise d’autres notions en vogue dans la littérature de science-fiction actuelle, dont le voyage dans un vaisseau-monde ou le transfert numérique de la conscience. Au moyen d’une base scientifique solide et en prenant appui sur la spiritualité orientale, elle signe un roman de premier contact foisonnant, qui fascine et interroge à la fois.
Émilie Querbalec, Les Chants de Nüying, Albin Michel Imaginaire, 2022, 464 p., 22,90 €.