Zubin Mehta dirige l’Israel Philharmonic Orchestra dans La Valse de Maurice Ravel.


Il faudrait enduire
le bout de sa baguette
de suie — comme dans ce jeu
enfantin où, dans l’obscurité,
on offre un bouchon noirci
à un innocent bientôt maquillé ;
ici, ce serait pour lui présenter
une feuille de papier
capturer les gestes
sur des toiles qui feraient
le bonheur des musées. Il dirige
en majordome soigné
tout entier dévoué à son orchestre
tournant des arabesques multiples
des loopings renversants qui donnent
vie aux rubatos les plus osés
(il faut le voir, à Vienne,
dans le concert du Nouvel An — et
le tout par cœur, yeux toujours
rivés sur les artisans du son)
Il manie avec retenue
les plus secrets potentiomètres
d’une console numérique dernier cri
pour marier les volumes. Ses inclinaisons
sont des révérences étudiées —
ses inclinations, celles d’un
citoyen du monde. Tout en lui
semble mesuré, du froncement d’un sourcil
aux pizzicatos d’un simple
soulèvement. Économie. Épargner
le souffle des cors pour mieux
le rendre à la fin. Lancer un trait de harpe
tourné vers les contrebasses. Effacement
devant la virtuosité des archets — anches —
embouchures — baguettes ; il écarte
le tutti pour faire place aux solistes. Le
tourbillon inexorable et macabre
de Ravel, déguisé en hommage à Vienne,
qui d’autre que lui pourrait
le rendre avec tant de flegme ? Sur
son plateau le niveau du verre
reste impeccablement plan,
alors qu’au-dehors tout virevolte.