« Gigolo ou poète, j’ai longtemps hésité à peindre la réalité du prix de la viande en barquette » : pas de doute, la manière d’Hugo Fontaine est bien là, dans ce mélange désinvolte d’images cramponnées à une matérialité qui pourtant aspire à s’échapper. Sauf que le poète, dans ce nouvel opus, a choisi — loin des textes souvent rêveurs ou décalés auxquels il nous a habitués — de se coltiner à la dure réalité de l’amour physique. Dure, vraiment ? Eh bien oui, qu’on en juge : « Ton érotisme me fracasse la bouche, / dans l’extra noir, je t’éclaire à la torche / je m’accroche aux verbes thermolactyls. » Et voilà Hugo qui s’emploie à sublimer de mots l’acte d’amour à sa manière d’éternel ébahi, ce qui, on s’en doute, génère force frottements et autres aspérités. Lui fondamentalement doux y va à la « machette », armé de sa « lampe frontale », sur une « planche à pain ». Pas étonnant que la viande (métaphorique et bien réelle) soit si présente dans ce recueil : la chair et la chère se mélangent avec entrain dans un restoroute sur l’autoroute A2, et un sirop de grenadine a beau se trouver sur la table, c’est à la « boucherie du coin » que l’amant s’approvisionne : « Je t’aime comme j’aime / la viande et le gros sel. » Sans mièvrerie, sans verbes éculés, le poète met son univers et son humour, peut-être même plus pince-sans-rire que de coutume, au service de l’entremêlement des corps. Et puisque « le texte prend une autre habitude / quand tu croises les jambes », la poésie s’annonce en tant que protagoniste autant que la femme qui provoque le désir. Après tout, Hugo « traîne entre deux syllabes, / dévore l’espace entre deux phrases » comme il s’attarderait entre deux seins ou enfoncerait sa langue entre deux cuisses. Ce court volume, sous couvert de plaisirs érotiques, serait-il de surcroît un traité de poésie déguisé (ou pas) ? Ce dont le poète est sûr, c’est que « les histoires d’amour / finissent par tomber du ciel / comme des excréments d’oiseaux ». Ce qui, on me l’accordera, fait tout de même pencher la balance du côté de la jouissance physique… parce qu’on imagine mal un Hugo Fontaine abandonner la poésie pour une maîtresse plus attirante. Et pourtant, un doute s’installe : « La poésie n’existe plus. / Je te mangerai / sans procéder à une deuxième lecture. » Nous, humbles lecteurs aguichés, y procéderons volontiers, tout émoustillés.
Hugo Fontaine, Elle me disait bonjour une fois sur deux, éditions Le Mot/Lame, 53 p., ISBN 979-10-96556-43-4