C’est dans le cadre de la préparation d’un entretien croisé à paraître à l’automne 2024 que j’ai pu lire Les Sentiers de recouvrance avant sa publication officielle en janvier prochain. Je n’avais pas initialement prévu d’article sur l’ouvrage, en tout cas pas, pour diverses raisons, dans les journaux papier qui accueillent certaines de mes recensions. Mais, à la lecture, il m’a paru impossible de ne pas rendre compte de ce roman.

« Ayden se sentit aussitôt moins angoissé. Dans sa tête, les lombrics reprirent leur travail silencieux d’aération et de fertilisation. Les embryons de charmes, de chênes et de châtaigniers se remirent à absorber les éléments nutritifs contenus dans leurs graines, et leurs radicelles à s’enfoncer dans les profondeurs tièdes du monde. La toile invisible des réseaux micellaires renouait sa conversation secrète. » Après plusieurs livres qui faisaient ressentir avec gourmandise le vertige de l’exploration spatiale, Émilie Querbalec fiche ses mots dans l’humus de notre bonne vieille planète. Comme Kim Stanley Robinson, qui après sa trilogie martienne nous a gratifiés d’un Ministère du futur en forme de plaidoyer pour les générations futures ici-bas et pas dans l’espace, l’autrice se coltine à la fiction climatique avec en tête l’envie de « réparer nos liens à la Terre ». Et elle célèbre celle-ci avec beaucoup de soin, détaillant espèces végétales ou animales avec une plume agile, dans ces années 2030 où la montée des eaux a rendu le bord de mer périlleux, où l’« érosion se [mesure] maintenant à l’échelle d’une vie humaine, modifiant les mentalités et les comportements de manière progressive ou brutale, selon les cas ».

Difficile, dans ce futur proche, de ne pas céder à l’écoanxiété, en particulier pour les jeunes dont l’avenir pourrait être sévèrement compromis. C’est dans ce contexte qu’Ayden, qu’on a rencontré plus haut, va croiser le chemin d’Anastasia dans une Bretagne propice à la recouvrance — ce beau substantif un peu désuet, mais qui dégage une harmonie potentielle dont le livre entend se faire l’écho. C’est qu’au-delà du réchauffement climatique sévère, les deux adolescents ont dû aussi affronter d’autres épreuves personnelles. La recouvrance qu’ils entament, en harmonie avec la nature, devient ainsi l’image de celle que le genre humain se doit de mettre en œuvre pour retrouver l’harmonie avec sa planète. S’ajoute à cela que la jeune femme écrit de la poésie… et puis qu’au fil du livre on croise des anges ou des dragons, fantasmés ou pas (n’en révélons pas trop) : nous voilà bien loin d’un monde technocentré à l’extrême. On plonge au cœur des espèces qui peuplent la Terre, fussent-elles imaginaires. Difficile de ne pas ressentir d’émotion à la première scène d’intimité d’Anastasia avec une jument ; impossible de ne pas avoir envie de plonger ses mains dans le sol avec Ayden. Sans candeur excessive, avec une conviction étayée par un style qui chante la diversité, l’intrigue nous amène à croire vraiment que chacun possède « au fond de soi la force d’aider quelqu’un à guérir ». À l’heure où les discours clivants et les actes guerriers prennent une place prépondérante dans le flux d’informations qui nous baigne, Les Sentiers de recouvrance fait le choix, que partagent de plus en plus d’auteurs et autrices, de la science-fiction positive, sans mièvrerie cependant.

Émilie Querbalec revient souvent sur l’importance pour elle du concept de « fiction panier » d’Ursula K. Le Guin. Dans ce livre, elle marche sur les traces de son illustre prédécesseure, clairement. Elle n’en oublie pas son Japon natal pour autant, puisque la fable écologique La Forêt amante de la mer, de Shigeatsu Hatakeyama, se trouve évoquée au fil d’un dialogue. Sources d’inspiration aussi, les rapports très précieux de l’association négaWatt, qui propose des scénarios de transition énergétique vers un partage équitable des ressources. La documentation soigneuse s’insère avec légèreté dans l’intrigue, menée avec l’empathie qu’on connaît déjà à l’autrice. Ce retour au bercail après le vide intersidéral, cet enracinement dans la terre et sur la Terre offrent ainsi son livre le plus attachant à ce jour.

Émilie Querbalec, Les Sentiers de recouvrance, Albin Michel Imaginaire, ISBN 9782226488688 (parution le 17 janvier 2024)