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mardi 24 septembre 2019

Revue de revue : Voix d’encre

Je suis abonné depuis quatre ans à la revue Voix d’encre, et je m’aperçois que je n’en ai pas encore parlé dans le cadre des revues de revues sur ce site. Devant la profusion de revues de poésie, force est, pour l’amateur, de faire un choix, évidemment. Pourquoi celui de Voix d’encre ? D’abord pour le soin apporté à la réalisation de celle-ci — oui, il est agréable de lire des revues sous forme de fanzines concoctés artisanalement, on se sent complice en poésie, on devient partie d’un cercle de happy few qui savent, eux ; mais de temps en temps, il est aussi agréable de savourer des pages bien pensées sur un papier de qualité. Ensuite pour l’exigence éditoriale qui fait que la revue, trimestrielle, publie relativement peu de textes en une soixantaine de pages, car la composition est aérée.

Et côté exigence éditoriale, force est de constater que ce numéro 61 est particulièrement réussi. Il commence par un conte de Mohammed Dib (1920-2003), « La Bête jolie ». Un conte dans une revue de poésie ? Rien d’étonnant, puisque Jean-Pierre Chambon, du comité de rédaction de Voix d’encre, nous explique en citant Dib que pour celui-ci, « dans les poèmes et dans les contes, l’écriture se retrempe et se rafraîchit ». Et puis le style de « La Bête jolie » est poétique à souhait, incluant également des bribes de chansons. Pas de doute : cette entrée en matière a toute sa place dans la revue. Suivent des poèmes de Maud Bosseur et de Max Alhau, pour arriver à mon deuxième coup de cœur de ce numéro : la série « Tout est dans le titre » de Patricia Castex Menier. Écriture reconnaissable à ses strophes dont le premier vers est formé d’un seul mot, pour s’étirer ensuite ; écriture du quotidien, mais dont la forme scande pour créer rythme : « Il / y a peu compagnon de misère, / d’alcool ou de seringue, // grand / et ocre le chien perdu, // lâché, // et / passent les “frères humains”. » Puisque tout est dans le titre, voici donc celui de ce poème : « Ballade ». Écriture prenante, incisive, ironique ; écriture poétique en somme.

Aphorismes de Gérard Le Gouic, long poème de Werner Lambersy, et puis autre coup de cœur : les pornosonnets de l’Argentin Pedro Mairal, traduits et présentés par Fernande Bonace. De véritables petits bijoux de poèmes qui utilisent la contrainte pour se libérer. Mairal les a composés « pour se divertir » lors d’épisodes creux pendant l’écriture d’un roman — tiens, n’avons-nous pas lu plus tôt comment Mohammed Dib se ressourçait dans les poèmes et les contes ? —, et le divertissement y est roi, sur un mode « hypersexué », comme le confie l’auteur. L’exemple reproduit ci-dessous (et qui me touche particulièrement, dois-je avouer en admirateur absolu de la plastique de Lynda Carter) devrait aisément convaincre les réticents ou réticentes ; il y a dans ces sonnets, rendus très habilement par la traductrice, un jeu permanent, un mouvement perpétuel, une énergie incroyable. Et pas seulement sexuelle, évidemment : de porno, les pornosonnets n’ont que le nom et une certaine atmosphère, puisque certains sont tout simplement de magnifiques poèmes d’amour.

Ce numéro se conclut avec « 99 thèses » de Michael McClure, traduit par Alain Blanc. Je n’y ai pour ma part pas pris beaucoup de plaisir, à part celui de lire pour information une figure majeure de la Beat Generation (il est né en 1932). Mais les goûts et les couleurs… Comme je l’ai déjà écrit, les revues sont aussi faites pour ça, et ce qu’une adore sera ce qu’un autre détestera. En tout cas, le subtil mélange de poètes vivants et historiques de ce numéro de Voix d’encre fait mouche.


ma chère wonder woman mon héroïne
tu n’es jamais accourue pour me sauver
dans ton avion invisible et m’embrasser
c’est moi qui t’aimais assis dans la cuisine
en prenant mon nesquik devant la télé
moi encor qui tremblait quand l’autre méchant
te pendait par les pieds moi qui bandait tant
sans rien pour m’apaiser ni me consoler
lorsque tête en bas on voyait déborder
tes nichons de ton costume plein d’étoiles
les charlie’s angels maigres beautés fatales
ne me faisaient frémir ni m’émerveiller
toi avec ta couronne et tes bracelettes
tu me mettais en feu des pieds à la tête

Pedro Mairal, pornosonnet « 1. »

samedi 13 juillet 2019

Revue de revue : Territoires sauriens – attention crocos

Le dynamisme de l’écosystème des revues de poésie est toujours pour moi source d’émerveillement. Et quand on pense qu’on avait déjà tout vu se profile une découverte insolite à l’horizon. Enfin, une découverte, pas vraiment, puisque Territoires sauriens – attention crocos a tout de même un site établi et une identité reptilienne affirmée en ligne. Mais voilà : le papier, c’est un sacré pas en avant (même lorsque l’ISSN est encore en cours !), qui vous pose une revue, surtout lorsqu’elle a autant de dents. Alors la parution du cinquième numéro, le premier imprimé, est l’occasion de parler de cet objet poétique placé sous le signe des crocodiles et autres lézards un peu effrayants ; il le mérite amplement.

D’abord, que dire de la prégnance du thème choisi par la revue dans les poèmes et les illustrations ? Si les bestioles sont effectivement présentes dans les quelque 90 pages, elles ne le sont pas d’une façon ostensiblement démonstrative. Le poème de Pierre Vinclair prend certes l’injonction saurienne à la lettre (« le cyclure / ne se souciait ni des Anglais, ni des mang / oustes qu’ils introduiront d’Inde »), les images en forme de « propositions sauriennes » de Laurène Praget mêlent portraits de victimes de féminicides au Mexique avec des crocodiles dans un rapprochement qui sonne juste et glacial, mais c’est surtout l’atmosphère de la revue qui transpire du titre. Une sorte de langage brut, de vision du monde à la fois sauvage et crue. Un style construit et reconnaissable. Gaia Grandin, dans sa contribution, nous avertit d’ailleurs, et capture il me semble l’essence de ce que la revue présente : « Le monde (cet immense Narcisse en train de se penser) ».


Où l'on découvre les trois taulières de la revue (Fanny Garin, Julia Lepère, Laurène Praget).

Tout est question de regard, en effet. « un monde difforme / impossible à saisir », continue la poétesse, et pourtant qui se retrouve étalé là dans sa cruauté parfois fascinante. A. C. Hello nous parle d’un village, d’un arbre et d’une fontaine, « une fille qui est un arbre près d’une fontaine, n’écrasez pas ses membres qui font des petits et mangent l’herbe » : serait-on en Afrique, sur le territoire des crocos ? La langue ondoie en tout cas comme eux, installe une ambiance, un rapport à la nature qui pourrait être le fil conducteur au sens large du numéro. En témoigne Camille Loivier, qui « [secoue] les sachets de graines / au bruit espérant qu’il se passe quelque chose ».

Oui, il s’en passe, des choses ! Pablo Jakob signe une nouvellette morbide et délicieuse dans un funérarium (à rapprocher du vivarium des reptiles, non ?), Julia Lepère, fondatrice de la revue, explore les sentiments à partir de l’écoute d’une pièce jouée au piano à quatre mains (nature toujours, hostile un peu, où pourraient nager les crocos : « Une rivière passe / Tandis que la main-faucon appuie plus fort sur le clavier »). L’autre taulière, Fanny Garin, nous trompe avec son « bucolique si j’ose avec : fleurs jaunes, blanches, violettes, pétales zébrés », pour mieux nous coincer « la montagne dans le dos les omoplates en ronde ». Et puis Léda Mansour nous rappelle notre condition humaine précaire face aux grands prédateurs : « Et de toutes les plantes savoureuses / Ce cœur est à nouveau comestible ».

C’est fort, ça pulse, la langue est râpeuse, le souffle est rauque. Il y a une véritable dynamique qui prend son tempo dans le titre de la revue. J’avoue ne pas avoir trop goûté sur papier la « Banque de titres » de Liliane Giraudon, dont j’ai compris l’intérêt cependant dans une performance poétique. Péché bien véniel, puisque les goûts et les couleurs…

Manquent à l’appel de cette chronique quelques autres rubriques, notamment d'amusants remerciements et un mot de la fin avec ses citations inventées, le tout souvent composé avec invention typographique. Bref, il y a dans ce premier numéro papier de Territoires sauriens – attention crocos une vraie cohérence, un humour malin, une gravité de bon aloi et de bien belles plumes. À croquer rapidement, avant que ces sauriens-là ne décident de se faire la malle et de vous croquer vous.


En plus du site évoqué ci-dessus, la revue dispose également d’une page Facebook.

mardi 10 avril 2018

Revue de revue : Nouveaux Délits

Je l’avoue : déjà abonné à pas mal de revues et avec un budget poésie pas illimité — en tout cas pas aussi vaste que mon goût éclectique, parfois trop, je sais, pour le genre —, j’ai tendance à me reposer sur le grand nombre de revues que je reçois, sans trop regarder les autres maintenant. Eh oui, la poésie est aussi la vie, et il y en a une en dehors de la poésie. Je sais, je radote… Mais le sous-titre « revue de poésie vive » et un appel à soutien de Cathy Garcia, la taulière, qui a vu son vieil ordinateur cesser ses services aux vers et aux strophes inopinément, m’ont convaincu de tenter l’aventure. Peut-être aussi le fait qu’un numéro précédent a été consacré à la remuante poésie guatémaltèque traduite par Laurent Bouisset, allez savoir. Enfin bon : grand bien m’en a pris.

Le numéro 60 de Nouveaux Délits rassemble des textes de sept poètes, agrémentés par Cathy Garcia d’un court édito relatant la genèse (pas simple) de cet opus et d’une quatrième de couverture en forme d’extrait d’un essai sur la simplicité joyeuse et volontaire. Quand le politique s’en mêle, et bien tourné en plus... S’y ajoutent deux « résonances », notes de lecture aussi bien que jeux de miroir à l’écriture ciselée sur deux livres récents, également par la maîtresse des lieux, décidément productive et tellement amoureuse de la poésie que cet enthousiasme est particulièrement contagieux. Ah oui : de petites notes de bas de page, extraits de poèmes ou de romans, font aussi écho, comme des résonances, aux textes originaux publiés ; ces « délits d’(in)citation » confirment, s’il fallait encore la démontrer, la haute connaissance littéraire de Cathy Garcia, qui peaufine une revue franchement réussie tant sur la forme que sur le fond.

Car sur le fond, la cohérence de l’ensemble des sept poètes choisis est admirable, et l’exigence dans l’écriture est un dénominateur commun. Connu des amateurs de revues, Valère Kaletka ouvre le bal avec des textes à la nostalgie qui tourne à l’étrange et au fantastique parfois, avec des titres énigmatiques et décalés : « Ahan / Fils de Crâo / Sur la route du Run / Poumons-de-feu / Ahan / Guerre au gramme intégral / À l’anévrisme hautain en rupture / De son ban », peut-on lire dans « Ahan », savant détournement d’un personnage bien connu en « poésie de Cro-Magnon » (là, c’est moi qui invente, ce n’est pas une citation), pourrait-on dire. Pierre Rosin, lui, ose la poésie de science-fiction (on en publie trop peu, je trouve), même si ce n’est qu’un poème parmi les autres où peut-être sonne comme dénominateur commun « le malheur d’être un homme et de n’être rien » : « construisons un vaisseau / une flottille / une arche / semons les germes d’une nouvelle espérance ». Espérance que versifie Daniel Birnbaum, dans une série narrative qui décrit un voyage à Madagascar ; Daniel, comme souvent, y montre une empathie (« elle a les pieds infectés / suintants / sanguinolents / il faudrait les mettre à l’abri de la poussière / de la boue des ordures des mouches ») qui rend ses vers simples immédiatement assimilables sans cheminement intellectuel tarabiscoté : une poésie qui va droit au cœur. Joseph Pommier, lui, ne parle pas d’autre chose que d’espérance non plus quand, après avoir décrit en vers plus longs et plus fourmillants de cassures de rythme une vie au travail marquée par la servitude volontaire, il glisse qu’« Au prix d’un sommeil lourd on s’arrache / À ces pensées rageuses qui stationneront dans l’oubli ». Florent Chamard flirte (un peu, par rapport à ses prédécesseurs plus narratifs et moins métaphoriques) avec le surréalisme pour « réapprendre le silence des horizons sans but » et retrouver « la tentation du sel et des vagues » ; dans sa présentation, il avoue qu’il aime haïr… tout un programme ! Poésie rock’n’roll pour Vincent Duhamel, mon chouchou de ce numéro, avec un poème magistral et habité intitulé « La boîte » : « J’aurais voulu mourir à neuf ans lors d’un mercredi pluvieux ennuagé de flocons et de victoires avec sur le bord des lèvres l’amour d’une pêche ensoleillée de la veille et, dans le cœur, un oisillon s’étouffant d’un requiem enchanté. » Puis vient une étrange boîte offerte par la mystérieuse Matriochka, concentré de peurs et de fantasmes ; un texte puissant sur les attirances de l’enfance, qu’elle soit enchantée ou brisée. Enfin, dernière autrice et seule femme, Antonella Eye Porcelluzzi conclut par une poésie plus déstructurée où le langage se fait plutôt phonèmes que longs vers. C’est un de ses poèmes, court alors qu’elle peut aussi nous embarquer dans de longues variations hypnotiques sur un sujet donné, qui sera reproduit complet ci-dessous.

En un mot comme en cent : Nouveaux Délits, c’est une belle revue, bien conçue, bien réalisée, et ce numéro 60 en est la preuve.

Pour en savoir plus et surtout ! vous abonner, visitez le site internet de la revue Nouveaux Délits.


Love deux song n. 25 (Antonella Eye Porcelluzzi)

Pour ceux qui conduisent deux avions
qui dirigent deux industries
qui chevauchent deux chevaux
et tirent avec deux arcs
pour ne pas se retrouver avec
deux anus à soigner
en cas d’hémorroïdes.
je suis un monstre qui a tout osé

lundi 3 octobre 2016

Revue de revue : Revu

Oui, ça fait beaucoup de revues dans un seul titre...

J’ai déjà évoqué sur ce blog la revue Traction-brabant, éditée à Metz par Patrice Maltaverne, en soulignant un des intérêts des revues de poésie qui est la possibilité d’être proche, géographiquement parlant, de leurs lecteurs. Place donc maintenant à Revu, dont le numéro 2 vient de sortir : une revue façonnée à Nancy par un joyeux collectif que j’ai rencontré en juin dernier à Esch-sur-Alzette.

Le sous-titre sur la couverture donne le ton d’emblée : « La revue de poésie snob et élitiste ». C’est dire si le comité de rédaction et de lecture, composé de Nahida Bessadi, Marie Bouchez, Chloé Charpentier, Théophile Coinchelin, Florian Crouvezier, Franck Doyen, Gautier Hanna, Théo Maurice, Mathieu Olmedo, Alysson Videux et Didier Zanon se prend au sérieux… Pourtant, on va le voir, Revu est un objet sérieux, même s’il ne se prend pas pour ce qu’il n’est pas. D’abord, la réalisation brochée, avec couverture en couleurs et contenu en noir et blanc, est soignée : nous sommes là dans un choix conscient d’organisation de la publication à l’opposé du joyeux amateurisme de Traction-brabant. Entendons-nous bien : en poésie, les deux se valent ; un fanzine concocté par un amateur éclairé (que ce soit Traction-brabant ou Comme en poésie) a autant de mérite qu’une revue plus typographiée et structurée grâce à la force d’un collectif. Revu joue dans la cour des Décharge et autres, ce qui dénote une certaine ambition, plutôt saine après tout.

Autre gage de sérieux : l’équipe de Revu s’est engagée dans une démarche transmédia, en offrant sur Soundcloud certains poèmes lus par leurs auteurs. Les émotions provoquées par la poésie sont plus intenses lorsqu’elle est lue (pour autant qu’elle soit écrite pour être lue, évidemment), et cette proposition est particulièrement bienvenue.

Mais tout ça ne serait que coquille vide sans un contenu imprimé à la hauteur. Et à la hauteur, il l’est assurément. Cinq parties structurent (toujours le sérieux, qui n’empêche pas la dérision !) ce numéro 2. D’abord, les « Poèmes en archipel ». L’idée est de mélanger des voix et des styles, qui peuvent se rencontrer au hasard des marées comme autant d’îles isolées mais distantes de seulement quelques milles nautiques. On y trouve des vers libres comme des vers métrés (si l’on n’est pas trop regardant sur les e muets), un calligramme, du court, du long, des rimes, bref, une joyeuse mixture. Si beaucoup des initiateurs de la revue s’y collent, on y trouve également des invités, tel Tom Nisse qui mélange lui aussi les genres au point d’« admettre un degré de prose dans [son] / poème ».

Vient ensuite la « Relâche », où « la poésie côtoie le rap ». Invité de marque, Julien Blaine explique en un court poème ce qu’est, justement, la pratique de la poésie. Et la rédaction nous offre une petite perle licencieuse de Ménard de Saint-Just, histoire de titiller ses lecteurs. Puis le dossier de ce numéro arrive : il s’agit de « Trottoir : la ville à nos pieds ». Poètes et artistes brodent sur ce thème, tel Gilles Videux qui brosse un portrait de femme émouvant, « Ses talons léchés par le pavé / Laissent une douce trace imaginaire / Puis sa chevelure brune délavée / Flotte sereine sous un vent lacunaire ».

Enfin, le chapitre « Situations » vient clore la revue, avec un bel éloge de la lenteur de Chloé Charpentier que ne renierait pas un décroissant ainsi qu’une élégie de Louison Delomez (« Non les hommes / Cela pousse en se consumant dans l’espace / Comme une branche que lèche la flamme, / Un arbre tombé / Que le temps étreint jusqu’à la cendre. »). Ici revient l’image de sérieux qui persiste pour cette revue qui a pourtant instillé dans les pages précédentes un petit grain de folie qui sied particulièrement à la poésie. Deuxième numéro déjà, et on lui en souhaite beaucoup d’autres !

Site web pour abonnement et plus de détails : http://revularevue.wixsite.com/revu.

jeudi 25 août 2016

Revue de revue : Traction-brabant

L’une des caractéristiques les plus fascinantes de la poésie actuelle est le nombre incalculable de revues qui lui sont consacrées. Et tant mieux, car s’il ne fallait compter que sur les « grands » éditeurs, Poésie/Gallimard en tête (excellente collection par ailleurs, mais bien limitée par rapport au bouillonnement des poètes du dimanche et des autres jours, pas « établis » en écriture, qui ont pourtant des choses à dire, et plutôt bien), les férus de poésie auraient du mal à satisfaire leur curiosité tant les lignes éditoriales sont quelquefois frileuses. Une soif que, par contre, les revues sont parfaitement capables d’apaiser, tout comme les « petites » maisons d’édition. Pour le lecteur passionné comme pour l’aspirant poète, le passage en revue est donc quasiment obligé ; une sélection bien maigre de liens figure d’ailleurs dans la colonne de droite de ce blog.

Fanzine plutôt que revue, mais au contenu aussi riche et éclectique que beaucoup de ses consœurs, Traction-brabant est édité à Metz par Patrice Maltaverne. Car oui, l’autre intérêt des revues, c’est leur possible proximité : s’il n’en existe actuellement qu’une active au Luxembourg à ma connaissance (Transkrit, excellente mais très spécialisée dans la traduction), on peut facilement créer des liens dans un périmètre relativement réduit en franchissant la frontière. Infatigable scrutateur et zélateur de la poésie des autres via son site personnel, Maltaverne est, évidemment, poète lui-même. Lorsqu’on le contacte pour s’abonner à Traction-brabant, il prend le temps d’expliquer la revue, sa philosophie, et d’établir un contact personnalisé avec son futur lecteur. C’est ça aussi la poésie : un milieu où la passion rapproche.

On apprend donc que le nom de la revue vient de « la contraction de traction avant, l’auto et de brabant double, la charrue à double soc ». Belle métaphore du progrès envahissant et de la nostalgie qu’il induit parfois, un sentiment que beaucoup de poètes partagent, même s’ils ne dédaignent pas les réseaux sociaux pour autant. Devant le prix ridicule de la chose (cinq exemplaires pour douze euros), on comprend vite aussi que l’entreprise n’a rien d’une pompe à fric. Franchement, pour ce prix, comment être déçu ?

Mais la qualité est au rendez-vous, nous ne sommes pas là dans du low cost. Prenons par exemple le dernier numéro en date, le 69. La couverture annonce la couleur en promettant « enfin : un été zéro tiques ». D’emblée, on sait que le fanzine ne se prend pas au sérieux. Avec plus de trois cents poètes publiés à ce jour, il y a cependant de l’humour, de l’ironie, du sérieux, du fantastique ou de l’amour, quelque chose pour tous les goûts enfin ; pas mal de plumes connues désormais dans le milieu y ont aussi fait un passage.

Maltaverne se réserve une sorte d’éditorial plus théorique en général : cette fois, il s’interroge sur le dévouement des poètes à la cause poétique. Un peu déçu, il va jusqu’à traiter ses lecteurs ou ses contributeurs de « faux culs », puisque pour eux (parmi lesquels il s’inclut, bien entendu), la poésie est « juste un faire-valoir, un costume de plus [qu’ils enfilent] le week-end et les soirs après l’uniforme du boulot ». Et pourtant, il les aime, ces « drôles de poètes », qui ont choisi d’écrire mais pas seulement, de rêver mais pas tout le temps, et il conclut là-dessus.

Le cœur de Traction-brabant, ce sont évidemment les poèmes. On en a déjà évoqué l’éclectisme. Quelques exemples pêle-mêle : les haïkus ratés de Pierre Bastide (« Les hurlements des voitures qui se la pètent au feu vert / n’écrasent ni les cris ni les rires des enfants qui jouent / dans le parc où les passants pressés sombrent dans le passé »), un beau poème intitulé « L’hippo » de Jacques Cauda (« nous arrivons trempés / quand le zoo est fermé / mais on l’aperçoit / (l’hippo) caché par le / jour qui gît déjà au fond / de nous »), des poèmes hospitaliers d’Henri Clerc (« Dans la salle du dîner / la reine d’Angleterre / se munit d’une fourchette / et l’envoie valser / au visage du pondérant / duc de Toulouse »), l’évocation d’une limace par Sébastien Kwiek (« La limace grise grimace / S’égrise et s’entasse / en masse »)… Une micronouvelle post-catastrophe nucléaire de Patrick Boutin aussi, ainsi qu’un poème inspiré par l’actualité politique, et notamment les élections régionales (« ça pue la France / des mauvaises années ») de Murièle Camac. On me pardonnera de ne pas tout citer, puisque les 56 pages sont bien remplies. Lorsque les poèmes laissent un peu d’espace, on trouve des dessins, quelquefois réalisés par les auteurs eux-mêmes, mais toujours de circonstance. Le tout imprimé de façon très lisible, mais avec ce petit air de dazibao fait main qui donne un charme certain.

Bref, on l’aura compris : Traction-brabant est un fanzine poétique bourré de découvertes à chaque numéro, qui procure un plaisir diversifié et intense, dans lequel on aura à chaque numéro plusieurs coups de cœur. Peut-être aussi quelques déceptions, mais c’est la règle du jeu : il en faut pour tous les goûts. Chapeau bas à Patrice Maltaverne pour le dynamisme qui lui fait offrir cette excellente publication.


Site web pour abonnement et plus de détails : http://traction-brabant.blogspot.fr

mardi 12 avril 2016

Si même les plates-bandes…

… lisent l’édition printemps-été de La Tribune du Jelly Rodger, alors pourquoi pas vous ?

Dans cette édition, outre un petit poème de votre serviteur sur la famille et ses interminables déjeuners, il y a comme d’habitude l’édito engagé de Seream, les illustrations poétiques en quelques couleurs qui en paraissent mille coordonnées par Éloïse Rey, les innombrables haïkus un peu plus sérieux, et la suite de l’enquête haletante de Quentin Voirons.

Pas avare de jeux de mots, comme à l’accoutumée, cette Tribune propose également un dossier très sérieux (enfin, presque) sur la féminisation de la langue française. Mon coup de cœur du numéro, c’est l’excellent poème de Blonde Nijinsky, « L’homme is a losing game ». Avec le vocabulaire des jeux (de société, de cartes…), l’auteure explique comment se passer de la gent masculine, tout en humour décalé, jeux de langue et allusions toujours légères : « Au Memory des rencontres, / J’ai cherché en vain ma pair mais / J’ai perdu le sens. / La dernière fois que je l’ai vue, / Elle portait le masque d’un autre (que) moi. »

Bref, vingt-quatre pages de bonheur poétique parfois hilarantes, parfois pince-sans-rire, jamais ennuyeuses, pour un printemps qui commence bien.

Pour acheter le journal, et surtout pour le soutenir en se nabonnant, c’est ici : http://www.latribunedujellyrodger.com.

mercredi 30 décembre 2015

Dans la revue « Recours au poème »

Retour aux acrostiches : la revue en ligne Recours au poème (une ressource dont on ne finit jamais d’explorer les trésors en matière de poésie) en publie une dizaine, qui étaient pensés déjà comme éléments d’une suite à Apotropaïque, à paraître aux éditions Phi vers la fin 2016 environ. Mais avec la publication de Flo[ts] entre-temps, il y aura un grand remaniement, grâce aux mois gagnés par ce chamboulement. Les acrostiches publiés pourraient donc finalement faire partie du nouveau livre... Dans la poésie, il y a toujours du travail !

Lien direct : http://www.recoursaupoeme.fr/florent-toniello/acrostiches, mais l’ensemble de la revue est toujours intéressant !