« Écrire le chemin // Voilà à quoi se résume toute une vie / jusqu’au bout / vers le noir le plus absolu / le noir jamais assez noir celui avec lequel on peint / comme on écrit comme on marche » : et Gilbert Vautrin de reprendre la route à travers forêts, semant sur son passage des vers plutôt que des cailloux, collectionnant les impressions qu’il couchera ensuite sur le papier de ce long poème anthracite où la joie du chemin se mêle à la mélancolie qui convoque les grands aînés. Dans les sous-bois, le poète se nourrit de réminiscences de Tranströmer, de notes de Franz Schubert, de délires créatifs d’Artaud ; il passe en revue les illustres suicidés aussi, Janis Joplin, Jean Eustache, Sylvia Plath, Thierry Metz, « ils sont tous là dans [sa] tête ». Il n’y a rien de glauque cependant dans ce carnet. Tout juste s’agit-il de « sans cesse poursuivre le travail noir », un travail de mémoire autant que de lumière à chercher dans l’ombre. La nature est bien croisée sous la forme de ses incarnations animales ou végétales, il y a bien dans les vers de Gilbert du houx, un geai, des corbeaux (noirs, évidemment) ; mais tout se passe comme si celle-ci était un déclencheur. Les yeux du poète se posent sur les choses matérielles et son esprit vagabonde dans des sphères plus abstraites. Là où, lentement, se consume l’existence pour retourner au noir originel. Sans pathos, parce que tout ça est inexorable, et Gilbert l’a compris, qui offre ce texte autant en avertissement qu’en célébration de l’instant, car sait-on ce qui arrivera dans quelques minutes même ? Le chemin comme inspiration, il avoue sans ambages : « alors oui pour moi marcher est un état de poésie ».

Gilbert Vautrin, Le Carnet noir, éditions BazArt poétique, ISBN 978-2-9560158-3-3