Dans un lointain futur, au cœur de l’espace, flotte la station. Véritable creuset d’espèces, celle-ci accueille celles-là de partout, régulant grâce aux « Paramètres » ses variables d’environnement pour héberger les formes de vie les plus diverses, des Humanias — qui nous sont familiers (ou presque, on va le voir) — aux Muu-sh, constitués d’ondes, en passant par les individus de base méthane plutôt que carbone. Si la station peut se permettre de faire se côtoyer ainsi les différences, c’est qu’elle a une activité économique lucrative : la capture d’astéroïdes pour en extraire les minerais. Mais l’harmonie qui y règne n’est pas seulement le résultat de la juxtaposition pacifique des espèces. Le brassage y prévaut, si bien que les « stationniens » sont bien souvent le fruit de fécondations croisées, rendues viables par un savoir-faire génétique à toute épreuve. Comme le dit un personnage, « la station est un lieu et un test […]. Une expérimentation. On y crée des hybrides. On mélange les techniques, les modes de vie. On voit ce qui y fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, ce qu’il faut corriger. » Parfois, « des groupes de sept, huit, voire douze individus, hybrides ou non, [décident] de donner chacun un peu d’eux-mêmes pour créer une nouvelle conscience dans un corps unique ».

Ce petit paradis de tolérance, cette quasi-utopie sociétale voit pourtant s’affronter les Spéciens, qui prônent la séparation des espèces, et les Fusionnistes, partisans du melting-pot intégral. La narratrice, dont on n’apprendra le nom que tard dans le texte, se trouve mêlée à ce conflit. En majeure partie Humania, mais tout de même porteuse de gènes différents, elle a donné naissance à un fils lui aussi hybride. C’est dire si elle se situerait du côté des Fusionnistes… mais parfois l’amour fait vaciller les certitudes. « Je ne me définis pas seulement par mon ADN. J’évolue. J’apprends », dit-elle en outre. De fait, ce court roman publié dans la collection « Une heure-lumière » des éditions Le Bélial’ est également un récit d’apprentissage, tant pour la protagoniste que pour la station, laquelle ne sortira pas indemne de l’affrontement précité.

Audrey Pleynet fait le choix de distiller son univers par petites touches, nous plongeant sur-le-champ et sans filet dans la station et son grouillement de vie. Au début, l’héroïne se trouve dans ce qu’on comprend bientôt être une planque, à la suite d’une transgression qui ne sera révélée que plus tard. Des retours en arrière permettent d’appréhender les tenants et les aboutissants de l’intrigue, ainsi que la structure sociale et physique de la station. S’il faut s’accrocher un peu au départ, le procédé devient très naturel après quelques chapitres, et on se prend rapidement de passion pour les différentes espèces décrites et les choix de société radicaux qui stimulent la tolérance. Tout cela, cependant, sans que l’autrice s’appesantisse ou devienne démonstrative : le format court de cette collection ne l’autoriserait bien sûr pas, mais on voit surtout que l’équilibre entre détails et conduite de l’intrigue est habilement dosé pour maintenir l’intérêt à la lecture, rebondissements compris. Car la véritable origine de l’hybridation génétique interstellaire pratiquée dans notre petit paradis n’est pas à chercher dans une démarche altruiste… L’écriture d’Audrey Pleynet, en tout cas, respire l’empathie en laissant planer le doute, loin de la description béate d’une utopie fleur bleue.

Et c’est bien là ce qui importe : si les Spéciens cherchent un objet qu’aurait dérobé la protagoniste, il s’agit ici surtout d’un McGuffin qui permet le développement en strates d’un portrait sociétal fascinant et fouillé, porteur d’un message de tolérance par-delà les siècles qui nous en séparent. Même si ladite tolérance est ébranlée par un épisode conflictuel, l’espoir demeure. L’amour, maternel notamment, reste une force incontournable que vient célébrer le rossignol chantant d’À la claire fontaine. Ramassé, puissant, stimulant, Rossignol est une contribution de choix à la science-fiction française par une — relativement — nouvelle voix qu’on a hâte d’entendre encore.

Audrey Pleynet, Rossignol, Le Bélial’, ISBN 978-2-38163-088-5