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jeudi 8 décembre 2022

Elle me disait bonjour une fois sur deux

« Gigolo ou poète, j’ai longtemps hésité à peindre la réalité du prix de la viande en barquette » : pas de doute, la manière d’Hugo Fontaine est bien là, dans ce mélange désinvolte d’images cramponnées à une matérialité qui pourtant aspire à s’échapper. Sauf que le poète, dans ce nouvel opus, a choisi — loin des textes souvent rêveurs ou décalés auxquels il nous a habitués — de se coltiner à la dure réalité de l’amour physique. Dure, vraiment ? Eh bien oui, qu’on en juge : « Ton érotisme me fracasse la bouche, / dans l’extra noir, je t’éclaire à la torche / je m’accroche aux verbes thermolactyls. » Et voilà Hugo qui s’emploie à sublimer de mots l’acte d’amour à sa manière d’éternel ébahi, ce qui, on s’en doute, génère force frottements et autres aspérités. Lui fondamentalement doux y va à la « machette », armé de sa « lampe frontale », sur une « planche à pain ». Pas étonnant que la viande (métaphorique et bien réelle) soit si présente dans ce recueil : la chair et la chère se mélangent avec entrain dans un restoroute sur l’autoroute A2, et un sirop de grenadine a beau se trouver sur la table, c’est à la « boucherie du coin » que l’amant s’approvisionne : « Je t’aime comme j’aime / la viande et le gros sel. » Sans mièvrerie, sans verbes éculés, le poète met son univers et son humour, peut-être même plus pince-sans-rire que de coutume, au service de l’entremêlement des corps. Et puisque « le texte prend une autre habitude / quand tu croises les jambes », la poésie s’annonce en tant que protagoniste autant que la femme qui provoque le désir. Après tout, Hugo « traîne entre deux syllabes, / dévore l’espace entre deux phrases » comme il s’attarderait entre deux seins ou enfoncerait sa langue entre deux cuisses. Ce court volume, sous couvert de plaisirs érotiques, serait-il de surcroît un traité de poésie déguisé (ou pas) ? Ce dont le poète est sûr, c’est que « les histoires d’amour / finissent par tomber du ciel / comme des excréments d’oiseaux ». Ce qui, on me l’accordera, fait tout de même pencher la balance du côté de la jouissance physique… parce qu’on imagine mal un Hugo Fontaine abandonner la poésie pour une maîtresse plus attirante. Et pourtant, un doute s’installe : « La poésie n’existe plus. / Je te mangerai / sans procéder à une deuxième lecture. » Nous, humbles lecteurs aguichés, y procéderons volontiers, tout émoustillés.

Hugo Fontaine, Elle me disait bonjour une fois sur deux, éditions Le Mot/Lame, 53 p., ISBN 979-10-96556-43-4

lundi 26 septembre 2016

Torréfaction

En quatrième de couverture, François Salmon prévient : « La langue d’Hugo Fontaine est un parterre sauvage, dont il arrache soigneusement les fleufleurs à fleuristes. » Eh oui, s’il y a des roses chez Hugo Fontaine, ce sont les épines qui l’intéressent, et si les figues de Barbarie sont délicieuses, il faut, avant de les déguster, se coltiner leurs piquants. L’écriture n’en finit pas de distiller ses pointes.

La langue donc, c’est la langue qui chez Hugo Fontaine constitue une marque de fabrique : elle mêle les différents niveaux, fait des entorses volontaires à la grammaire et exsude le parfum d’un poète qui ne se résigne pas aux expressions usuelles pour traduire un monde où ses yeux décèlent la beauté que certains se sont résignés à ignorer. Et puis comment ne pas baisser la garde lorsque Hugo avoue ses petits arrangements (« elle n’a jamais été ma tantine / c’était pour avoir une rime facile ») ? Parce que oui, s’il ne s’embarrasse pas de métrique conventionnelle — après tout, elle ne ferait probablement pas bon ménage avec son invention syntaxique —, le poète ose la rime ; pas tout le temps, pas systématiquement, mais au compte-gouttes, avec une précision chirurgicale qui confine à la mise en musique sans portées. D’ailleurs, le livre est aussi disponible en CD, où l’on peut entendre, sur un accompagnement musical, la scansion de l’auteur.

Torréfaction déroule sur 150 pages un petit univers où il fait bon plonger, tant dans les poèmes courts (« déplier une femme / après avoir marqué le pli / comme un origami / plier les coins, c’est fini / point de reliure, / c’était une fille vachement bien / foutue ») que dans les plus longues diatribes où Hugo Fontaine développe, en plus des thèmes qui lui sont chers (les femmes, la mécanique, les tournées offertes dans un bar…), une certaine critique de la société. Mais sans jamais un brin de condescendance ou de mépris : tout dans sa poésie respire l’empathie. Qui fait même écrire au Dr Fontaine, toujours soucieux du bien-être de ses lecteurs : « un seul avertissement buccal existe / c’est l’aphte ». Normal, quand on a mâchouillé ses branches de poésie à l’écorce rugueuse mais à la puissante saveur de réglisse. Un vrai délice.

Torréfaction, Les déjeuners sur l’herbe éditions, 152 p., ISBN 9782930433479.


J’dansais sur mon orthographe
j’empruntais la calligraphie des filles
bics aux yeux, je récidive
les demoiselles disaient éloigne-toi du récif
trépidante envie de me rapprocher du ravin
gyrophares au cou alexandrin au bas des reins
j’écrivisse j’écrevisse je tournevis je tourne
autour
du souterrain