Chronique Dailleurs - Atelier du silence.jpg, avr. 2021

Avec déjà force résidences d’écriture et prix à son actif — également pour ses pièces de théâtre —, Jean d’Amérique s’est construit, à 26 ans, une solide réputation chez les amateurs et amatrices de poésie à l’invention langagière robuste et aux thèmes engagés. Et, fidèle à lui-même, il livre avec Atelier du silence chez Cheyne un recueil qui balise d’une nouvelle pierre blanche un cheminement poétique où la constance des sujets s’allie à l’éternel frémissement de la langue.

Dans sa préface, Jacques Vandenschrick souligne à raison un certain nombre de caractéristiques stylistiques qui rendent la poésie de Jean reconnaissable au bout de quelques vers ; au nombre de celles-ci, on retiendra la fréquente omission des articles : « du point je suis / d’où fleurissent plaies / à fracturer l’espace », peut-on par exemple lire dans le poème intitulé « pays mien ». Chez le poète, les raccourcis ainsi créés précipitent le rythme, font s’entrechoquer les lettres. En trois vers, on a touché l’éternelle souffrance d’un pays, Haïti, qui pourtant de ses plaies fait émerger l’écriture. Rythme toujours, une autre constante de style est l’usage de mots qui se fusionnent avec un trait d’union d’amour-haine : bal-charogne, bouche-décharge, frangipane-rapine ou aube-pelle se reniflent, se tâtent, se chamaillent. Qu’elle est belle, la langue française, quand elle assume les influences créoles !

Le titre Atelier du silence est en quelque sorte trompeur : si Jean d’Amérique écrit, c’est parce qu’il ne peut pas taire les blessures de son pays, les brimades administratives, les injustices, voire les tortures faites à celles et ceux qui écrivent. Que nous dit-il dans son « entrée en matière » qui commence le recueil ? « faim / silence sur lequel j’ose ouvrir la bouche / point d’appétit à manger mot ». Tiens, déjà, cette absence d’article. Et puis la volonté de l’ouvrir, pour Haïti ou ailleurs : « Gaza / ou Alep / toutes ces villes / mariées de force au soir des os / qui n’en veulent rien au déjeuner des tombes ». Poésie revendicative, poésie vive, poésie des tripes. Et l’on comprend enfin le titre, lorsque dans le poème éponyme on lit « l’atelier du silence rendra les armes / à un moment donné ou arraché / consumé sera-t-il par sa propre essence ». Voilà qui est clair : rien ne fera taire Jean, pas même une « ombre sur [son] passeport ». Et s’il n’hésite pas à aller « jusqu’à ouvrir la mangue des beautés », c’est à coups violents, coups de boutoir contre l’ordre établi tant en Europe qu’en son bout d’Amérique chéri qu’il continuera de s’exprimer. Avec la force des images.

Il y a une splendeur dans ce cri du cœur que constitue Atelier du silence, splendeur qui vient tout à la fois de l’énergie langagière qui s’en dégage que de la sincérité outrée devant les dysfonctionnements du monde. Et Jean d’Amérique sait ce qu’il a à faire, avec ses propres armes : « Mêlé au papier ou frotté au cœur, le verbe fructifie nos arbres, confère à nos âges des plaines à toute lisière échappées. »

Jean d’Amérique, Atelier du silence, Cheyne éditeur, 80 p., 17 €, ISBN 978-2-84116-292-5.