J’ai déjà écrit ici combien la « poésie de proximité » m’intéresse. Avec L’Adieu au Loing, on en atteint le paroxysme : ce livre est édité à Metz par l’association Le Citron Gare de Patrice Maltaverne (par ailleurs revuiste acharné de Traction-brabant, revue déjà évoquée sur ce site) ; il se trouve que je connais Patrice, et que je suis connecté sur Facebook avec Xavier Frandon, l’auteur. Ce n’est pas une raison pour me priver de parler de ce recueil. D’abord parce qu’il est très bien, nous allons le voir plus en détail, mais aussi parce qu’il n’y a rien de honteux, dans le domaine de la poésie, à chroniquer des livres d’amis. Car sinon, honnêtement, quel journaliste choisira de parler de cet ouvrage parmi tant d’autres d’éditeurs plus renommés et d’auteurs plus vendeurs, y compris en poésie même si ça reste une niche ? Certes, tous les éditeurs qui osent la poésie méritent un soutien, mais les microéditeurs encore plus, qui soutiennent souvent la poésie hors effets de mode.

Et question effets de mode, ne comptez pas sur L’Adieu au Loing. On voit souvent, en revue comme en recueil, une poésie aérée, pas avare de blancs sur la page, formée de mots simples où quelquefois surnagent des trouvailles linguistiques distillées avec parcimonie. Ici, rien de tout cela. Xavier Frandon ose le lyrisme, mais un lyrisme décomplexé. Dès le premier poème, qui donne son titre au livre, il installe son atmosphère bien particulière à grands coups de vocabulaire choisi, sans fausse modestie verbale (dès le premier quatrain, on a droit à « parangon », « sipide » et « Euménides » — eh oui, c’est aussi rimé !). Il y a un certain classicisme dans cette ode à une rivière, tant dans le thème que dans la forme, qui préfigure de façon remarquable la suite du recueil.

Dans leur grande majorité, les poèmes suivants sont des sonnets. Frandon joue avec les codes : si les quatorze vers sont à peu près une constante, le rythme joue une partition tantôt binaire, tantôt ternaire pour ce qui concerne le nombre de pieds, et les césures et autres enjambements ne sont pas rares. Si les thèmes sont variés, on peut cependant les réunir en constatant que l’auteur aime à poser un regard sur le monde à la fois émerveillé et désespéré. Peut-être est-ce son alter ego maléfique qu’il convoque lorsqu’il écrit : « Savant par habitude, il soupire, souhaite / qu’on le secoure, or, ses talents universitaires / le rendent méchant homme et, déjà qu’il était laid / il en devient très désagréable, mais chut… » Mais quelle tendresse aussi quand « T’en souviens-tu la montagne avait plu / et nos fringues imbibées collaient sans / que nous ayons besoin d’embrasser tes seins ».

Dans le métro, à l’aube, à Saint-Germain, dans la Drôme en été, tout est sujet, tout est objet de poésie. Quelques coups de griffe aussi, notamment à la « littérature littéraire »… La force des textes de Xavier Frandon, c’est ce sentiment qu’ils installent d’instantanés désinhibés de tout formalisme poétique compassé, malgré cette sujétion trompeuse à la forme du sonnet. Et puis la richesse de leur vocabulaire, pas précieux ni ostentatoire, mais pas limité non plus. Comme si le poète, devant la complexité du monde, ne pouvait se résoudre à simplifier son langage. Comme s’il prenait, au fond, ses lecteurs pour des amateurs de poésie, certes, mais aussi des égaux, dont le cerveau fonctionne autant à l’affect qu’à l’intellect. Alors, quand il demande « Crois-tu que je sois poète pour bien faire ? », on sait bien sûr que c’est une question rhétorique. Il fait, et c’est bien.

Xavier Frandon, L’Adieu au Loing, illustrations de MAAP, éditions Le Citron Gare, 12 × 15 cm, 95 pages, 10 € port compris, ISBN 978-2-9543831-8-7


Fugitive

Accablé du vent, dégorgé de l’air brûlant
Je ne laisse plus rien, que ma place se vide
Que vous la remplissiez ô mes aimables paires
Que jamais vous ne sachiez compter entre vos rides

Un sursaut que je vous tends, mes forces finalisées
Vous continuez et moi, je me lambine
Dispersant ma conduite, mon cri amenuisé
Ne m’attendez plus, je suis le point infime

Dansant sur l’arête évidée, fainéant
Au risque de tomber, je lance ma fumée
Qui se soulève et retombe sous mes pieds

Mais
N’ayez crainte, partez
Tout ceci est très faux.