Mot-clé - Laurent Pépin

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samedi 30 octobre 2021

Angélus des ogres

angelus.jpg, oct. 2021

Ce très court roman fait suite à Monstrueuse Féerie, paru un an auparavant et qui a déjà fait l’objet d’une recension ici même. « Je passais la majeure partie de mes journées dans le service pour patients volubiles, où la dégradation de l’accueil fait aux Monuments m’était devenue insupportable. Chaque jour, de nouvelles normes, de nouveaux interdits étaient promulgués. Et j’observais que plus le temps passait, plus l’on me traitait comme un patient ordinaire. » Voilà donc notre narrateur, après son histoire avec l’Elfe, après avoir effectué sa propre décompensation poétique – cette approche thérapeutique très personnelle avec ses patients, qu’il appelle Monuments –, installé comme « patient-salarié » dans le centre psychiatrique où il exerçait auparavant. La direction dudit centre semble s'orienter vers une sorte de mégalomanie technique de la guérison, prônant la pensée filtrée (« plus pratique pour vider le sens du monde ») qui doit supplanter la pensée singulière des prétendus malades. C’est une nouvelle rencontre qui va déclencher les péripéties relatées dans ce volume : Lucy est thanatopractrice, ogresse et mystérieuse, refusant à notre héros, lorsqu’il emménage chez elle, qu’il la voie entre minuit et cinq heures. Voilà qui est bien dans la veine des inventions barrées auxquelles nous a désormais habitués Laurent Pépin… d’autant qu’elle va prendre une part active à la (possible ?) guérison du narrateur en extrayant ses Monstres, déjà évoqués dans l’épisode précédent. Avec, on s’en doute, des répercussions tragiques. La langue est toujours maîtrisée, avec des images à la fois fascinantes et horrifiques qui puisent dans un imaginaire de contes de fées noirci aux troubles psychiques. C’est à la lumière d’Angélus des ogres que se déploie également le travail mis en place dans Monstrueuse Féerie (et vice-versa) ; à la lecture surgit l’impression que les deux volumes sont un seul et unique texte, tant les liens sont étroits et l’intercompréhension, essentielle. (L’éditeur annonce d’ailleurs le troisième volet, Clapotille, un nom expliqué en fin de volume.) Dans cet univers, le réel, dialogues à l’appui, le dispute au fantastique, même si les romans échappent à toute classification réductrice, et c’est tant mieux.

Laurent Pépin, Angélus des ogres, Flatland, 978-2-490426-10-2

dimanche 5 septembre 2021

Monstrueuse Féerie

monstrueuse.jpg, sept. 2021

Un conte pour adultes « aux frontières de l’onirisme et de la psychiatrie », m’avait écrit Laurent Pépin en me contactant pour connaître mon intérêt éventuel pour la recension de Monstrueuse Féerie, paru en octobre dernier chez Flatland. Le texte est « teinté de pataphysique, de psychanalyse, de poésie et d’humour noir », avait-il ajouté. Une sorte d’objet littéraire non identifié où la poésie est présente ? Voilà de quoi piquer l’intérêt, et parler – ce qui est ici relativement rare – d’un livre qui n’est pas un recueil de poèmes. Si la poésie n’y apparaît pas formellement par des retours à la ligne (excepté un court extrait du « Je voudrais pas crever » de Boris Vian), elle est néanmoins bien présente dans l’intrigue, puisque le narrateur, psychologue dans un centre psychiatrique, et plus précisément dans le « service pour malades volubiles », y pratique avec ses patients la « décompensation poétique ». Des patients qu’il préfère d’ailleurs appeler des « Monuments », la capitale matérialisant leur importance dans le récit, tout comme elle le fait pour les « Monstres » issus de l’enfance, et surtout l’« Elfe », jeune femme avec qui il entamera une relation ambiguë. Poésie dans l’intrigue, donc, mais dans une certaine mesure aussi dans le style, avec des images oniriques de créatures fantastiques, des souvenirs tordus d’enfance, des délires à la lisière du surnaturel où des réminiscences de Harry Potter rencontrent des tableaux surréalistes. En imbriquant flash-back qui évoquent l’origine des Monstres et histoire d’amour singulière avec l’Elfe, le tout dans un contexte de centre psychiatrique qui tape sur le système, Laurent Pépin brouille les pistes du réel et propose une plongée dans le cerveau de son narrateur (son propre cerveau ?). Celle-ci, tantôt grotesque tantôt tendre, ferait les délices d’un psychanalyste, c’est certain. Se contenter de la lecture sans prétendre à l’interprétation projette déjà dans un univers où l’excitant imaginaire prend le pas sur le banal quotidien. L’expérience mérite d’être tentée et ne saurait laisser indifférent.

Laurent Pépin, Monstrueuse Féerie, Flatland, 978-2-490426-12-6