640px-Esch-Belval_Haut-Fourneau.jpg, oct. 2020
Bleeders et cheminées de décharge du haut fourneau B de Belval, Luxembourg,
CC BY-SA 3.0 Junmi

Une petite vieillerie retrouvée lors d'une restauration de disque dur, publiée nulle part, et c’est aussi bien comme ça.


Oui, je l’ai vue, moi
la dame des hauts fourneaux
la dame aux doigts gourds
de tant de fusion.
                            J’avais
chaussé d’épaisses bottes
pour pénétrer la nuit son domaine,
étendue du fleurissement des rouilles

Des martèlements la précédaient
réminiscences sonores d’amants
chauffés aux flammèches de sa chevelure ;
je sais que je n’ai pas été le premier

Le ciel s’est voilé à sa venue —
le froid m’a pénétré un instant
puis s’est changé en la fournaise
d’où elle est apparue :
                                    langueur
aux yeux charbonneux, suavité
de lèvres forgées, féminité
mâle de volonté doucereuse ;
le galbe de ses jambes nues
l’arrondi de ses hanches
disaient la volupté de la
conception des métaux ;
certaine souffrance pourtant
perçait au coin de ses yeux de braise
où se reflétait l’abandon cuisant
d’arcs électriques

Dame des hauts fourneaux, ai-je murmuré
(ou était-ce un hurlement ?)
j’ai parcouru le circuit de visite
de tes ateliers, j’ai chéri
tes gloires passées, j’ai soupiré
à ta déchéance, j’ai applaudi
à tes luttes.
                   Voudras-tu alors
m’embrasser de ta lave ?

Lorsque sa poitrine m’a touché
que j’ai senti ses aréoles
poindre contre mon corps, j’ai
fermé les yeux.
                         Interminables
minutes d’étreinte puissante
wagon empli de combustible
pelletées de passion tactile —
ce n’est que gorgé de laitier
que j’ai abandonné le plaisir

Yeux ouverts, j’ai contemplé
son absence devant les charognes de métal
mi-enterrées.
                      J’ai repris
mon chemin, frottant
sur mon avant-bras gauche
une cicatrice ténue
de pilosité grillée.