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vendredi 18 juin 2021

Mont Blanc-Winnipeg Express

winnipeg.jpg, juin 2021

Et hop ! il a sauté la grande flaque. La dernière fois que j’ai chroniqué un recueil de Seream, ce dernier habitait encore en Haute-Savoie, et le voilà désormais installé dans les plaines du Manitoba : « Winnipeg accouche d’artistes / une ville sans artiste ça n’existe pas / comme une ville sans banque / dire qu’il existe des banques d’artistes ». Il s’y sent bien, à Winnipeg, le poète… et artiste bien sûr, qui dit que la ville le « façonne », le « sculpte », l’« allume ». Il y a posé ses valises et s’est précipité dans les scènes littéraire et théâtrale du lieu, dont les plaques d’immatriculation portent la mention « Friendly Manitoba », ce qui lui « rendrait presque les automobiles sympathiques ». On trouve dans Mont Blanc-Winnipeg Express une compréhensible nostalgie des Alpes, un aller-retour mental entre ici et là-bas, la construction d’une identité américaine, mais aussi le roman en poésie d’un amour naissant pour un nouveau territoire. D’ailleurs, « un battement d’aile de papillon à Winnipeg / peut-il créer une catastrophe naturelle dans les Alpes ? » En tout cas, le livre de Seream crée un pont littéraire et offre la découverte, quel que soit le côté de l’Atlantique où se trouvent les mains qui l’ouvriront (la maison d’édition assure les envois en Europe, et une version électronique est disponble). Avec toujours son rythme, son humour, sa fidélité aux personnes et aux idées, parce qu’on ne change pas un poète en le déplaçant. On le nourrit. « Gabrielle Roy / descend de sa Harley-Davidson / engin sur la béquille / tenue cuir intégrale » : attention, même la légende des lettres locales (première lauréate étrangère du prix Femina, en 1946) va swinguer au rythme de la poésie express mais pas épaisse de notre ex-Alpin et désormais Manitobain. Merci l’artiste !

Seream, Mont Blanc-Winnipeg Express, éditions du Blé, ISBN 9782924915332

lundi 7 août 2017

Le Boogie du Cambalache

Ce serait mentir que dire que je n’ai pas un a priori positif sur les écrits de Seream, alias Sébastien Gaillard. Grand manitou, avec Éloïse Rey, de La Tribune du Jelly Rodger, un journal de propagande poétique où je me sens bien et en belle compagnie, le bougre fait profession de trublion de la chose poétique en cassant les codes et en accueillant des plumes et des crayons dissidents dans un espace littéraire en général corseté (Hugo Fontaine, par exemple). Quoique… malgré ses racines savoyardes — et bientôt canadiennes, il ne tient plus en place dans les Alpes —, le rédacteur en chef enthousiaste ne rechigne pas aux interviews sur les chaînes de radio nationales : enfin, au moins une, car c’est sur France Inter que je l’ai découvert, et en même temps la Tribune.

Seream a beau écrire qu’il se trouve « déjà bien assez grand pour [son] âge mais insignifiant par rapport à l’univers en expansion », ce Boogie du Cambalache est tout sauf un énième opus de poésie dispensable. Ah non ! D’abord, parce que son auteur est un artiste aux multiples talents, et qu’il agrémente le livre de ses propres peintures ; et un livre de poésie complété par des illustrations réussies remonte bien vite dans la pile des beaux objets à lire. Mais évidemment, dans la poésie, c’est le style qui compte. Et là, mes aïeux, ça balance ! Les textes de Sébastien sont de véritables logorrhées verbales façon slam, mais toujours signifiantes et sans chichis, truffées de références. Références aux artistes qu’il aime, à sa famille qu’il adore, à ses potes musiciens ou poètes (il m’a même fait rougir, c’est dire)… une poésie du mot qui chante, se déploie et part dans tous les sens pour mieux envelopper le lecteur de sa petite mélodie lancinante ; une poésie de la fidélité aussi, à sa famille poétique et musicale.

Le Boogie du Cambalache, c’est donc une longue mélopée en ouverture, du spoken word mâtiné d’autobiographie, sorte de journal poétique amoureux où l’on accompagne lauteur dans ses pérégrinations littéraires, notamment pour la chronophage et bénévole fabrication de l’excellente Tribune. Suit un « Message d’insécurité poétique » qui en rajoute sur l’art poétique de son auteur : « La poésie française contemporaine se noie dans les politesses, se débat dans les vagues académiques, coule à pic dans le conformisme, tangue dans la houle maboule de la culture peureuse, n’évite pas les écueils imposteurs de l’autocensure. » Et toc ! Le remède du docteur Seream ? Sa Tribune bien sûr, « un investissement dans le vent qui fait claquer des dents et les fait résonner dans les cavernes de l’inconnu ! » Vous voulez des exemples ? Le reste du livre est composé des éditos qu’il a publiés dans les neuf premiers numéros du magazine, dont le dixième sera le chant du cygne. Et on peut dire qu’il a mouillé la chemise pour répandre les graines de la poésie populaire, qu’il a trimé pour déclamer et convaincre, qu’il a bossé d’arrache-pied pour défendre la langue qui pique et qui caresse, une langue que chacun peut comprendre, sans les chapelles exiguës de la poésie guindée. En glissant au passage quelques piques sur la société de consommation, dont on peut bien évidemment déduire qu’elle est au cœur du problème que la plupart pensent avoir avec la poésie.

Mais le problème n’existe pas, et s’il fallait désigner un chantre de la poésie qui touche chacun et chacune, Seream serait en bonne place. Non pas qu’il s’y verrait… le Gaillard ne semble pas goûter les honneurs. Alors, sans médaille et sans flagornerie, longue vie au Boogie !

Seream, Le Boogie du Cambalache, éditions du Petit Véhicule, 93 p., 25 €, ISBN : 978-2-37145-577-1.