« Mais je sais une chose : l’authentique était pour lui / Une valeur aussi justifiée que l’ennui. C’est dire / Comme il était accompli, respectable, poli » : à la lecture de ce tercet qui conclut un des derniers sonnets du recueil, je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir à une « mode » actuelle qui valorise la poésie qui balance des mots chocs, qui en envoie, etc., dans un langage direct qui ne s’embarrasse ni de méandres ni de classicisme. Non pas que ce soit illégitime, d’ailleurs ; mais les poètes accomplis, respectables, polis (surtout ?) ont moins la cote, me semble-t-il. Pourtant, comme à votre serviteur (en tout cas, j’aimerais le croire), ces adjectifs conviennent parfaitement bien à Xavier Frandon, qui démontre magistralement dans ce recueil que la retenue peut aussi accoucher de poèmes tout à fait efficaces. Ses Fiefs sont autant de châteaux intérieurs qui protègent nos idées folles, nos convictions irrationnelles, nos envies raisonnables ou nos sentiments refoulés ; il livre donc une galerie de portraits intimes savoureux où toutes les contradictions inhérentes à l’être humain virevoltent. Ces gens peuvent être agités ou sous pression, mais aussi n’avoir vécu « Aucune misère, rien, le calme profil de la lenteur ». Toutes les histoires sont intéressantes pour Xavier. L'ensemble est rédigé avec une empathie teintée de finesse, sans vitupérer, sans cracher sur l’époque, avec — allez, lâchons le mot à la mode, tant qu’à faire — une bienveillance renforcée par une forme littéraire au goût classique. En effet, si la rime n’est pas majoritaire, quoiqu’on la trouve assez régulièrement, la forme sonnet domine, les quatrains trônent en majesté et le langage ne va pas chercher systématiquement la confrontation de ses niveaux pour provoquer un chaud-froid poétique. « Je t’aime mon amour, et je sors les poubelles » : si ça n’est pas de l’alexandrin ! Et plutôt que d’argumenter trop longtemps, puisque nous sommes dans une chronique-minute, après tout, je glisse un petit extrait ci-dessous, qui saura convaincre, je l’espère.

Xavier Frandon, Fiefs, éditions du Cygne, ISBN 978-2-84924-694-8


Le secret

Le secret déforme son visage dans la douceur.
Elle ne détecte rien ; elle patiente sans intérêt.
Ça l’énerve. Pourtant il ne se lance pas, reste mutique
Dans l’oppression ; c’est un indice de sa personne.

Un soir, il se décide enfin à lui dire la vérité,
Mais, comme elle attend avec trop d’empathie,
Il ébauche à peine le début d’une idée.
C’est un grossier mensonge, mais si crédible !

Au soir de leur idylle, ne reste plus que
La notion du temps. Le message passionné
S’est dissout au loin dans le prétexte de jouir.

Bien des années plus tard, il regrette un peu,
Mais l’horreur d’avoir gardé pour lui ce secret
Est d’un plaisir si fort, que ça le soulage.