Après avoir publié en revues, Hélène Miguet signe son premier recueil. À la lecture, on ne peut que s’exclamer : il était temps ! Avec son écriture maîtrisée qui sait où elle veut aller, elle impressionne d’abord par sa langue, ample, foisonnante, rythmée. La musique y est omniprésente, tant dans les thèmes abordés que dans les figures de style. Ainsi alternent des vers courts avec de longues phrases, où souvent les allitérations fusent : « Je sens marcher dans tes cheveux un cortège de sylphes verts tes épaules vont et viennent guidées par la folie fauve au flanc des biches tu infuses la sève suave des bois et tes seins tout à coup palpitent comme des mésanges d’or ». C’est cette attention à la sonorité, cet appétit pour les notes qui surgissent des vers qui lui permettent de porter un regard original sur une époque où « les AirPods [sont] enfoncés jusqu’au gosier » sans simplement en dénoncer les excès. Des fourmis au bout des cils se lit comme une utopie poétique qui prend source dans le quotidien, pour réenchanter le monde. Oui, oui… on pourrait dire que l’expression est galvaudée, mais c’est, je crois, la nature de ce recueil que de nous réconcilier avec la société en décalant le regard ; programme tout à fait visible dans le titre d’une des sections, « Monde, miroir, mon beau miroir ». Hélène Miguet y examine une goutte de rosée, une flaque, une pompe à essence (« tous les chemins mènent au gazole / tu râles un peu / mais raques aussi vite / sors ta CB comme un colt ») en les tutoyant, comme un Parti pris des choses qui se permettrait la tendresse plutôt que la description factuelle. La référence littéraire à Ponge n’est pas fortuite : la poétesse use elle aussi de références textuelles à de grands aînés (Baudelaire, Hugo…) pour composer ses vers. Mais surtout, le « tu » omniprésent nous agrippe en tant que lecteurs. Une inclusion que pousse l’autrice jusqu’à son paroxysme dans la dernière section, « Mohicans malgré tout » : « Nous étions une fois tous un peu Mohicans / poètes agités par la langue raide des torrents les / ravins du silence / chevauchant les saisons / à cru ». D’un « nous » encore plus inclusif qui nous emporte, elle brosse un portrait désabusé de l’époque, mais pour penser un avenir de « mustangs musclés » sellés d’un galop d’optimisme, parce que nous ne sommes « pas maudits ». Toujours dans son style musical et à l’invention renouvelée. C’est beau… et c’est parfois drôle aussi. Devant un crucifix : « Tu es en croix / comme épinglé par un entomologiste fou / on voit bien que ça n’a pas dû être de la tarte / la Passion / ils auraient pu inventer un brin de chloroforme / ou t’offrir le coup du lapin ». Les enthousiastes de la poésie vibreront à ce recueil palpitant.
Hélène Miguet, Des fourmis au bout des cils, illustrations de Christian Mouyon, éditions Le Citron gare, ISBN 978-2-9561971-7-1