J’ai rencontré LEM, slameuse née en France et désormais installée au Québec, lors de son passage au Luxembourg pour une compétition. Après l’avoir découverte dans des vidéos sur son site, je ne m’attendais pas au contenu du livre qu’elle m’a offert à cette occasion. En effet, Et si les murs avaient su parler est un recueil de poésie où les contraintes du slam − notamment les rimes ou les homophonies en forme de jeux de mots − sont quasi absentes, hormis dans le tout dernier texte. Un envoi final peut-être pour dire que, désormais, les blessures de l’autrice sont pansées et que c’est à travers le slam qu’elle les évoquera en public, sans peur, dans l’espoir que son expérience serve à éveiller les consciences.

Mais dans l’intimité, avec un lecteur ou une lectrice unique qui prend en main cet ouvrage, LEM fait vivre les mots au moyen de la poésie contemporaine. Car l’histoire qu’elle raconte est bien intime : c’est des viols de son beau-père qu’il est question, des tentatives de meurtre sur elle et ses frères, des addictions qui s’ensuivent (« je me rallie / à plus de chanvre / que d’humains ») avant la guérison, avant la poésie. Autant dire que le recueil se lit avec la gorge serrée parfois ; les scènes qui s’y jouent ont de quoi perturber les âmes sensibles, malgré l’élégance des vers. On reconnaît bien là, au fond, la patte de la poétesse qui, dans un entretien que nous avons réalisé pendant son séjour au Luxembourg, affirmait vouloir « mettre de la beauté dans la forme alors que le fond est dégueulasse ». La petite fille qu’elle était a vite appris que « les comptines aussi / savent mentir ». Alors la femme qu’elle est devenue, et qui maintenant conte, structure son livre en quatre parties où elle dit la vérité, rien que la vérité : « à elle », son alter ego de l’époque ; « à lui », le beau-père à qui elle a désormais pardonné ; « moi », l’adolescente qui se cherche ; et puis l’envoi final sous forme de slam évoqué ci-dessus, sous le titre « adieu ».

L’écriture de LEM est faite de vers concis, de formules percutantes, de mots crus autant que de phrases allusives, de tailles de caractères savamment dosées autant que l’est la position des mots sur la page. Une forme qui en dit long sur le fond qu’elle traduit, car on sent le poids de la réflexion et de la mise en pages pour dire l’horreur sans négliger l’ironie, pour nager en eaux troubles sans perdre pied : « un deux trois / nous irons au bois // quatre cinq six / cueillir des saucisses // sept huit neuf / dans mon vagin neuf ». Parfois, le rythme, la scansion, la signature langagière du slam s’immiscent dans les courts poèmes (« de fil en fil / je suis ficelle / dressée / au garde-à-toi »), comme des sauts en avant qui annoncent le texte final slamé. C’est donc toute une évolution vers la guérison, à partir de violences tragiques, que la construction du livre reflète. L’écriture vient (« coule l’encre / pour que s’estompent / mes pensées obliques ») et avec elle la difficile résilience. À la lecture, un cheminement de plusieurs années se retrouve concentré en une centaine de pages aérées.

On apprend au détour d’un poème ce qu’il est advenu de ce beau-père violeur : « j’aurais fait pleurer ton sang / comme tu m’as brisée / si ta culpabilité ne t’avait pas / réglé ton compte avant ». Les pulsions de vengeance sont désormais éteintes avec la vie du protagoniste. Dans Et si les murs avaient su parler, pas de rancœur, pas de « pudeur impudique », comme l’écrit l’amie slameuse Marie Darah dans sa préface. Seulement l’histoire d’une femme violée qui a su puiser dans cette expérience les racines de sa pratique artistique. Et sa force, car elle est on ne peut plus forte, LEM. Dans son recueil, la puissance des scènes se combine avec l’élégance d’une poétique longuement mûrie. Pour faire vivre l’espoir.

LEM, Et si les murs avaient su parler, SéLa Prod éditions, 100 p., 12 €, 20 CAD, ISBN 9782492626012
Cette chronique a paru sur le site D’Ailleurs poésie. Merci à Valérie Harkness pour son accueil.