« J’écris pour ne pas mourir / Pour saisir le temps / Dans un instant fugace » : c’est à un jeu d’attirance et de répulsion que se livre Watson Charles dans ce recueil, qui montre à la fois une fatigue du monde — dans la « ville pillée » résonne le « cri des blessés » — et un appétit de tendresse matérialisé par le champ sémantique des seins. « Et je rêve tes seins noirs / Comme une odeur de verveine » certes, puisque le poète est haïtien — son « souffle / Est fait de chants / Et de sang d’Afrique » —, mais les « seins polychromes et nostalgiques » s’invitent également au bal des strophes : on est loin ici de l’érotisation simpliste de la femme noire, si on a eu la mauvaise idée d’y penser en lisant le titre. Gageons cependant que Watson, dont l’esprit espiègle ressort lorsqu’on le rencontre, s’est amusé à composer celui-ci en toute connaissance de cause !

D’ailleurs, seins de l’amante (« J’ai traversé ton corps au galop / Dont moi seul connais le secret ») ou « seins maternels » ? Les deux, serait-on tenté de dire, tant le vocabulaire effleure les corps d’un amour difficilement réductible à un seul type, tel un pendant à ce terrible « pays qui semble éloigné des chemins ». Et même si « L’étreinte n’est qu’une illusion quotidienne / Un gouffre dans lequel surgit une chanson », quelle chanson ! Seins noirs est un hymne à la vie sensuelle, celle de tous les sens sans exception, celle qui fait que l’existence n’est pas vaine et vide. Et puis ce jeu d’attirance et de répulsion finit par générer la volonté, par faire surmonter au poète la léthargie d’un monde auquel il échappe par la tendresse. « Je marcherai / Avec le soleil sur ma langue / Comme une fenêtre penchée sur les rêves » : le passage au futur sonne la charge de l’action… et après la fureur, « il ne restera que la mangrove ».

Un mot peut-être sur l’éditeur : Æthalidès est une maison relativement nouvelle dans la poésie, mais elle a commencé avec vigueur une intéressante et originale collection nommée « Freaks », où l’on peut retrouver des voix très singulières, allant de la poésie donc (ce livre, mais aussi par exemple la très déjantée Lettre au recours chimique de Christophe Esnault) au roman (l’excellent thriller antispéciste d’anticipation Bienvenue au paradis d’Alexis Legayet). Si la visibilité de l’éditeur lyonnais n’est pas encore très grande chez les amateurs et amatrices de poésie, l’écrin dont bénéficie Seins noirs est pourtant loin d’être négligeable : belle composition, papier épais, le plaisir de la lecture est doublé d’un plaisir sensuel. Ce qu’on était en droit d’attendre pour ce livre. « Il y a des paroles qui ressemblent à la grâce », écrit Watson. On pariera que lecteurs et lectrices, même dans leurs diverses subjectivités, la trouveront à un moment ou à un autre de ce recueil.

Watson Charles, Seins noirs, Æthalidès, 124 p., 17 €, ISBN 978-2-491517-17-5
Cette chronique a paru sur le site D’Ailleurs poésie. Merci à Valérie Harkness pour son accueil.