Gobo est une sorte de paradis… extraterrestre, où sous les rayons du soleil Titéo vivent les Phaulnes en harmonie avec leur environnement. Ces humanoïdes « ont pour principe de ne jamais tuer un animal. Nous prélevons ceux qui se préparent à mourir parce que trop vieux ou condamnés par la maladie ou la faim. Le reste du temps, on chasse à l’assommoir. Nous traquons une bête, pour le seul plaisir que cela procure et en ne perdant jamais de vue le respect que l’on doit avoir pour elle, puis nous la visons d’une flèche étourdissante, et, à son réveil, nous la rendons à la forêt » : ainsi s’exprime Griddine, fière indigène de cette planète, que va bientôt bouleverser la nouvelle de l’exploitation de son soleil par la toute-puissante multimonde Garmak, dirigée par le « yotta-octillionnaire » (l’auteur précise en note que cela représente 1024 × 1048 unités, tout de même) Ien Éliki. Unique solution pour les Phaulnes, bénéficier de l’évacuation prévue par l’entreprise vampire et constituer une diaspora sur une étendue incommensurable de systèmes planétaires. Car résister n’est pas envisageable : ils ont fait le choix d’arrêter leur progrès à l’arc et aux flèches, chevauchant hardiment leurs war-lizzards, alors que la Garmak dispose d’une technologie indiscernable de la magie. Résister, peut-être pas, mais aller dire à Éliki ses quatre vérités, c’est ce que veut faire la pugnace Griddine.
Le Soleil des Phaulnes retrace donc le voyage de la jeune Phaulne pour retrouver son ennemi. Évacuée à la dernière minute sur un transporteur indépendant, elle devra pour payer ses multiples déplacements spatiaux notamment faire office de « quêteuse » d’holums — des hologrammes qui font revivre, pour les compagnies d’assurance, les derniers instants des occupants d’un vaisseau spatial avant un accident. Sa beauté fascinante lui vaudra l’attention de la plupart des mâles humanoïdes, desquels elle sera néanmoins protégée par une incompatibilité sexuelle opportune dans cet univers aux nombreuses espèces (« Quel est votre type de vagin ? Ouvert, crénelé, simple, doublé, crocheté ? ») ; mais c’est sa détermination et son énergie indéfectible qui lui permettront d’atteindre son objectif. Griddine, au fond, représente tout le contraire des ravissantes écervelées que les space operas du Fleuve noir anticipation servaient (trop) souvent. Et si je cite le Fleuve noir, c’est évidemment à dessein, car l’écriture de Thierry Di Rollo fait furieusement penser à cette défunte collection… la qualité littéraire en plus (même si certains auteurs étaient aussi de bons stylistes, bien entendu).
En effet, il offre ce qu’il faut de descriptions pour ancrer son action dans un décor envoûtant, tout en prodiguant une action menée tambour battant, sans temps morts ou séquences réflexives. Il nous sert dès le début quelques scènes mémorables, dans une veine écologique par exemple, comme celle de la chasse avec Griddine et son amant Sœm. La scène d’amour entre les deux est aussi marquante : suffisamment humaine pour s’identifier, suffisamment diverse pour que le plaisir soit attisé par la différence sexuelle des Phaulnes.
Un roman de science-fiction sans critique sociale du monde d’aujourd’hui (ou proposition d’une société alternative ; après tout, les Phaulnes sont de parfaits décroissants) ne pourrait plus se concevoir. Ien Éliki, quasi immortel grâce à la technologie et qui fait tout ce qui lui plaît en écrasant les autres, est évidemment le paragon des ultrariches. Dommage cependant que ce méchant ne se voie pas consacrer plus de scènes, ce qui lui ôterait un caractère un brin schématique. Dommage aussi que Thierry Di Rollo procède un peu à marche forcée. La quête de Griddine paraît par moments accélérée, et on aurait envie de cheminer plus longtemps avec cette héroïne attachante, de connaître plus de péripéties de son voyage au fond assez linéaire. D’un autre côté, on ne peut pas nier qu’il est agréable de lire un volume pas trop épais, qui ne nous force pas à rester dans un univers ultrapeaufiné pendant des lustres.
Quoi qu’il en soit, la lecture du Soleil des Phaulnes demeure très plaisante et réserve maintes pistes de réflexion, comme évoqué plus haut. De l’harmonieuse planète Gobo, promise à une mort prochaine à cause de l’exploitation de son soleil, ou de la magnifique Namur, d’où Ien Éliki est originaire et qui a été transformée en éden touristique, laquelle subsistera dans les cœurs ? La réponse est évidente. Et pourtant, la dynamique de la société actuelle reste ce qu’elle est et l’exploitation des ressources et des êtres se poursuit. De quoi se demander, avec Di Rollo et ses personnages, « pourquoi l’univers se montre si multiple quand tous les humanoïdes le peuplant demeurent désespérément semblables ». Et ça, c’est très bien vu.
Thierry Di Rollo, Le Soleil des Phaulnes, Le Bélial’, ISBN 978-2-84344-995-6