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Vous avez des enfants ? Et ils ont quel âge ? On sait que c’est
pour rassurer avant l’anesthésie générale, mais on s’y laisse prendre avec tant
de lucidité complice
*
Au réveil, neuf milligrammes de morphine, comme un vulgaire junkie
*
Des filles dénudées dansent lascivement sur l’écran du voisin alors que La
Flûte enchantée résonne dans mes oreilles ; je ne regarde que leurs
genoux, me demande si elles se casseront la rotule un jour ; si par hasard
je m’attarde sur leurs seins ou leurs fesses, c’est pour comprendre si elles
sont passées par le billard pour atteindre ces mensurations télévisuelles
*
L’érection matinale n’a jamais été aussi peu gênante que le jour où elle
réapparaît enfin
*
Honte d’être heureux d’apprendre que mon voisin est tombé du huitième étage
pour savoir qu’il y a encore moins bien loti que moi
*
Expliquer la douleur plutôt que la vivre est décidément une situation
privilégiée. Les élections arrivent, il y a là une évidente métaphore
*
Toujours en tête la Huitième de Schubert et dans les mains le tempo et les
nuances, et pourtant je ne la dirigerai plus
*
En voyant les émissions de jeu des télévisions commerciales, fier d’en avoir
tenu éloignés les enfants et un peu honteux de pouvoir me faire traiter
d’élitiste
*
J’écoute l’intégrale de l’émission radio de Jean-François Zygel depuis
septembre. Lui aussi s’est fait traiter d’élitiste dans des courriers
d’auditeurs de France Inter. Je suis en bonne compagnie alors
*
Babel est de mise aussi à l’hôpital : comateux, j’émets mes borborygmes en
français ; les jours suivants, je passe si je veux au luxembourgeois, en
futur concitoyen reconnaissant. Quel luxe pour la glotte ! La rotule,
elle, s’en fout grand-ducalement
*
Heureusement que les vers ont des pieds et pas de genoux. Et que les
homographes font toujours spirituel
*
Ce chirurgien est tellement sympathique, rassurant et souriant qu’il ne peut
qu’y avoir vis sous cartilage
*
Plus d’internet pendant quelques jours, c’est un choix. Tant qu’à souffrir,
autant ne pas gêner les connectés compulsif
*
Les visites sont réduites à l’essentiel, ceux qu’on pourrait aussi visiter tous
les jours quoi qu’il arrive, ceux à qui on peut dédier son premier recueil de
poésie moins une. Le téléphone limité aussi, famille proche. La vie d’expatrié
est cruelle, mais ne me pèse pas
*
C’est officiel : en plus de rajeunir considérablement la moyenne d’âge du
service, Andrei, mon voisin roumain, et moi sommes les chouchous. Maçons et
poètes ont la cote
*
Autre combinaison improbable à noter : un film de science-fiction sur
ProSieben avec Colin Farrell je crois et Léo Ferré symphonique avec l’Orchestre
philharmonique de Radio France. Et tout ça sans payer une seule redevance
*
Se laver à la bassine et lire La Décroissance : joie d’allier la
pratique aux convictions. Mieux vaut oublier la pharmacopée, par contre
*
Ce livre de Jacques Morin — un cadeau de réabonnement à Décharge — que
m’apporte Céline avec le courrier sonne presque comme une attention
personnelle
*
Des attentions personnelles se manifestent aussi par SMS. Je fais momentanément
une exception dans ma détestation de ces messages envahissants en temps
normal
*
Pas fier d’abandonner le journal avant le plus important numéro de l’année. Et
pourtant j’en fais toujours trop. Y a-t-il un lien ?
*
Je sais aussi, toujours par Céline qui m’informe, qu’arrivent des courriels de
soutien. Moi qui ai la réputation de répondre rapidement, réputation
parfaitement méritée, je temporise enfin
*
Au service militaire, je me demandais toujours à quoi servaient tous ces kinés
appelés à l’École du service de santé des armées, et après je n’en ai jamais
consulté. Le mystère était donc encore entier. Je sais maintenant qu’ils sont
là pour assouvir la soif malsaine de masochisme qui réside en chacun de
nous
*
Un coup de fil de ma fille de 15 ans entre deux cours. Au prix de quelles
souffrances se forge l’amour filial ?
*
Babel continue : les visiteurs de mon voisin sont aussi roumains, mais
parlent parfaitement l’allemand. Au moins, mes neurones travaillent
*
Petit serrement de cœur le samedi à 10 h 45. Je l’attendais
tellement, ce Schubert
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C’est confirmé par la séance d’escalier : ma kiné est une sorcière. Il ne
lui manque que le bouton poilu sur le nez. Quoique
*
Décidément, il n’y a que lui qui peut apaiser comme ça. Sonatina de la
cantate BWV 106 arrangé à quatre mains par Kurtág, et encore mieux, dans
l’interprétation de mon fils et de son professeur
*
Cela dit, ne pas se laisser influencer par les paroles qui disent bienheureux
ceux qui rejoignent Dieu en mourant. J’ai encore pas mal de boulot ici-bas, et
je ne suis pas aussi bêtement manipulable, fût-ce sur une musique de Bach
*
Il y a quelques années, à Deauville, nous étions allés voir les courses. Il
avait fallu expliquer aux enfants ce que signifiait cet énorme écran tendu sur
la piste devant un cheval tombé. Ce jour-là, heureusement, l’animal s’était
relevé. Devant l’ampleur de la tâche à accomplir pour retrouver un genou mobile
et les douleurs de ces derniers jours, je pressens maintenant que seule
l’espèce humaine peut se projeter suffisamment dans l’avenir pour surmonter une
telle épreuve
*
Si l’on arrive à manger des papillotes de Noël, c’est qu’on va mieux. La
gourmandise conserve, il fallait qu’elles soient là sur la table de nuit, comme
des promesses sucrées, littéralement
*
Comment vais-je pouvoir m’installer au piano ? Est-ce que l’école où
j’anime un atelier de poésie en février m’accueillera en béquilles ? Que
se passe-t-il exactement à Alep ?
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Je ne retravaillerai pas ces notes pour en faire de véritables poèmes, ce
serait du voyeurisme
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L’article sur la poésie de Shehzar sera donc le dernier de moi publié en 2016.
Je suis heureux de cette malheureuse circonstance
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Je me moque souvent gentiment de Céline en lui affublant le sobriquet d’épouse
parfaite. Dans les prochaines semaines — au mieux —, ce ne sera pas un
sobriquet
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J’ai soudain envie d’écrire la suite de la fantaisie musicothéâtrale sur
Offenbach, mais pas de l’écouter. Dichotomie hospitalière passagère, je
suppose
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En transcrivant ce galimatias, allongé après une journée hors du lit, je pense
pour la première fois à relever le genou gauche. Je suis le maître des
illusions