Une règle que je me suis donnée et que je n’ai transgressée qu’ailleurs que sur ce blog — lorsqu’une personne responsable de publication m’a spécifiquement demandé d’écrire sur un ouvrage —, c’est de n’écrire que sur les livres que j’aime. Et j’ai failli ne pas écrire sur Prends ces mots pour tenir. Pendant une bonne partie de la lecture (quoique le livre fasse officiellement 34 pages !), j’ai pensé être en présence d’un ouvrage bien écrit mais obsessionnel, qui convoque l’amour des mots mais sans les varier vraiment, qui s’assure habilement de mes émotions grâce à un sujet qu’on ne peut pas ne pas trouver poignant… avant, puisqu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, de me rendre à deux évidences : Julien Bucci a écrit ainsi à dessein, et il sait jouer de concision pour asseoir ses effets. Mais tout cela mérite une explication. D’abord, le thème, grave : la douleur d’une mère vue par son fils. Et puis le lien avec la poésie : le recueil commence par « ta douleur est partout / derrière chaque parole » ; la mère se récite des « mots mantras » pour tenir et pour « mater enfin / [la] douleur ». Lorsqu’on lit beaucoup de poésie contemporaine, on connaît la récurrence des thèmes de la douleur et de la poésie qui parle de poésie. C’est pourquoi, au départ, j’ai reçu les vers du poète comme une sorte de chantage émotionnel : vois la douleur et compatis, s’il te plaît. Mais ce sentiment s’est transformé une fois le livre refermé. En effet, comme écrit ci-dessus, l’ouvrage est concis. On ne peut lui reprocher de s’apitoyer ; en fait, je soupçonne Julien Bucci d’avoir raboté tout ce qui dépasse (c’est là qu’intervient l’expression à dessein utilisée plus haut), afin de proposer un coup de poing efficace. Et il l’est ! Quant au lexique, le concept de « mots mantras » implique une certaine répétition ; plutôt qu’affecté par un vocabulaire limité, le texte se développe autour d’un nombre restreint de mots (« nos mots se raréfient » peut-on d’ailleurs lire presque à la fin), comme lorsque l’on répète à l’envi la même chose pour s’en persuader. Et, partant, les défauts subjectifs que j’ai cru déceler au départ sont devenus des témoignages d’une construction plutôt bien pensée. Pas mal. Et cela valait bien une chronique-minute en forme de mea culpa, sans doute.

Julien Bucci, Prends ces mots pour tenir, La Boucherie littéraire (extrait sous ce lien), ISBN 979-10-96861-48-4