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mardi 11 juillet 2023

Le Givre promis

La belle et intrigante couverture d’Emma Real Molina annonce la… couleur : on y voit un visage grisé entouré de mains bleutées (ou violettes, peut-être : je suis daltonien, et j’apprécie d’autant plus le premier vers de ce recueil, « Avec quelles couleurs décrira un daltonien sa ville natale ? »). D’évidence, il sera ici question de longueurs d’onde perceptibles par les yeux, de nuances, de teintes, le contraste de l’image nous l’assure. Mais je lis ce livre au retour d’une promenade dans l’ouest de la péninsule de Reykjavík, pour aller admirer le panache de l’éruption du Litli-Hrútur. Et Miguel Ángel Real, lui, écrit : « avancer / vers quelle pluie. / devons-nous choisir ? / une lave / ne répond pas / au silence. / le feu gît. / la vapeur du contact / sera aussi / le gaz toxique. // et pourtant, l’éclat. » De couleurs et donc de volcans, il est ici question. Volcans de sentiments bien sûr, on y reviendra. La langue du poète est en général ample, fluide ; l’allégorie de la lave vient immédiatement à l’esprit, car parfois se cristallisent les mots dans des poèmes compacts et directs, voire tranchants, comme celui justement cité ci-dessus. La vie, « de ses mains de sarment », entend y « fissurer les armures » pour « atteindre l’instant-antidote / contre le givre promis ». Miguel laisse la bride sur le cou aux vers pour qu’ils l’emmènent vers tous les horizons de ce monde qu’il qualifie de « dune infranchissable ». Ce qui est émouvant, c’est qu’il ne renonce pas à l’observer avec tendresse, ce monde. Ainsi, nombre de poèmes célèbrent l’amour (« De mes doigts/bistouris aux phalanges trop fines / j’ai tatoué sur ta peau une absence d’orages, / remplacé tes vertèbres par un verbe, / découpé l’ignorance des gouttes d’eau ») ou l’amitié, avec la retenue d’un funambule qui saurait ne pas dépasser les limites du lyrisme trop prononcé. On lit des exergues, des dédicaces — à ce propos, je dois divulguer que « Six acrostiches, dont un indocile » mentionnent mon nom, ce que je ne savais pas avant d’ouvrir le livre ! —, des histoires en forme de chansons de geste : « Il n’ose pas s’aventurer dans un monde médiéval, / sous une voûte dont le métier est d’ourdir les peurs / et de tisser, dans l’obscurité de la frondaison, / des mythes qui berceront l’humanité. » Le fil du recueil est tout de même jaune (« On voudrait devenir le reflet du genêt »), rouge (« D’un geste maladroit, il avait fait tomber son télescope ; c’est alors qu’il comprit que jamais l’humanité ne pourrait atteindre la planète Mars ») et bleu (« Le froid n’est pas une barrière ni un mirage : / la certitude bleue / d’une matinée qui surmonte le temps »). Dans ce tout coloré et volcanique, on est happé par la fluidité des mots, l’éruption des sentiments, l’ouveture vers des horizons proches autant que lointains. Si, selon lui, « le langage est une révolution à concevoir », le poète a déjà bien commencé son rôle de guide.

Miguel Ángel Real, Le Givre promis, éditions Tarmac, ISBN 979-10-96556-55-7

samedi 18 janvier 2020

Comme un dé rond

Oui, Miguel Ángel Real a écrit une note de lecture sur un de mes livres et en a traduit quelques poèmes en espagnol pour une revue en ligne, mais les chroniques-minute de ce site sont obstinément libres. Même si ça me fait plaisir d’évoquer le travail de Miguel, Comme un dé rond est un recueil hautement recommandable et figure ici à ce titre. D’ailleurs, tiens, ce titre ? Intéressant pour deux raisons au moins : son choix et sa traduction. Côté choix, puisque ce dé rond est oculaire (« Mes yeux souffrent comme un dé rond / dépourvu d’arêtes et de hasard ») et pose un regard interrogateur sur le labyrinthe de l’existence, il induit en erreur en quelque sorte. Ce recueil évoque en effet la mer, avec un vocabulaire ad hoc (« stridence des brisants : / ambre, vermillon et de blancs / oursins desséchés et cette vague »). On y fait naufrage, on s’y ressource, on la contemple, on y navigue avec « le vertige du mousse lors de son premier voyage ». Mais ce contraste entre titre et contenu est évidemment voulu : l’essentiel est le regard qu’on porte, qu’il soit sur une vaste étendue d’eau ou de sable. Côté traduction, comme le livre est en version espagnole et française, on ne peut s’empêcher de noter que ce dé rond dans la version originelle était « dados redondos », des dés ronds. Connaissant la méticulosité du poète dans ses traductions (ici secondé par Florence Real), on se doute qu’il y a une raison. Euphonie ? sens ? allitération acceptable dans une langue et pas dans l’autre ? Et l’on se prend à pousser les comparaisons pour mieux se plonger dans les abysses poétiques. Puis on apprend que la traversée n’est que partielle : ce recueil contient en fait des extraits du livre complet, à paraître au Mexique. Tant mieux, car on embarquerait bien plus longuement.

Miguel Ángel Real, Comme un dé rond, éditions Sémaphore (maison de la poésie du pays de Quimperlé)