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vendredi 17 juin 2022

Autour du pot

Il y a des auteurs comme ça qu’on s’offre dès qu’on reçoit leur nouveau livre, quel que soit l’état de la pile qui reste à lire ; et avec le Marché de la poésie 2022 qui s’est terminé la semaine dernière, ma pile est loin d’être ridicule. Mais peu importe : j’ai dévoré Autour du pot dès que j’en ai eu l’occasion, pour retrouver l’univers si particulier de Marc, dans lequel la douceur et la violence se mêlent avec tant d’harmonie. Ici, tout ce qui a pu être écrit sur L’Affolement des courbes reste vrai : le télescopage doux-amer-critique-combatif-contemplatif s’opère toujours à son meilleur, comme dans cette strophe plutôt représentative, « Des millions d’enfants / Et leurs jeux de cailloux / Assignés à la bonne conscience / Pétitionnaire ».  Contre la « Vacuité des bavardages », il convient d’« Ouvrir les bras / Sécher le silence ». L’introspection de Marc, par ses images si parlantes, voire poignantes (« Des chorales rassembleuses se révèlent / Dans l’idée des gorges ») s’étend à l’ensemble de l’espèce humaine, dans une grande bouffée de compassion énervée. La « bave acide des bouches qui baisent » brûle les écoles de commerce, asphyxie les places boursières ; mais lisez aussi le poème complet repris ci-dessous… que de tendresse aussi ! C’est ça, la poésie de Marc. Un appel à la douceur qui passe par la colère. Une ode à la survie de l’espèce sans passer par le survivalisme. « Il suffit d’un rien / Faire peur enfin » : et si la poésie nous sauvait de l’horreur post-apocalyptique ? Peut-être pour cela suffit-il de ne pas tourner autour du pot.

Marc Tison, Autour du pot, éditions mtmgm (commande auprès de l’auteur), ISBN 978-2-494168-00-8


Confiture

J’ai touché du doigt le ciel. Mes phalanges se sont enfoncées
dans la nuit bleue. Une voûte de confiture myrtille saupoudrée
d’étincelles. J’ai léché ce qu’il en restait. Index, majeur, pouce
Le ciel est sucré si on le goûte bien, et les fruits et l’odeur
Un souvenir d’enfant à l’heure du goûter à la ferme d’une
grand-mère en Normandie
Une trace mémorielle de l’importance du rêve
De l’importance d’une réalité sensuelle dégagée des
rugosités virtuelles

lundi 24 février 2020

L’Affolement des courbes

Sauvage, la poésie de Marc Tison l’est certainement. Je ne dirais pas à l’opposé de l’homme lui-même, car il est tout de même rock’n’roll, Marc, mais enfin il a aussi ce charme posé de celui qui sait ce qu’il veut et qui n’a pas besoin d’esbroufe pour convaincre. Une sorte de force tranquille qui se retrouve dans ses vers et qui lui permet de faire parfois le grand écart. « Le rugueux du jour se disperse / Les lumières crues s’adoucissent // Les corps s’apaisent » : voilà de la tendresse poétique, non ? Mais quelques pages plus tôt : « Lèche les dons sur sa peau // Le suc qui transpire dans ses reins / À la jouissance retenue / Cède aux tétons les lèvres et la salive // Monomane érectile ». Alors, tendre ou obsédé ? Lyrique ou rentre-dedans ? Un peu des deux, mais tout de même plus enclin à cogner, le poète a le dandysme pressant, pourrait-on dire. Il ne cache pas son dégoût de la société de la consommation exacerbée et portée au pinacle, lui crache à la gueule (« Le ciel est une déchirure / Un empyrée de menteurs »), la vilipende avec verve (« les aventuriers indigents sont fixés sur des fadaises en 3D »), se bat contre la mort « à mains nues rouges ». Mais il se réfugie aussi dans l’intime, l’amour, se blottit dans une armoire qui lui « ferait un manteau / Une peau ». L’Affolement des courbes, c’est ce va-et-vient entre dégoût et lassitude devant le monde qui lui fait balancer les vers les plus violents et les plus doux. Et c’est sacrément agréable à lire, parce que c’est sacrément bien écrit.

Marc Tison, L’Affolement des courbes, éditions La chienne Édith, ISBN 978-2-9535052-6-9


Ce matin j’ai écouté les informations
Je n’ai pas ri
Ce partage injustifiable des infamies est une liturgie au sens de laquelle personne ne devrait être initié